Intitulé
Scutt et 3903214 Canada inc., 2024 QCTAT 3133 *
Juridiction
Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (T.A.T.), Lanaudière
Type d'action
Contestation par le travailleur d'une décision ayant déclaré qu'il n'avait pas subi de lésion professionnelle — rejetée.
Décision de
Réjean Côté, juge administratif
Date
28 août 2024
Décision
Le travailleur, un soudeur, a produit une réclamation pour un état de stress post-traumatique qui découlerait d'un événement survenu au travail — les déclarations qu'il a offertes à différentes époques renferment plusieurs contradictions majeures quant à certains éléments clés et même déterminants — en ce qui concerne la dispute qui a eu lieu, le Tribunal retient que le travailleur s'était installé dans l'aire de travail de son collègue pour y fabriquer un banc — ce dernier n'a pas apprécié sa présence en ces lieux, notamment en raison des débris de soudure que le travailleur provoquait, et lui a demandé de continuer son projet ailleurs — le travailleur a refusé ou a tout simplement ignoré son collègue — une fois son travail terminé, il a déposé le banc sur le sol — son collègue a donné un coup de pied sur le banc — il est également possible qu'il ait projeté les outils du travailleur — ce dernier a empoigné son collègue et l'a poussé sur une porte d'acier, lui occasionnant ainsi une blessure à l'épaule — une dispute avec contact physique peut correspondre à un événement imprévu et soudain — il existe cependant une différence entre l'agresseur et l'agressé — un geste violent et délibéré, et non un simple réflexe, n'a bien souvent rien d'imprévu et soudain pour son auteur — la définition d'«accident du travail» implique l'existence d'un événement imprévu et soudain «qui survient à une personne» et non qui est imposé par une personne.
Selon la tendance qui se dégage de Brasserie Marco Polo inc. et Landry (C.L.P., 1999-09- 02), SOQUIJ AZ-99302073, Méthot et Venmar Ventilation inc. (C.L.P., 2006-08-08), SOQUIJ AZ-50387357, et Morin et Olymel St-Simon (C.L.P., 1999-07-21), SOQUIJ AZ-99301597, l'agression n'est pas un geste de nature professionnelle pour l'agresseur — elle l'est pour la victime lorsqu'elle n'y a pas participé de façon importante — en l'espèce, rien ne fondait le travailleur a réagir de façon aussi agressive — son collègue ne le menaçait pas, et le travailleur n'avait aucune raison de craindre pour sa sécurité — ce dernier est un homme costaud et imposant, contrairement à son collègue, qui, au surplus, était limité par des séquelles physiques importantes à l'un de ses membres supérieurs au moment de l'événement — en outre, le collègue n'a été l'initiateur d'aucun contact physique — le travailleur a été contrarié, mais cela était nettement insuffisant pour justifier la suite des choses — il ne faut pas perdre de vue que la réaction du collègue a été causée par le comportement du travailleur, qui refusait d'aller s'installer à un autre endroit — en s'en prenant physiquement à son collègue, le travailleur est devenu à la fois l'instigateur et le seul acteur de la dispute.
L'événement n'est pas survenu par le fait du travail ni «à l'occasion du travail» — la querelle a eu lieu sur les lieux du travail, alors que le travailleur était rémunéré — il était sans doute soumis à l'autorité de l'employeur — la finalité même de l'activité exercée ne relevait aucunement du travail — au contraire, il s'agissait d'un geste nuisible — le fait que l'objet même de la dispute soit relié au travail n'a aucune importance — accréditer la thèse contraire équivaudrait à accepter, à normaliser et même à banaliser l'emploi de la force brute pour imposer son point de vue et mettre un terme aux discussions animées entre collègues — à moins de circonstances exceptionnelles, que la preuve ne révèle pas en l'espèce, le Tribunal ne saurait accepter pareil résultat — ce raisonnement ne vaut que pour l'instigateur véritable de l'agression — la victime innocente d'un acte violent, alors qu'elle se trouve à son travail, est bel et bien victime d'un événement imprévu et soudain par le fait ou à l'occasion de son travail — une personne peut également être placée dans une situation où elle n'a pas le choix de se défendre contre les assauts d'une autre — une agression mineure et insignifiante ne saurait par ailleurs justifier une réplique délibérément excessive — la jurisprudence offre une autre tendance, sans nul doute majoritaire, illustrée par Société Terminaux Montréal Gateway et Majeau (T.A.T., 2023-12-05), 2023 QCTAT 5094, SOQUIJ AZ-51988670, 2024EXPT-111 — selon les principes qui se dégagent de cette décision, il n'y a pas lieu d'établir une différence entre l'agresseur et la victime puisque la loi s'applique sans égard à la responsabilité de quiconque — il s'ensuit qu'un travailleur qui choisit délibérément d'engager le combat, et qui en est même l'initiateur à tous les égards, pourrait bénéficier des indemnités et autres avantages prévus à la loi, pourvu que la dispute soit en lien avec le travail — la seule exception possible réside dans l'application de l'article 27 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles — le Tribunal ne peut se rallier à cette position — même si les droits conférés par la loi le sont sans égard à la responsabilité de quiconque, cela ne change rien aux autres exigences prévues par celle-ci — pour conclure à un accident du travail, il faut qu'un événement imprévu et soudain survienne à une personne par le fait ou à l'occasion du travail — lorsqu'une personne agresse un collègue sans raison suffisante, elle s'exclut de sa sphère professionnelle — le fait que la dispute soit reliée ou non au travail ne change rien — ce qu'il importe de déterminer, ce sont les motifs qui ont mené à l'utilisation de la force physique elle-même.
Même si le Tribunal avait accepté de suivre l'enseignement proposé par Société Terminaux Montréal Gateway, le résultat n'aurait pas été différent — en bousculant son collègue au point de lui causer une blessure à l'épaule, le travailleur a fait preuve de négligence grossière et volontaire — l'employeur avait le droit d'agir comme il l'a fait — la suspension du travailleur et le changement de département était justifié — aucun élément ne permet de conclure à la survenance de quelque abus que ce soit en ce qui concerne le droit de direction ni qui s'apparente à une manoeuvre frauduleuse, ou empreinte de mauvaise foi — le travailleur n'a pas subi de lésion professionnelle.
Suivi : Pourvoi en contrôle judiciaire, 2024-09-30 (C.S.), 500-17-131547-245.