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Négociation et rédaction d’une entente de fin d’emploi : des concessions réciproques?

Lors d’une fin d’emploi, les parties peuvent conclure une entente pour prévenir ou résoudre une situation litigeuse. Le présent texte traite des concessions, pécuniaires ou autres, pouvant être faites et des approches à privilégier pour assurer la validité du document.
12 mars 2025
Me Alexandre Pinard, CRIA | Me Simon Gagné-Carrier

L’annonce du congédiement devrait être une étape cruciale pour tout employeur soucieux de prévenir les litiges. Lorsque les circonstances s’y prêtent, il s’agit d’une occasion à saisir pour les parties afin de discuter de l’opportunité de convenir d’un règlement à l’amiable. L’employeur peut alors notamment offrir une somme à l’employé en contrepartie de la signature d’une transaction au sens de l’article 2631 du Code civil du Québec[1], celle-ci devant comprendre la remise d’une quittance.

Cela dit, même si ce document est signé, plusieurs considérations juridiques doivent être respectées afin que l’entente soit valide. L’une de celles-ci concerne les concessions ou les réserves « réciproques » qui doivent être échangées entre les parties.

Les concessions réciproques en droit du travail

Le plus souvent, la principale concession consentie par l’employé sera la renonciation à l’exercice de tout recours contre l’employeur et, le cas échéant, son désistement à l’égard des litiges déjà entrepris, ce qui comprend notamment la renonciation à réclamer un délai-congé supérieur ou le droit à la réintégration dans le milieu de travail. Généralement, l’employé reconnaît également que, grâce à la transaction, toutes les sommes qui lui sont dues (outre l’indemnité convenue entre les parties) ont été entièrement acquittées (ex. : salaire impayé, indemnité de vacances, etc.). Ces renonciations se traduisent généralement par la remise d’une quittance par l’employé. En plus de ce qui précède, l’employé peut également prendre des engagements relatifs à la confidentialité, à la non-concurrence, à la non-sollicitation et au non-dénigrement de l’employeur.

Pour l’employeur, la concession privilégiée sera souvent pécuniaire, par l’octroi d’un préavis ou d’une indemnité[2].

En droit du travail, il existe un principe voulant que les concessions mutuellement consenties entre les parties n’aient pas à être parfaitement égales. Elles doivent cependant demeurer significatives de part et d’autre[3].

À l’inverse, une concession pouvant être objectivement qualifiée de dérisoire risque de grandement fragiliser le caractère exécutoire d’une transaction, même si elle a été signée par les parties[4]. Différentes instances spécialisées en droit du travail ont ainsi estimé qu’une transaction par laquelle un employeur consent uniquement à verser à l’employé congédié le strict minimum, légalement dû, n’était pas valide.

À titre d’exemple, dans la décision Labranche[5], le Tribunal administratif du travail (TAT) a refusé de rejeter les plaintes d’un employé et d’appliquer la transaction-quittance signée sur cette base. Compte tenu de la preuve soumise, il a été conclu que les éléments suivants ne représentaient pas, dans leur ensemble, une concession suffisamment significative de la part de l’employeur :

  • L’indemnité légale de cessation d’emploi;
  • L’indemnité légale de congé annuel;
  • Une clause mutuelle de non-dénigrement;
  • Un motif neutre inscrit au relevé d’emploi favorisant le droit aux prestations d’assurance emploi.

L’exception

Malgré ce qui précède, dans certaines circonstances, des réserves d’apparence moindre pourront être significatives pour l’employé, même si les sommes réellement déboursées équivalent au strict minimum prévu par la loi. Cela pourra être le cas lorsque l’employeur allègue que l’employé a commis une faute grave ayant pour effet de le priver, en principe, de son droit à l’indemnité de cessation d’emploi. Le versement du préavis minimal prévu par la Loi sur les normes du travail[6] pourrait, dans ce contexte, constituer une concession suffisante.

Les faits peuvent aussi démontrer que les parties ont réellement négocié d’autres considérations importantes de nature non pécuniaire. Par exemple, dans l’affaire Exact Air inc.[7], un arbitre de griefs a statué que, même si les sommes versées par l’employeur étaient minimales, la preuve révélait que l’employé avait accepté les éléments particuliers suivants à sa demande :

  • La modification de la date de prise d’effet de fin d’emploi;
  • L’étalement dans le temps des sommes versées par l’employeur;
  • Un motif neutre inscrit au relevé d’emploi favorisant le droit aux prestations d’assurance emploi.

L’arbitre s’est alors estimé lié par la transaction et a rejeté la plainte de l’employé.

Au même titre, dans l’affaire Côté-Reco[8], le TAT a reconnu les effets de la transaction-quittance signée par un employé, malgré le fait que l’indemnité touchée était minimale. De fait, la preuve avait démontré qu’il était important pour l’employé de régler tous les litiges relatifs à son emploi dans le but de maintenir la paix sociale dans son village, alors que ses amis et sa famille entretenaient des liens étroits dans la communauté avec l’employeur.

D’ailleurs, d’autres considérations non pécuniaires pourraient également être incluses par les parties dans une transaction-quittance, notamment :

  • La levée par l’employeur d’une clause restrictive du contrat de travail, notamment une clause de non-concurrence ou de non-sollicitation des employés et/ou des clients;
  • L’engagement de l’employeur de soutenir l’employé licencié pour des motifs économiques dans ses démarches pour se trouver un nouvel emploi (révision du curriculum vitae, simulation d’entrevue, confection d’une lettre de recommandation, etc.);
  • Le fait pour les parties de s’entendre sur les modalités entourant l’indemnité à être versée à l’employé dans le but de s’adapter à sa situation particulière (qualification de l’indemnité, nombre de versements, option de verser le tout dans un compte REER, etc.).

L’importance de bien rédiger la transaction

Les décisions précitées démontrent bien que le caractère significatif d’une concession doit être analysé par les tribunaux à la lumière de l’intention des parties au moment où elles ont transigé. Cet exercice est facilité lorsque la transaction est constatée par écrit.

Dans la décision Beaulieu[9], le TAT a eu à se pencher sur l’existence même d’une transaction dans un cas où un employeur avait versé à un employé les sommes prévues dans le contrat de travail en cas de rupture du lien d’emploi, lesquelles étaient supérieures au strict minimum prévu par la loi, mais n’avait constaté aucune entente par écrit avec le principal intéressé. En faisant la revue des communications entre les parties entourant le versement de l’indemnité, le TAT a conclu qu’il n’y a pas eu transaction et que les sommes ont été remises à la seule initiative de l’employeur, sans que l’employé ait renoncé à ses droits en lien avec la fin d’emploi.

Cette décision témoigne de la grande importance non seulement de constater l’entente par écrit, mais également de porter une attention particulière à sa rédaction et d’inclure des précisions quant au contexte dans lequel elle est conclue. À cet effet, les parties peuvent consigner l’ensemble des considérations entourant leur règlement dans le préambule du contrat.

Ainsi, dans la mesure où l’employeur répond à une considération particulière demandée par l’employé lors des négociations et qu’il en fait clairement mention dans l’entente convenue, ce dernier pourrait être justifié de consentir une concession pécuniaire moindre, possiblement limitée à son obligation légale.

Considérant la complexité que peut revêtir la rédaction d’une transaction, et dans le but de s’assurer que son contenu est conforme au droit applicable et que les concessions prises par les parties reflètent fidèlement ce qui était envisagé au moment de la conclure, il est recommandé d’être assisté par un avocat dans le processus.


Author
Me Alexandre Pinard, CRIA Avocat principal Lavery
Alexandre Pinard exerce en droit du travail et de l’emploi. Dans le cadre de sa pratique, il seconde les gestionnaires en matière de relations du travail, de santé et sécurité du travail ainsi qu’en droits et libertés de la personne en contexte d’emploi.

Ses champs de pratique touchent l’arbitrage de griefs, la négociation de conventions collectives, les normes du travail ainsi que le service de consultation et d’opinion juridique quant aux contrats de travail.

Avant son arrivée chez Lavery, il a notamment travaillé dans le réseau de la santé et des services sociaux à titre de gestionnaire en relations du travail.

Author
Me Simon Gagné-Carrier Avocat Lavery
Simon est membre de notre groupe de droit du travail et de l’emploi. Il s’est joint à l’équipe de Lavery en 2022. Il a complété son baccalauréat en droit civil régime coopératif ainsi qu’une maîtrise en administration des affaires à l’Université de Sherbrooke. Dans le cadre de sa pratique, Simon accompagne des employeurs dans tous les secteurs du droit du travail et de l’emploi, notamment en matière d’embauche et de cessation d’emploi, de normes du travail, d’arbitrage de griefs, de santé et sécurité au travail et de droits et libertés de la personne en milieu de travail. Il démontre également un intérêt marqué pour les relations de travail en matière municipale ainsi que pour les dossiers mettant en jeu des questions de droit administratif.

Source : VigieRT, mars 2025

1 Code civil du Québec, RLRQ c. CCQ-1991, art. 2631.
2 Renée M. GOYETTE, « Boucler une cessation d’emploi avec une transaction : mythe ou réalité? » dans Un abécédaire des cessations d’emploi et des indemnités de départ (2005), Service de la formation permanente du Barreau du Québec, 2005, en ligne : EYB2005DEV868.
3 Martine LACHANCE, Le contrat de transaction : Étude de droit privé comparé et de droit international privé, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 74.
4 Joëlle THIBAULT, Les procédures de règlement amiable des litiges au Canada, Montréal, Wilson et Lafleur, 2000, par. 358.
5 Labranche c. Entreprise Venise Peintre inc., 2020 QCTAT 4185.
6 Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1.
7 Bergeron et Exact Air inc., D.T.E. 2012T-416 (T.A.).
8 2021 QCTAT 3711.
9 Beaulieu c. Compagnie mutuelle d’assurance en église, 2021 QCTAT 2776.