Cet article rédigé en 2015 a été mis à jour en juin 2025
Par Ghislaine Labelle, CRHA, Distinction Fellow
Intégrer la médiation collaborative au sein des entreprises, est-ce nécessaire? Divers motifs peuvent amener les leaders d’entreprise à réviser certaines de leurs pratiques de gestion. Pensons notamment au besoin d’attirer et de fidéliser les membres des jeunes générations, qui recherchent un climat de travail stimulant où défis et plaisir se conjuguent au quotidien. Ou au désir d’encourager l’innovation et le travail d’équipe. Ou encore à la nécessité de protéger le moral des troupes et de maintenir un haut taux d’engagement lors de période d'incertitude. Ou enfin au défi de préserver la paix au travail.
Des entreprises constatent avec dépit les efforts démesurés et les coûts engendrés par le climat de tension qui perdure depuis des années au sein de certaines équipes de travail. C'est malheureusement le cas de nombreuses organisations. Pour comprendre cette réalité, voici un exemple fictif d'une réalité peu commune.
Un établissement d'enseignement est aux prises avec de nombreux conflits entre les diverses équipes. Un leadership d'évitement a été exercé pendant de nombreuses années par l'équipe de direction. Lorsqu'une nouvelle direction prend les commandes, plusieurs conflits éclatent au grand jour. Les relations du travail se corsent. Les délégués syndicaux s'activent, mais refusent de collaborer avec la direction. Ils sont tiraillés par les nombreuses demandes de leurs membres. La directrice des ressources humaines, en collaboration avec les gestionnaires d'équipe, consacre la majeure partie de son temps à éteindre des feux. Pris dans le tourbillon des conflits et occupés à gérer les crises, la directrice RH et les gestionnaires ne sont plus capables d'agir en amont. Le sentiment d'essoufflement est généralisé, d'autres conflits apparaissent et s'intensifient. Il leur est de plus en plus difficile d'arrêter l'hémorragie. Certaines personnes, plus usées que d'autres dans un contexte malsain, partent en congé maladie. D'autres abandonnent tout simplement le navire pour offrir leurs services ailleurs. La crédibilité de l'équipe de direction est rudement mise à l'épreuve.
Comment renverser la dynamique dans un contexte aussi alarmant ? Quelles ont été les décisions de la directrice des ressources humaines pour endiguer ces difficultés ?
Le premier réflexe de chacun serait de porter assistance aux équipes en souffrance et aux gestionnaires. Ce qu'a fait la directrice RH, sans toutefois se limiter à ce seul niveau d'intervention. Suite à une réflexion stratégique de la direction, celle-ci a pris conscience de l'importance de soutenir les gestionnaires dans leur rôle capital de gardien du climat de travail afin de minimiser les risques futurs de conflits pour les équipes qui ne sont pas en crise. Voici ce qu'elle a conclu.
- Investir dans la prévention est une nécessité incontournable. En plus de prévenir d'autres malaises, en investissant auprès des responsables d'équipe, on évite de jouer au pompier. Trois journées de formation ont été offertes à tous les cadres de cet établissement sur les thèmes suivants : le travail d'équipe, la prévention et la résolution des conflits en assumant un rôle de facilitateur dans la gestion des différends.
- Multiplier les gardiens du climat. Comme plusieurs réalités échappent souvent aux gestionnaires parce qu'ils ne sont pas présents quotidiennement auprès des équipes ou qu'une partie de leur équipe est en mode télétravail, multiplier les gardiens du climat de travail constitue une autre façon de détecter un conflit dès les premières manifestations. Ainsi, il est plus facile de partager le rôle de prévention lorsque plusieurs y sont sensibilisés. La direction a donc offert une formation plus courte ainsi que des outils de médiation à l'ensemble des cadres de premier échelon. En jumelant ces derniers avec leur gestionnaire respectif, cela a permis de mieux cerner les diverses préoccupations et les enjeux des équipes de travail. La réponse à cette initiative a été très positive. Plusieurs cadres de premier échelon ont manifesté le souhait d'obtenir de manière récurrente des formations facilitant leur précieux rôle de coordination et d'influence auprès de leur équipe respective. Cette initiative a augmenté le degré d'engagement et de mobilisation de ces groupes de travail.
- Offrir du coaching et de l'accompagnement aux nouveaux leaders. On voit de plus en plus de jeunes cadres à des postes de gestion. Ayant peu d'expérience dans la gestion des ressources humaines, il est fondamental de les accompagner afin que ces nouveaux gestionnaires puissent développer de bons réflexes face à la gestion des difficultés relationnelles. Les jumeler avec une ou un professionnel RH ou avec un.e autre gestionnaire d'expérience aura un effet rassurant et favorisera une meilleure gestion de ces situations. Dans le cas présenté, cette initiative a permis de détecter plus rapidement les situations ainsi que de recenser les personnes à risque.
- Se concerter autour d'approches et de pratiques communes. Le dépôt de griefs ne règle en rien les vieux conflits existants. Il faut engager un dialogue constructif entre la direction et le syndicat. Favoriser l'émergence d'une culture proactive de gestion des conflits nécessite une période d'adaptation. Sensibiliser les délégués syndicaux à l'importance de leur rôle et à la nécessité de se modeler sur la culture de prévention mise de l'avant est certainement une étape cruciale. Il faudra de la patience et de la rigueur pour défaire les vieux réflexes bien ancrés et faire évoluer les vieilles mentalités vers de nouvelles approches.
Dans notre exemple, le leadership exercé par la direction a fait la promotion au sens large de la valeur de collaboration au sein de l'organisation. Par ses initiatives, la direction a démontré qu'en prenant le taureau par les cornes, elle peut remplacer des pratiques de gestion inappropriées par d'autres, plus proactives. Non seulement l'environnement de travail s'est enrichi de valeurs organisationnelles positives et constructives, mais l'organisation a aussi fait le gain d'une forte mobilisation d'un plus grand nombre d'employées et employés.
Il existe différentes manières d'intégrer des approches de médiation collaborative au sein d'une organisation ou d'une unité de travail. En voici quelques-unes.
1. Offrir de l'accompagnement aux gestionnaires dans leur rôle de gardien du climat de travail
Outiller les gestionnaires et leur offrir un soutien continu permettent de les aider à agir en amont des situations et de faire plus de prévention. Les statistiques en santé et sécurité du travail l'ont démontré. La prévention est un investissement sûr pour diminuer les coûts d'absentéisme et de maladie. Il en va de même pour la prévention des conflits.
2. Multiplier les médiateurs internes pour agir plus largement en prévention
Former des médiatrices et médiateurs internes pour en faire une équipe de sentinelles, constituée de collègues de travail, de délégués syndicaux, de gestionnaires ou de professionnelles et professionnels RH qui agiront comme facilitateurs auprès des personnes qui éprouvent des difficultés relationnelles. Ces sentinelles seront prêtes à intervenir sur une multitude de situations de conflits en offrant l'accompagnement adapté au besoin : dialogue assisté, facilitation, médiation ou accompagnement de la personne responsable de l'équipe.
3. Promouvoir la culture de collaboration là où c'est possible
Que ce soit lors de la planification stratégique, du renouvellement d'une convention collective, de la mise à jour de votre politique institutionnelle concernant le harcèlement et les violences au travail ou lors de votre plan d'action pour prévenir les risques psychosociaux, la collaboration devrait être la valeur sûre au cœur des échanges et des pratiques.
4. Mettre à la disposition des employés une banque de ressources et des outils pour régler leurs différends
Pour les employées et employés qui éprouvent une difficulté, il est important de faire connaître les ressources et les mécanismes disponibles avant qu'une relation se détériore ou qu'un grief ou une plainte pour harcèlement psychologique soit déposé. La liste des ressources devrait préciser :
- la politique institutionnelle sur le respect au travail en vigueur ;
- le nom des ressources internes (en facilitation et en médiation) ;
- le rôle des responsables d'équipe ou des délégués syndicaux dans la prévention des conflits ;
- les outils de communication, de formation et autres services : séminaire, formation en ligne, programme d'aide aux employés, médiation, dialogue assisté ou autres mécanismes.
5. Adapter les paradigmes, les pratiques de gestion et la structure organisationnelle en fonction de la réalité de travail
Penser globalement nécessite de sortir du paradigme conventionnel en vertu duquel un problème exige l'intervention d'une experte ou d'un expert. Repenser la structure en ne faisant pas porter toute la responsabilité des difficultés liées au climat de travail et à la gestion des conflits sur une seule personne, comme c'est le cas des responsables de la politique institutionnelle sur le respect et le harcèlement psychologique au travail. Cette conception devrait être révisée en fonction des réalités complexes du monde du travail actuel.
Conclusion
La médiation collaborative ne devrait pas se limiter à un moyen ou à une technique de résolution de conflits ou de plaintes pour harcèlement psychologique pratiqués par des expertes et experts ou des professionnelles et professionnels détenant officiellement ce rôle dans l'entreprise. Elle devrait, selon nous, être le pilier d'une culture de travail axée sur la collaboration. En multipliant les médiatrices et médiateurs internes (former les gestionnaires et de nombreux facilitateurs), en offrant les outils de médiation à un plus grand nombre de personnes et en rendant disponibles à tous les membres du personnel les moyens de gérer leurs différends, toute entreprise sera en meilleure posture pour gérer efficacement les conflits au travail et faire de la collaboration une réalité bien présente au quotidien.
Ghislaine Labelle, CRHA, Distinction Fellow, M. Ps., CSP, est psychologue organisationnelle, conférencière et médiatrice accréditée au Groupe SCO
Cet article rédigé en 2015 a été mis à jour en juin 2025