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Renforcer la lutte contre le harcèlement au travail

Depuis le début des années 2000, le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour prévenir et contrer le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel au travail. Pourtant, ces conduites persistent au sein des organisations. Comment les endiguer?
16 septembre 2025
Fanny Rohrbacher

«En 2023, la CNESST[1] enregistre un nombre record de [6300] plaintes pour harcèlement psychologique et sexuel au travail!», s’exclame Anne-Marie Delagrave, professeure à la Faculté de droit de l'Université Laval. Elle a offert une conférence sur le sujet à l’occasion du colloque du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT), à Montréal en octobre 2024. Un constat troublant qui remet en question les mesures introduites par le législateur.

Des lois efficaces?

Anne-Marie Delagrave s’est intéressée à l'effectivité des approches législatives, comme la Loi sur les normes du travail (LNT). Depuis 2018, cette dernière prévoit expressément l'obligation de l'employeur d'adopter une politique de prévention du harcèlement au travail et de la diffuser à son personnel. «43 % des CRHA ont adopté leur politique entre 2018 et 2022, ou l’ont modifiée en raison des réformes», note la professeure dans son étude. Elle tire la conclusion que l’intégration d’une obligation précise dans la législation semble constituer un facteur d'effectivité du droit.

Le Projet de loi 42, Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail[2], [3], lui, a été adopté au printemps 2024. «Il oblige  les organisations non seulement à avoir une politique, mais aussi à mettre en place des processus. C'est très rassurant, ça amène une rigueur dans le traitement des situations de harcèlement », affirme Geneviève Lord, CRHA, ECH. Également, il oblige à un encadrement des conduites à adopter lors d'activités sociales et en télétravail . L’Ordre a d’ailleurs déposé un mémoire[4], [5] dans le cadre de la Commission parlementaire du projet.

Malgré les efforts du législateur, un sondage[6] effectué par Léger en 2023 révèle qu’une personne salariée sur trois ne sait pas si une telle politique de prévention existe dans son milieu de travail. «C'est super important qu'elle soit accessible! Une personne qui vit du harcèlement veut avoir accès à l'information sans nécessairement être obligée, à visage découvert, de demander où elle se trouve si elle souhaite déposer une plainte», atteste Geneviève Lord. Elle précise aussi que les situations de harcèlement non gérées, tout comme les enquêtes, coûtent très cher. Tant côté financier qu’humain.

Alors, comment faire mieux? «Plusieurs experts et expertes soulignent que c'est en agissant à trois niveaux que l'on peut arriver à une prévention efficace et durable», souffle Anne-Marie Delagrave.

Jouer sur tous les tableaux

On considère trois niveaux de prévention du harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel :

  1. Primaire: pour éliminer les risques à la source et empêcher sa survenance.
    Selon Geneviève Lord, «la meilleure façon de déceler les risques, c'est de mettre en place des inspections préventives». La CNESST propose un outil et des grilles d’identification de ceux-ci[7].
  2. Secondaire: pour limiter la réalisation du risque, préparer les individus à reconnaître les situations de harcèlement et à les gérer.
    «Séances d'information, formations, comment on agit, comment on réagit… On doit s'assurer que les gens savent quoi faire», souligne Geneviève Lord. La CNESST, en association avec l’Université TÉLUQ, offre un webinaire gratuit sur sur le sujet[8]. Pour sa part, l’Ordre a conçu un aide-mémoire[9] afin de guider les organisations dans la rédaction d'une politique de prévention et de traitement de telles situations.
  3. Tertiaire: pour réparer les impacts d'une situation de harcèlement, éviter qu’elle ne se dégrade et ne réapparaisse.
    Geneviève Lord vante alors le Programme de gestion en matière de harcèlement au travail[10] de l'Ordre des CRHA. Un programme complet se déclinant en cinq volets.

Au Québec, on se concentre plutôt sur l’approche tertiaire. Mais Anne-Marie Delagrave indique que «la complétude des trois niveaux de prévention semble mener à une plus grande effectivité des mesures législatives». Un constat qui ne paraît pas non plus avoir échappé au législateur québécois, qui a procédé à plusieurs réformes importantes ces dernières années[11], [12], [13]. Pour Geneviève Lord, grâce à ces modifications «on s'approche d'une prise en charge en prévention qui est de plus en plus tôt». Aux employeurs ensuite d'appliquer les lois.

Des obligations par étapes

«L'employeur doit agir dès qu'il est au courant d'une situation de harcèlement, explique Geneviève Lord. Le premier pas, quand on reçoit un signalement ou une plainte, c'est de procéder à l'analyse de recevabilité.» Pour ce faire, la plainte doit répondre aux cinq critères du harcèlement[14], [15] . Une étape souvent négligée, selon la conseillère et enquêtrice, pourtant préalable et cruciale

Il importe que la personne qui examine la plainte soit compétente. «Suite au projet de loi 42, l’organisation a l'obligation d'offrir des séances d'information et de formation à toutes les personnes salariées, mais aussi aux personnes désignées pour le traitement des situations de harcèlement.» Un pas majeur selon Geneviève Lord. Ensuite? L’enquête peut commencer. 

En tout temps, la conseillère et enquêtrice encourage les parties, et lorsque cela est possible, à prendre une pause pour privilégier des mécanismes alternatifs de règlement, comme la médiation. «Une enquête, ça a des impacts vraiment majeurs. Ça laisse définitivement des traces même si elle est très bien menée», avoue-t-elle. Que ce soit auprès des individus impliqués et de leurs proches ou au sein de l’organisation, les conséquences et les risques réputationnels sont nombreux.

Finalement, à la suite de l’enquête, la personne la menant a tout en mains pour être en mesure de «soumettre à l'employeur des recommandations plus larges pour rétablir un climat de travail sain, exempt de harcèlement. Mais aussi pour s'assurer qu'une telle situation ne se reproduise plus», appuie fermement Geneviève Lord.

L’Ordre a rédigé un guide d'encadrement[16] afin d’épauler les CRHA | CRIA mandatés par un employeur pour procéder à des enquêtes. «Il faut être organisé pour répondre aux obligations. On doit définitivement avoir une politique de prévention claire, connue, qui répond à la loi. Puis un processus rigoureux de traitement des plaintes qui soit porteur.» La clé de la réussite selon Geneviève Lord.

Bibliographie


Author
Fanny Rohrbacher Journaliste scientifique