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Projet de loi 42 : modifications récentes des lois du travail

Le projet de loi 42 a été adopté au printemps 2024 et vise à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel. Cet article vous présente les principales modifications aux lois du travail.
18 septembre 2024
Me Claire Fournier, CRIA

Introduction

Le projet de loi 42, connu sous le nom de Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail (le « projet de loi 42 »), a été adopté le 21 mars 2024 et sanctionné le 27 mars 2024. Il vise à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel. Il prévoit diverses modifications aux principales lois du travail, essentiellement afin de protéger les travailleurs dans leur milieu de travail et dans l’exercice de leurs recours. Voici donc un survol des modifications les plus importantes apportées à ces lois.

Modifications au Code du travail

Le Code du travail (« C.t ») prévoit désormais une formation obligatoire sur la violence à caractère sexuel pour les arbitres qui traitent des griefs en matière de harcèlement psychologique. Le ministre a déterminé les conditions de cette formation après avoir consulté le Comité consultatif du travail et de la main-d’œuvre.

La deuxième modification du projet de loi 42 concerne la tenue d’une conférence préparatoire à l’audition de tout grief. Elle peut être demandée par l’une des parties ou être tenue d’office par l’arbitre, alors qu’auparavant elle était proposée par l’arbitre.

Modifications à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles

Tout d’abord, l’une des modifications importantes à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (« LATMP ») est l’ajout de deux nouvelles présomptions légales visant à faciliter la preuve de la survenance d’une lésion professionnelle résultant de la violence à caractère sexuel, soit les nouveaux articles 28.0.1 et 28.0.2 :

« 28.0.1. Une blessure ou une maladie d’un travailleur est présumée être survenue par le fait ou à l’occasion de son travail lorsqu’elle résulte de la violence à caractère sexuel subie par ce dernier et commise par son employeur, l’un des dirigeants de ce dernier dans le cas d’une personne morale ou l’un des travailleurs dont les services sont utilisés par cet employeur aux fins d’un même établissement. »

« 28.0.2. Une maladie d’un travailleur qui survient dans les trois mois après que ce dernier a subi de la violence à caractère sexuel sur les lieux du travail est présumée être une lésion professionnelle. »

Ensuite, pour ce type de lésion, le délai pour produire une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (« CNESST ») est prolongé de six mois à deux ans de la lésion s’il s’agit d’un accident du travail ou dans les deux ans où il est porté à sa connaissance s’il s’agit d’une maladie professionnelle.

Ce nouveau délai entrera en vigueur à compter du 28 septembre 2024.

De plus, dans le cadre d’une plainte en vertu de la Loi sur les normes du travail (« LNT »), lorsque le Tribunal administratif du travail (« TAT ») estime probable que le harcèlement psychologique ait entraîné chez le travailleur une lésion professionnelle et qu’il réserve sa décision eu égard aux salaires, aux dommages moraux et au soutien psychologique (2e alinéa de l’article 123.16 de la LNT), le délai de deux ans pour produire une réclamation auprès de la CNESST se calcule à compter du jour de la décision du tribunal, dans la mesure où une réclamation ou un avis d’option n’a pas été produit. Cette modification a pour objectif d’éviter qu’un travailleur victime d’une lésion professionnelle ne voie son recours prescrit (Article 272.1).

Aussi, sauf exception, la CNESST impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations dues en raison d’une lésion professionnelle qui résulte de la violence à caractère sexuel subie par le travailleur [Article 327 (4)].

Rappelons qu’en matière de réclamation pour une lésion professionnelle pouvant découler de harcèlement psychologique, le TAT l’analyse sous les critères de la survenance d’un accident du travail. Ainsi, il évaluera si les événements allégués peuvent être retenus à titre d’événement imprévu et soudain. Les relations de travail conflictuelles ne sont généralement pas reconnues comme source de lésion professionnelle, incluant les difficultés de relations interpersonnelles. L’abus de l’exercice du droit de gérance pourra également peser dans la balance quant aux comportements reprochés[1].

Modifications à la Loi sur les normes du travail

La LNT est également modifiée de plusieurs façons par le projet de loi 42. Elle précise d’abord que l’obligation de l’employeur de prendre les moyens pour prévenir le harcèlement psychologique vise le harcèlement provenant de toute personne en milieu de travail, ce qui vise donc, à titre d’exemple, un fournisseur ou un client.

Désormais, la LNT prévoit que les clauses d’amnistie sont inapplicables dans les cas d’inconduite relative à la violence physique ou psychologique, incluant la violence à caractère sexuel. Ainsi, malgré une clause d’amnistie, une mesure antérieure pourra être utilisée par un employeur lors de tels types de manquements.

Une nouvelle pratique interdite a également été ajoutée à la LNT, soit le fait pour un employeur d’exercer à l’endroit d’une personne salariée des représailles ou de lui imposer toute autre sanction pour le motif que cette personne salariée lui a fait un signalement concernant une conduite de harcèlement psychologique commise envers une autre personne.

De plus, lorsqu’un règlement intervient à la suite d’une plainte relative à une conduite de harcèlement psychologique, le projet de loi confirme l’obligation de préserver la confidentialité de l’entente. Toutefois, les parties peuvent convenir de la levée de cette obligation à la condition d’indiquer expressément à l’entente le moment où la levée prend effet et les éléments qui en font l’objet. Cette entente doit se faire par écrit.

Également, le TAT pourra ordonner à l’employeur de verser des dommages et intérêts punitifs à une personne salariée victime de harcèlement psychologique.

Rappelons que concernant les recours, une plainte portée en vertu de l’article 123.6 de la LNT peut être jointe à un litige portant sur l’existence d’une lésion professionnelle afin qu’un seul juge de l’une des sections du TAT, section relations du travail ou section santé et sécurité du travail, entende les litiges.

Modifications à la Loi sur la santé et la sécurité du travail

Le projet de loi introduit à la Loi sur la santé et la sécurité du travail (« LSST ») la définition de « violence à caractère sexuel » :

« Violence à caractère sexuel » : toute forme de violence visant la sexualité ou toute autre inconduite se manifestant notamment par des gestes, des pratiques, des paroles, des comportements ou des attitudes à connotation sexuelle non désirés, qu’elles se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, ce qui inclut la violence relative à la diversité sexuelle et de genre.

Un pouvoir réglementaire est également ajouté à la CNESST pour déterminer les mesures pour prévenir ou faire cesser une situation de violence à caractère sexuel. Ce règlement encadrant la prévention de la violence à caractère sexuel en milieu de travail doit être adopté par la CNESST dans les deux ans suivant la sanction de la loi, sans quoi le gouvernement devra le faire.

Le programme de prévention ainsi que le plan d’action devront prévoir une politique de prévention et de prise en charge des situations du harcèlement psychologique visée dans la LNT.

Dans le cadre de ces mesures, l’employeur doit également identifier des risques pouvant affecter la santé des travailleurs. Le projet de loi 42 précise que les risques psychosociaux comprennent les risques liés à la violence à caractère sexuel.

Politique de prévention et de traitement du harcèlement psychologique

À compter du 28 septembre 2024, l’employeur devra avoir mis à jour sa politique en matière de prévention du harcèlement et également l’intégrer à son programme de prévention ou plan d’action prévu à la LSST.

La politique doit prévoir, entre autres, les éléments suivants :

  • Les méthodes et techniques pour identifier, contrôler et éliminer les risques de harcèlement;
  • Un programme de formation et d’information offert aux employés ainsi qu’aux personnes responsables de prendre en charge un signalement ou une plainte;
  • Les recommandations concernant les conduites à adopter lors de la participation aux activités sociales liées au travail;
  • Les modalités applicables pour déposer une plainte ou un signalement à l’employeur ou pour lui fournir un renseignement ou un document, identifier la personne désignée pour en prendre charge ainsi que l’information sur le suivi qui doit être donné par l’employeur;
  • Les mesures visant à protéger les personnes concernées par une situation de harcèlement psychologique et celles qui ont collaboré au traitement d’une plainte ou d’un signalement portant sur une telle situation;
  • Le processus de prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, incluant le processus applicable lors de la tenue d’une enquête par l’employeur;
  • Les mesures pour assurer la confidentialité d’une plainte, d’un signalement, d’un renseignement ou d’un document reçu ainsi que le délai de conservation des documents faits ou obtenus dans le cadre de la prise en charge d’une situation de harcèlement psychologique, d’au moins deux ans.

Conclusion

En conclusion, les employeurs doivent d’ores et déjà modifier leurs politiques et procédures pour intégrer ces modifications relatives à la prévention et à la protection, faute de quoi ils seront soumis à des sanctions plus sévères.

Avis juridique

Le contenu de cet article ne constitue pas un avis juridique de notre cabinet et ne peut en aucun cas engager la responsabilité de Morency.


Author
Me Claire Fournier, CRIA Avocate Morency Société d'avocats
Claire Fournier a débuté sa pratique au sein du contentieux de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). Par la suite, elle a joint d’autres grands cabinets privés spécialisés en droit du travail et en droit de la santé et sécurité du travail, où elle a eu l’occasion de représenter, entre autres, des employeurs des secteurs forestiers, miniers, manufacturiers et des services de la santé.

En février 2003, elle a intégré le contentieux de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ) où elle a occupé le poste de directrice aux affaires juridiques et politiques SST. À ce titre, elle a supervisé une équipe juridique dédiée aux litiges relatifs à la santé et la sécurité du travail, pour les membres de l’APCHQ ainsi que pour diverses entreprises membres de mutuelles de prévention gérées alors par l’APCHQ.

Claire a traité de dossiers litigieux sous tous les aspects de la santé et sécurité du travail, en indemnisation-réparation, en prévention et en financement. Elle a collaboré à plusieurs activités de formation des employés et des employeurs, en plus de participer activement à différents comités formés au sein d’organismes, tels que le Conseil du patronat du Québec, l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés et le Barreau du Québec.

Elle a également été conférencière à plusieurs reprises relativement à des sujets concernant les lésions professionnelles et la santé et sécurité au travail. Certaines de ces conférences ont fait l’objet de publications.

Source : VigieRT septembre 2024

1 Vigneault et Municipalité de Cantley, 2023 QCTAT 1788; Ville de La Tuque et Morissette, 2023 QCTAT 3374; Sabbagh et Centre de services scolaire de Montréal, 2023 QCTAT 4710.