L’insertion professionnelle des personnes neurodiversifiées[1] demeure un défi majeur au Québec. Les données disponibles, souvent limitées et désuètes, révèlent une faible représentativité de ces personnes sur le marché du travail et un manque de visibilité statistique préoccupant. Les initiatives d’insertion professionnelle se transforment parfois en parcours sans issue, maintenant les participants dans des rôles précaires. Reconnaître la neurodiversité, incluant l’autisme, le TDAH et d’autres profils atypiques, invite à repenser l’emploi sous l’angle de la flexibilité, de l’inclusivité et de la valorisation des forces uniques de chacun.
En tant que CRHA | CRIA, comment concilier une réelle insertion professionnelle des personnes neurodiversifiées en cohérence avec les pratiques organisationnelles? Cet article met en lumière cinq piliers sous forme de bonnes pratiques à mettre en œuvre pour quiconque souhaite bâtir des organisations plus inclusives.
Les piliers de l’insertion professionnelle
L’emploi : un vecteur de participation citoyenne
Selon Amartya Sen (1987), l’emploi constitue un levier central d’insertion qui permet aux personnes neurodiversifiées de devenir des sujets actifs de la société plutôt que de subir la dépendance aux programmes de soutien gouvernementaux.
Les CRHA ǀ CRIA peuvent intervenir dès le recrutement jusqu’à la rétention en s’assurant que les processus RH soient équitables, transparents et centrés sur les compétences. Certains éléments peuvent faire toute la différence :
- formation à la neurodiversité des recruteurs et gestionnaires pour réduire les interprétations erronées des comportements;
- plan d’intégration détaillé en emploi;
- présentation claire des règles informelles du milieu de travail souvent moins évidentes pour la majorité des personnes neurotypiques (pauses, hiérarchie implicite, etc.);
- évaluation continue de la charge sensorielle (sensibilités, interactions sociales) et ajustements au besoin;
- flexibilité et prévisibilité quotidienne des horaires et des tâches selon le degré d’énergie et les pics de concentration;
- culture organisationnelle inclusive en sensibilisant et formant le personnel à la neurodiversité et à la reconnaissance de la contribution de chacun au sein de l’organisation.
Pour favoriser l’insertion professionnelle, il faut reconnaître la diversité cognitive comme une richesse organisationnelle plutôt que comme une contrainte.
Une vision renouvelée de l’insertion professionnelle
Au-delà des adaptations individuelles des environnements de travail, l’insertion professionnelle des personnes neurodiversifiées suppose un changement de paradigme, où l’on conçoit le travail comme un espace favorisant à la fois l’épanouissement mutuel de la personne au sein de l’organisation (Perrier et Edey Gamassou, 2024) et la construction de sa santé au travail (Dautel et al., 2025).
Cette vision renouvelée de l’insertion professionnelle ne voit pas l’emploi comme étant seulement accessible, mais aussi adaptable aux caractéristiques et aux forces de chacun. Les organisations redonnent ainsi un pouvoir d’agir à chacun en leur offrant une autonomie, un réel choix d’emploi et une possibilité de développement professionnel. Cette vision suppose une flexibilité organisationnelle comme levier d’équité permettant d’adapter les conditions d’emploi et de travail aux capacités, aux forces et aux aspirations individuelles. Cette approche dépasse la simple logique d’insertion pour mettre de l’avant le plein exercice de la citoyenneté active (Dautel, 2023) des personnes neurodiversifiées par le travail.
Cette vision, ancrée dans la gestion inclusive, invite les RH à avoir une vision globale des enjeux de la neurodiversité et à réfléchir aux conditions d’emploi et de travail favorisant la stabilité, la compréhension et la reconnaissance. Elle repose sur des valeurs de respect, d’autodétermination, de valorisation sociale et de collaboration interdisciplinaire (RH, ergonomie, intervention, direction) pour et avec les personnes concernées.
Des milieux de travail pensés pour la neurodiversité, mais aussi pour l’ensemble des travailleurs
Un environnement inclusif se construit par une organisation adaptée aux caractéristiques de ses travailleurs (Doussard et al., 2024). La réduction des sources de surcharge sensorielle (lumière, bruits, etc.), l’accès à des équipements ergonomiques et à des espaces de retrait ou de repos favorisent la concentration, diminuent grandement l’anxiété et rehaussent la productivité et la rétention.
Ces aménagements organisationnels ne se limitent pas à des accommodements individuels, mais bien à une transformation du design du travail et des modes de fonctionnement des milieux de travail qui bénéficieront à l’ensemble des travailleurs.
Les CRHA ǀ CRIA peuvent collaborer avec les gestionnaires pour instaurer des pratiques d’aménagements universels profitant à tous. L’enjeu n’est plus seulement de compenser les difficultés, mais bien de créer des milieux plus humains et attentifs à la diversité des besoins.
L’accompagnement humain et le développement professionnel
La réussite de l’insertion professionnelle des personnes neurodiversifiées dépend également d’un accompagnement structuré et humainement significatif (Bacqué, 2022). L’accès à un soutien individualisé, par un mentor formé, un collègue de soutien, des professionnels spécialisés ou encore un gestionnaire sensibilisé, constitue un facteur déterminant de rétention en emploi et de bien-être psychologique des travailleurs neurodiversifiés.
L’accompagnement permet non seulement de faciliter l’adaptation initiale, mais aussi de traduire les codes informels (hiérarchie implicite, vie sociale d’équipe, etc.) du milieu de travail. Ces dispositifs d’accompagnement permettent un soutien à la communication, un appui socioprofessionnel et un accompagnement organisationnel.
Cet accompagnement permet aussi de mettre de l’avant un modèle d’accompagnement sur une logique de codéveloppement puisque la personne accompagnée est une partie prenante active dans son plan d’insertion, plutôt qu’un simple bénéficiaire de soutien. En effet, cette logique de codéveloppement est seulement viable lorsqu’elle repose sur la participation sociale et la coopération mutuelle (Ebersold, 2023). Le codéveloppement renforce l’autodétermination et la reconnaissance du potentiel professionnel.
Les CRHA ǀ CRIA peuvent mettre en place des programmes de mentorat entre des employés sensibilisés à la neurodiversité et les personnes neurodiversifiées. Ces pratiques renforcent le sentiment de confiance mutuelle et favorisent l’acquisition de compétences progressives et au rythme de la personne.
L’organisation du travail centrée sur les forces
L’un des principes fondamentaux de l’insertion professionnelle des personnes neurodiversifiées repose sur la reconnaissance de leurs forces, de leurs champs d’intérêt et de leurs aspirations. On parle ici de l’approche des capabilités d’Amartya Sen (1987). Ce pilier va au-delà de l’adaptation : il s’agit de concevoir des emplois où chaque personne mobilise ses compétences, évolue selon ses objectifs et trouve un sens dans son travail.
Les CRHA ǀ CRIA et les gestionnaires sont donc invités à repenser les manières d’évaluer la performance et le potentiel dans l’organisation. L’enjeu n’est plus de corriger la personne pour qu’elle s’adapte à la norme, mais de transformer les pratiques RH pour que la norme devienne plus inclusive des différents besoins.
En s’appuyant sur une approche de capabilité valorisant ce que la personne neurodiversifiée choisit réellement pour s’accomplir, les CRHA ǀ CRIA peuvent concevoir des postes plus adaptés, flexibles et motivants. Cela passe notamment par des horaires flexibles et modulables, des tâches en adéquation avec les champs d’intérêt et la possibilité d’évoluer à son propre rythme. En misant sur les forces plutôt que les limitations, les CRHA ǀ CRIA renforcent les performances individuelles, le sentiment d’appartenance et de bien-être, de même que le maintien et la fidélisation.
Conclusion
L’inclusivité véritable ne repose pas uniquement sur des accommodements ponctuels, mais sur une évolution en profondeur des pratiques RH. En adaptant les processus d’embauche, en créant des milieux neuro-inclusifs, en misant sur un accompagnement humain et en valorisant les forces de chacun, les CRHA ǀ CRIA deviennent des acteurs essentiels du changement. Reconnaître la neurodiversité comme une richesse permet à chacun de contribuer pleinement à la réussite collective, tout en transformant les organisations en espaces plus humains, équitables et durables.
En outre, repenser la neurodiversité au travail, c’est transformer nos organisations en espaces d’apprentissage mutuel où chacun contribue à redéfinir ce que travailler, inclure et collaborer veulent réellement dire.
Bibliographie
Bacqué, J. (2022). Obstacles et facilitateurs dans l’insertion professionnelle des personnes autistes : le rôle de l’accompagnement. Revue française de l’autisme, 15(2), 45–62.
Chapdelaine, N., Smith, É.-L., & Poirier, N. (2024). Liens et valeurs prédictives du raisonnement fluide et des fonctions exécutives sur les habiletés en mathématiques d’élèves québécois ayant un trouble du spectre de l’autisme. Annales de Didactique et de Sciences Cognitives, 29. https://doi.org/10.4000/12ym0
Dautel, J.-P. (2023). Comment le droit français et le droit québécois organisent-ils et participent-ils à l’insertion professionnelle et au maintien dans l’emploi des travailleurs ayant un trouble de santé mentale? [Thèse de doctorat en droit, Université d’Ottawa].
Dautel, J.-P., Dufour Poirier, M., Lhuillier, D., et Viviers, S. (2025). Réforme de la SST : Repenser la question de la santé mentale : Coconstruire la prévention sur la base du travail de santé. Revue RH, 28(1), 21-22.
Deci, E. L., & Ryan, R. M. (1985). Intrinsic motivation and self-determination in human behavior. Plenum.
Dossier | Programme d’intégration au travail | « C’est carrément de l’exploitation » (3 articles). (2025). La Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/programme-d-integration-au-travail/c-est-carrement-de-l-exploitation/2025-05-31/traites-comme-d-eternels-stagiaires.php
Doussard, C., Garbe, E., Morales, J. et al. Universal Design for the Workplace: Ethical Considerations Regarding the Inclusion of Workers with Disabilities. J Bus Ethics 194, 285–296 (2024). https://doi.org/10.1007/s10551-023-05582-y
Ebersold, S. (2023). Capital identitaire, participation sociale et effet d’affiliation. Dans V. Guerdan, G. Petitpierre, J.-P. Moulin &; M.-C. Haelewyck (Éds), Participation et responsabilités sociales : Un nouveau paradigme pour l’inclusion des personnes avec une déficience intellectuelle (p. 55–68). Éditions Peter Lang.
Enquête canadienne sur l’incapacité, 2017 : Guide des concepts et méthodes. (2018). https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-654-x/89-654-x2018001-fra.htm
Perrier, A. et Edey Gamassou, C. (2024). XX. Evangelia Demerouti – Une redéfinition de l’étude du bien-être au travail. Dans F. Chevalier, C. Coron, H. Gaillard et E. Oiry Les grands auteurs en Gestion des ressources humaines (p. 265-279). EMS Éditions. https://doi.org/10.3917/ems.cheva.2024.01.0265.
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[1] Le terme « personnes neurodiversifiées » met l’accent sur la diversité naturelle des fonctionnements neurologiques au sein de la population, au même titre que la diversité culturelle ou biologique. Il reconnaît que chaque individu contribue à cette pluralité sans établir de norme implicite. À l’inverse, le terme « neurodivergent » suppose une divergence par rapport à une norme dite “neurotypique”, et met donc davantage l’accent sur l’écart. Dans notre usage, le choix du mot « neurodiversifiées » vise à souligner la richesse et la complémentarité des profils, plutôt qu’une opposition à la norme.
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