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Entente sur le télétravail : le travail sans télé!

Les auteurs nous proposent un article détaillé concernant les ententes sur le télétravail. Bonne lecture!

16 septembre 2020
Me Geneviève Beaudin et Me Nicola Di Iorio, associés chez BCF, <br/>droit du travail et de l’emploi

Depuis la mi-mars 2020, les opérations des entreprises ont subi des modifications d’envergure. De façon massive, nombre d’employeurs ont dû se résigner à exiger que leurs salariés exécutent leurs prestations en télétravail. Six mois plus tard, cette situation demeure une réalité pour maintes entreprises et, pour plusieurs d’entre elles, ce mode de fonctionnement temporaire prend de plus en plus des allures permanentes. Dans tous les cas, si ce n’est déjà fait, il est primordial que les entreprises encadrent la prestation de travail à domicile par le biais d’ententes particulières.

Dans cette optique, nous considérons opportun de rappeler ici certains éléments pertinents à prendre en considération lors de la rédaction de telles ententes.

Dans un premier temps, précisons qu’au Québec, le législateur n’a pas prévu d’encadrement légal propre au télétravail contrairement, par exemple, à la France[1]. L’entente de télétravail conclue ici doit néanmoins respecter toute disposition législative applicable, comme pour tout autre contrat de travail. Ainsi, une telle entente doit être rédigée dans le respect des dispositions d’ordre public prévues, par exemple, à la Loi sur les normes du travail[2] ou à la Charte des droits et libertés de la personne[3] et aussi, en prenant en compte les circonstances, à la Loi sur la santé et la sécurité du travail[4]. Puisque ce contrat n’est généralement pas librement négocié et qu’il s’agit donc d’un contrat d’adhésion, l’employeur doit se garder d’y insérer des clauses abusives.

Sous réserve de ce qui précède, les éléments suivants devraient donc être inclus, ou du moins envisagés, lors de la rédaction de toute entente de télétravail.

1. Durée de l’entente

S’il s’avère anodin, cet élément est néanmoins essentiel. Le présent contexte de la Covid-19 lui confère une importance d’autant plus marquée. En effet, en temps normal, la conclusion par un employeur d’une entente de télétravail avec un salarié est entourée de réflexions importantes de part et d’autre, et le contenu de cette entente en est le reflet.

En mars dernier, de nombreux salariés ont eu à entreprendre d’effectuer du télétravail sans que les parties conviennent clairement des paramètres de ce nouveau mode de fonctionnement. Si, dans l’esprit de l’employeur, il se voulait temporaire, bien des salariés l’ont perçu autrement.

Or, le lieu d’exécution du travail peut constituer, tant pour un salarié que pour son employeur, un élément fondamental de son contrat de travail. Une entente portant sur le télétravail devrait donc établir clairement tout paramètre quant à sa durée afin d’éviter tout malentendu ou toute confusion, de part et d’autre. Surtout, il permet à l’employeur de conserver un contrôle sur l’évolution de la situation.

Dans le contexte de la Covid-19, le changement de lieu de travail s’avère, pour plusieurs, temporaire. Une mention particulière doit donc être incluse dans l’entente de télétravail. Si la durée ne peut être spécifiée dès la conclusion de l’entente, elle devra néanmoins souligner son caractère temporaire. Une clause peut notamment prévoir :

  • Durée estimée, sujette à révision;
  • Période probatoire;
  • Durée indéterminée avec réserve du droit de l’employeur d’y mettre fin;
  • Prolongation de l’entente, sous certaines conditions;
  • Préavis nécessaire à sa résiliation;
  • L’entente constitue un privilège accordé au salarié, sujette à modification ou à résiliation par l’employeur, à sa discrétion;
  • Exemples de circonstances où l’employeur mettra fin à l’entente : non-respect de l’entente, manquements disciplinaires (y compris des « absences » répétées et non justifiées), rendement insuffisant, organisation du travail déficiente, non-respect des échéanciers, reprise de certaines activités de l’entreprise, changements à la nature du poste ou aux attentes, etc.

2. Lieu de travail

L’entente de télétravail devrait également inclure toute attente particulière de l’employeur quant au lieu d’exécution du travail. Pensons aux attentes suivantes :

  • Exigence de travailler à la résidence (principale ou secondaire) du salarié, par opposition à chez un tiers (parent, ami, hôtel, etc.);
  • Espace de travail (ex. : bureau fermé, le salarié déclare pouvoir utiliser un espace de travail tout au long de sa journée de travail, etc.);
  • Absence d’accès par des tiers aux dossiers ou au matériel informatique;
  • Le salarié n’a pas la charge de garder ou de superviser de jeunes enfants (à définir) lors de ses heures de travail à la maison;
  • Lieu pour réunions d’affaires (ex. : aux bureaux de l’employeur ou réunions exclusivement virtuelles).

3. Modalités liées à des présences obligatoires au bureau

Si le télétravailleur peut se présenter aux locaux de l’entreprise ou est tenu de s’y présenter, prévoir des clauses à cet effet. Par exemple :

  • Présence à l’entreprise assujettie à une obligation d’en informer à l’avance une personne désignée et/ou en avoir obtenu l’autorisation préalable;
  • Présence certains jours déterminés ou un minimum ou maximum de jours par semaine.

4. Horaire de travail

L’employeur doit clairement informer le salarié de ses attentes quant à l’horaire de travail. Elles peuvent être en heures ou en volume, ou un ensemble des deux. Ces attentes peuvent prendre différentes formes, dont les suivantes :

  • Heures fixes de travail;
  • Heures flexibles;
  • Période de temps à l’intérieur de laquelle le salarié doit travailler (ex. : au plus tôt à 7 h 30 et au plus tard à 18 h);
  • Rencontres téléphoniques ou virtuelles à des heures prédéterminées.

5. Absences

Une clause devrait spécifiquement être prévue dans l’entente pour déterminer les règles à suivre en cas d’« absence » du salarié en télétravail :

  • Personne devant être informée, par quel moyen et dans quel délai;
  • Se référer aux politiques de l’entreprise en matière de congé, de vacances, d’absence pour maladie, etc.

6. Matériel

Une clause relative au matériel utilisé par le télétravailleur peut prévoir des éléments tels que :

  • Matériel fourni par l’employeur (et s’il s’agit d’un prêt seulement);
  • Matériel informatique et accès aux réseaux nécessaires à l’exercice des fonctions du salarié;
  • Soutien technique de l’équipe informatique offert au salarié;
  • Responsabilité du salarié quant aux coûts liés à l’aménagement et à l’entretien du lieu de télétravail – ou encore montant accordé par l’employeur à cet égard et propriété après la fin de l’entente : mobilier du poste de travail, frais additionnels de chauffage, d’électricité ou d’assurance habitation, coûts de construction d’une pièce dédiée au télétravail au domicile, etc.;
  • Responsabilité du salarié quant au maintien dans un bon état de fonctionnement de l’équipement informatique prêté, le cas échéant, et d’en assurer la protection;
  • Utilisation du matériel fourni ou prêté à des fins professionnelles uniquement, à moins d’une entente particulière.

Une attention particulière doit également être apportée afin que les dispositions de l’entente quant au matériel requis ne contreviennent pas à l’article 85.1 de la L.n.t. et n’aient pour effet que le salarié reçoive moins que le salaire minimum. Soulignons également que l’employeur n’a pas à rembourser le salarié lorsqu’il possède déjà l’équipement nécessaire au moment de l’embauche[5].

L’entente devrait également inclure une clause concernant le retour de tout le matériel utilisé ou généré par le salarié au courant de la période de télétravail. Pensons, par exemple, à tous les équipements, systèmes, programmes informatiques, documents ainsi qu’à toutes les données et autres informations de toute nature utilisés ou générés pendant le télétravail.

7. Prestation de travail/Rendement

Une entente de télétravail devrait constituer un privilège pour le salarié. Elle doit être explicite à cet effet. Ce privilège peut prendre fin en tout temps, notamment si la prestation de travail est jugée insuffisante ou autrement problématique par l’employeur. Dans la plupart des cas, le télétravail se fait à la résidence, lieu où d’autres personnes peuvent vivre. Bien que l’employeur ne puisse nier cette réalité, la prestation de travail doit conserver tout son sens dans l’entente de télétravail. Elle devrait notamment prévoir ceci :

  • Le salarié doit consacrer tout son temps, toute son énergie et toutes ses compétences à ses tâches, durant ses heures de travail;
  • Le salarié s’engage à ne réaliser que des tâches professionnelles durant la période où il déclare travailler; il ne doit ainsi accepter aucun autre emploi ou ne participer à aucune activité extérieure, ou à d’autres activités pendant les heures de travail régulières;
  • Les tâches accomplies au lieu de télétravail ne doivent pas être inférieures, et les produits de la prestation doivent être au moins équivalents à ce qu’ils étaient lorsque la prestation était exécutée à l’établissement de l’employeur;
  • Des rencontres de suivi d’évaluation du rendement auront lieu. Elles permettront d’établir les attentes et d’évaluer la productivité.

8. Rémunération

Il y a lieu de préciser la rémunération du salarié durant la période de télétravail, y compris toute modification, le cas échéant, à ses conditions d’entente préalable. Des directives précises concernant l’autorisation et les modalités d’exercice des heures supplémentaires devraient également être prévues.

9. Rappel des diverses politiques

Il est fort utile de rappeler l’application continue des autres politiques de l’entreprise, y compris en télétravail. Le salarié doit ainsi respecter toutes les politiques de l’employeur, dont celles liées à la santé et à la sécurité, au harcèlement au travail, à la vie privée, à la confidentialité, à l’utilisation des médias sociaux, etc.

L’entreprise peut également prévoir une politique propre au télétravail, auquel cas l’entente devra nécessairement y faire référence.

10. Confidentialité

Il est primordial de rappeler au salarié qu’il a en sa possession des données confidentielles de l’employeur et doit faire preuve d’une grande prudence. Prévoir des dispositions concernant notamment ce qui suit :

  • L’information confidentielle demeure la propriété exclusive de l’employeur;
  • Le salarié ne peut utiliser, divulguer, diffuser, autrement distribuer à quelque personne que ce soit ou autrement rendre publique toute information confidentielle;
  • Le salarié doit prendre toutes les mesures requises pour assurer la protection de l’information.

11. Santé et sécurité

L’employeur assujetti aux dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail ainsi qu’à différents règlements doit, notamment, participer avec le télétravailleur à l’identification et à l’élimination des risques d’accident du travail et de maladie professionnelle sur le lieu du télétravail et prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé, la sécurité et l’intégrité physique du télétravailleur.

L’entente peut prévoir que, pour assurer cette conformité, l’entreprise peut convenir, avec le télétravailleur, des modalités de visite à son lieu de télétravail ou se baser sur une attestation du télétravailleur selon laquelle son lieu de télétravail ne comporte pas de risque connu, ou susceptible de l’être, quant à sa santé, à sa sécurité et à son intégrité physique.

Le télétravailleur doit aussi prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité et son intégrité physique. L’entente pourrait également préciser l’obligation du salarié d’aviser dans les plus brefs délais son superviseur de tout accident ou de toute blessure dont il pourrait avoir été victime au lieu de télétravail.

Conclusion

D’autres clauses peuvent compléter toute entente de télétravail, y compris des mentions précises quant aux pouvoirs discrétionnaires de l’employeur d’y apporter des modifications. Nous suggérons qu’elle soit complétée par une politique générale en matière de télétravail. Dans tous les cas, le contenu de l’entente devrait être le fruit de véritables réflexions, avec une approche « sur mesure ».

Dans ce texte, le genre masculin est utilisé comme genre neutre.


Me Geneviève Beaudin et Me Nicola Di Iorio, associés chez BCF,
droit du travail et de l’emploi

Source :

Source : VigieRT, septembre 2020.

1 Consulter le site suivant : https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;jsessionid=79C4DEE8C8DFC02668324E0AFF057ABE.tplgfr33s_1?idSectionTA=LEGISCTA000025558058&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20190326
2 RLRQ, c. N-1.1 (la « L.n.t. »).
3 RLRQ, c. C-12.
4 RLRQ, c. S-2.1.
5 Outil d’interprétation de la CNESST, article 85.1 :Loi sur les normes du travail).