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Conflits interculturels : comprendre, prévenir et intervenir

Cet article explore les causes des conflits interculturels en milieu de travail. Il présente des stratégies de prévention et d’intervention, et souligne le rôle essentiel des CRHA pour bâtir des environnements inclusifs, performants et durables.
21 octobre 2025
Patricia Kimvuidi, CRHA, Médiatrice accréditée

Le visage du monde du travail québécois a énormément évolué au cours des 30, 20, 10 et même ces cinq dernières années. Ces changements sont dus à une nouvelle réalité : des besoins de main-d’œuvre qui ne cessent de se transformer. Aujourd’hui, les organisations réunissent des personnes issues des quatre coins de la planète; les environnements de travail ne sont donc plus homogènes. La mondialisation et les différents programmes gouvernementaux ont facilité l’immigration et favorisé l’intégration de ces talents dans la société québécoise.

Malgré ces efforts importants, notamment dans les secteurs en pénurie, de nombreux exemples témoignent de difficultés et d’insuccès : conflits interpersonnels, isolement, non-rétention, épuisement professionnel ou encore échecs dans l’intégration et la reconnaissance des acquis. Trop souvent, ces situations sont attribuées à l’individu : manque de performance, de compétences ou d’habiletés interpersonnelles. Pourtant, une analyse plus fine révèle des causes systémiques, culturelles et relationnelles qu’il est urgent de décoder et de corriger dans le monde organisationnel.

Les CRHA et CRIA ont un rôle essentiel à jouer pour comprendre, prévenir et accompagner les personnes concernées dans ces situations. Cet article vise à outiller les professionnelles et professionnels RH afin qu’ils puissent reconnaître les signes de conflits interculturels et soutenir les gestionnaires dans leur approche.

Des échecs révélateurs d’un malaise collectif

En 2024, un rapport relayé par Le Devoir a mis en lumière une situation préoccupante dans deux établissements d’enseignement au Québec. Des infirmières et infirmiers, expérimentés dans leur pays d’origine et recrutés dans le cadre de programmes gouvernementaux, auraient été exposés à des propos humiliants, à caractère raciste, ainsi qu’à des formes répétées d’intimidation.

Une situation vécue illustre bien ce malaise. Une gestionnaire a un jour déclaré :

«Patricia, je ne vais plus considérer cet employé dans le processus de recrutement pour un poste permanent.»

Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer sa décision, sachant que l’employé n’avait même pas encore passé d’entrevue, elle a répondu :

«Il est resté devant ma porte pendant 30 minutes alors que j’étais au téléphone… il n’est pas très allumé

Bien que choquant, ce cas n’est ni isolé ni anodin. Il met en évidence un décalage fondamental entre les intentions d’inclusion et la réalité des pratiques sur le terrain.

Comprendre : repérer les déclencheurs

L’environnement d’accueil doit être préparé à composer avec des différences culturelles. Pour cela, il est essentiel de disposer de balises permettant de comprendre les codes sociaux, les styles de communication et les rapports hiérarchiques différents. Mal interprétées, ces différences peuvent se transformer en tensions, puis en conflits, entraînant des échecs tant personnels qu’organisationnels.

Les déclencheurs les plus fréquents sont :

  • Différences culturelles
  • Difficultés d’adaptation
  • Écarts de valeurs, coutumes, normes et codes sociaux
  • Problèmes de communication
  • Barrières linguistiques et culturelles
  • Différences dans les structures sociales
  • Interprétation erronée des messages et des comportements

Prévenir : instaurer une culture inclusive

La prévention repose sur un environnement où la diversité est reconnue, valorisée et comprise. Parmi les leviers efficaces, on retrouve :

  • La sensibilisation et la formation en continu pour tous les échelons hiérarchiques.
  • Des politiques de diversité et d’inclusion claires et appliquées.
  • Du mentorat : pour faciliter l’intégration, jumeler une personne issue de l’immigration avec une ou un collègue expérimenté.
  • Une politique de porte ouverte : créer un espace de dialogue permettant d’exprimer les préoccupations et d’obtenir des clarifications avant que les tensions s’installent.
  • Le développement des habiletés par le coaching et la formation en communication interculturelle.
  • La facilitation : recourir à un processus structuré permettant aux échanges d’être plus efficaces et favorisant la recherche de consensus (Roberge, 2011).

Intervenir : transformer le conflit en apprentissage

Lorsqu’un conflit éclate, différentes approches peuvent être adoptées :

  • La médiation : recourir à un tiers neutre formé pour aider les parties à exprimer leurs perceptions et trouver un terrain d’entente.

«La médiation est un processus par lequel les parties consentent à ce qu’un tiers, le médiateur ou la médiatrice, les accompagne dans la recherche d’une solution à leur conflit. La médiation est souple et flexible, les parties y conservent le plein contrôle du déroulement et du résultat final. Cette tierce personne est là pour aider les parties à trouver elles-mêmes des solutions à leurs conflits et non pour leur imposer des solutions, le tout, dans un cadre privé et confidentiel» (IMAQ).

  • Solutions coconstruites : faire participer toutes les parties dans la recherche d’options, pour assurer une adhésion durable.
  • Communication adaptée : reformuler, valider la compréhension et expliquer les attentes implicites.
  • Enquête : lorsque les droits ne sont pas respectés, pour rétablir l’équité.

Dans ce cadre, le rôle des CRHA et CRIA se résume à :

  • Conseiller afin de faciliter la médiation entre intérêts en conflit.
  • Intervenir lorsque des droits ne sont pas respectés.
  • Équilibrer les situations où il y a des abus de pouvoir.
  • Aider à réparer des relations brisées.

Pistes concrètes d’application 

Afin d’accompagner efficacement les organisations, les professionnelles et professionnels en ressources humaines peuvent : 

  • Former les gestionnaires à la communication interculturelle.
  • Mettre en place des espaces de dialogue (mentorat, médiation, débreffage).
  • Revoir les processus d’intégration, en allant au-delà des procédures administratives.
  • Offrir du coaching ou des formations interculturelles, véritables leviers stratégiques permettant aux employés et employées de concilier leurs repères culturels avec ceux de l’organisation.

Conclusion : une intégration humaine, pas seulement administrative

L’intégration n’est pas une simple formalité : c’est un processus de reconnaissance mutuelle. Les CRHA et les CRIA jouent un rôle déterminant dans l’établissement de milieux de travail réellement inclusifs, où les talents issus de l’immigration ne sont pas marginalisés.

La gestion des conflits en milieu interculturel ne se limite pas à apaiser les tensions : elle devient un levier stratégique pour améliorer le climat de travail, fidéliser les talents et stimuler la performance.

Concrètement, les CRHA doivent mobiliser :

  • Le savoir-être : curiosité, tolérance, flexibilité et inclusion.
  • Le savoir : connaissances sur les contextes culturels, les politiques et les modèles d’intervention.
  • Le savoir-faire : capacité à créer des ponts grâce à l’empathie et à l’apprentissage continu. (Andrea Morrison 2022)

En intégrant ces éléments, il est possible de contribuer à transformer la diversité en richesse collective et à créer des environnements de travail inclusifs.

Références

Andrea Morrison. (2022). Gestion des différences culturelles et leadership inclusif. Revue internationale de gestion interculturelle, 14(2), 45-60.

Institut de médiation et d’arbitrage du Québec (IMAQ). (s.d.). Qu’est-ce que la médiation? https://www.imaq.org

Le Devoir. (2025, janvier). Des étudiants infirmiers victimes de racisme en Abitibi : Le Devoir. https://www.ledevoir.com

Roberge, P. (2011). La facilitation en milieu de travail : un levier pour la prévention des conflits. Montréal : Les Presses de l’Université du Québec.

Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA). (2023). Diversité, inclusion et gestion interculturelle en milieu de travail. Montréal : CRHA.

Gouvernement du Québec. (2022). Programme de recrutement et d’intégration des travailleurs étrangers. Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI). https://www.quebec.ca/immigration


Author
Patricia Kimvuidi, CRHA, Médiatrice accréditée Conseillère principale, relations avec les employés Sun Life Canada

Patricia Kimvuidi, CRHA et médiatrice accréditée (IMAQ), agit comme conseillère principale en relation avec les employés et employées à la Sun Life. Elle accompagne les gestionnaires et les organisations dans la gestion disciplinaire, le rendement, l’application des politiques et des normes du travail, ainsi que la prévention et la résolution de conflits en milieu organisationnel.


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