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La cyberviolence : véritable danger en milieu de travail

La cyberviolence se réalise à travers les technologies numériques. Ses caractéristiques distinctives incluent notamment l'anonymat des agresseurs, la diminution de l'empathie, la viralité et l'absence de répit pour les victimes.
4 juin 2024
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« Il y a des clics qui font plus mal que des claques! » Voilà comment Rachel Dupuis, conseillère en prévention à l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS), décrit les ravages de la cyberviolence, un problème de plus en plus présent dans les milieux de travail et pour lequel des mesures doivent être prises.

Bien que les technologies évoluent rapidement et donnent naissance à de nouvelles plateformes et de nouvelles pratiques de communication, la cyberviolence, ou les « pratiques violentes médiées par les technologies numériques et par le Web », comme le précise Daisy Gauthier, également conseillère en prévention à l’ASSTSAS, n’est pas un phénomène nouveau en soi.

« La cyberviolence est une violence médiée notamment par ordinateur, à savoir que ce qui la caractérise de la violence traditionnelle, c’est qu’elle s’appuie sur de nouveaux moyens technologiques pour être perpétrée », dit-elle.

D’abord, le fait que le bourreau se trouve derrière un écran a pour effet de diminuer son empathie, mais aussi celle des témoins, créant parfois des chambres d’écho et un phénomène de viralité qui accentue la violence. « Des gens sont même susceptibles de renchérir, indique Daisy Gauthier, alors ça peut provoquer un effet d’entraînement parce que les gens oublient que c’est une vraie personne qui est la cible de tout ça. »

En milieu de travail, cette violence peut être constatée aussi bien entre deux membres du personnel, indépendamment de leur position dans la hiérarchie de l’organisation, qu’entre un travailleur, une travailleuse et une ou plusieurs personnes de l’extérieur, comme une cliente ou un client, une employée ou un employé d’un fournisseur ou d’un prestataire de services.

Une violence décuplée

En plus de s’étirer dans le temps, la cyberviolence peut s’appuyer sur diverses méthodes et différents supports, ce qui en décuple les effets sur les personnes persécutées.

Les technologies permettent également aux agresseuses et agresseurs de conserver leur anonymat, ce qui déséquilibre le rapport de force entre ceux-ci et leurs victimes, qui ne savent parfois pas qui s’en prend à elles ni pourquoi.

Enfin, comme il est possible de se connecter en tout temps aux réseaux sociaux et aux différentes plateformes, les victimes ne connaissent parfois aucun répit, ce qui entraîne un stress constant.

 « Auparavant, la violence vécue au travail restait au travail. Les victimes pouvaient se réconforter en se disant qu’une fois à la maison, tout serait terminé. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, car la cyberviolence peut aussi s’inviter dans leur vie personnelle. C’est parfois sans fin. » rappellent les conseillères. La cybertraque (cyberstalking), le cyberharcèlement (cyberharrassment), les cyberattaques groupées (cybermobbing), le vidéolynchage (happy slapping), les trolls (trolling), la diffusion de rumeurs, la diffamation, l’hameçonnage, le recours à des argumentaires inutiles pour faire frustrer sa victime (sealioning), le partage de renseignements personnels ou intimes et on en passe; la cyberviolence prend plusieurs formes, qui ont pour principal effet d’attaquer l’intégrité psychologique de qui en est la cible, nuance Rachel Dupuis, ce qui lui fait dire que les clics sont parfois plus violents que les claques.

Lorsqu’il est question de santé et sécurité du travail, les intentions de la personne qui se livre à de la cyberviolence n’ont pas à être prises en compte pour que ses actes soient considérés comme de la violence et pour que l’employeur intervienne. Il arrive qu’elle ou il ne réalise même pas que son comportement provoque un malaise chez sa ou son collègue. Il en va de même lorsque la cyberviolence provient de la clientèle.

« Aussitôt qu’une personne se sent harcelée, dénigrée ou humiliée, on est dans le continuum de la violence », souligne Daisy Gauthier.

Violence virtuelle, conséquences réelles

Même si elle se déroule par écrans interposés, la cyberviolence a des effets néfastes probants et parfois durables sur les personnes ciblées, rappelle Rachel Dupuis.

Cela se traduit notamment par de l’anxiété, de la détresse psychologique et même des idées suicidaires. Le tout peut aussi mener à des symptômes physiques. Quoi qu’il en soit, la qualité de vie de la victime en est grandement affectée.

La cyberviolence peut toucher à ce point la victime que sa performance au travail s’en trouvera plombée.

« On peut constater de la démotivation, de l’absentéisme ou une baisse de rendement, ajoute Rachel Dupuis. La personne peut s’isoler du reste de son équipe. Si les autres ne prennent pas conscience de ce qu’elle subit, ils peuvent lui en vouloir et ça mène à une désolidarisation de l’équipe. »

La responsabilité des employeurs et des organisations

Selon les milieux de travail, entre 10 % et 40 % des travailleuses et travailleurs seraient victimes d’une ou de plusieurs formes de cyberviolence, avancent les conseillères, qui soupçonnent que cette statistique est toutefois prudente.

Le phénomène s’est amplifié depuis la pandémie de la COVID-19, alors que le télétravail devenait une pratique courante.

Les entreprises et leurs gestionnaires ont donc le devoir d’encadrer le fléau. La loi les contraint même de s’exécuter en ce sens, rappelle Rachel Dupuis. « C’est une obligation légale; la Loi sur la santé et la sécurité du travail oblige les employeurs à protéger les travailleuses et travailleurs contre toute forme de violence, mentionne la conseillère. On peut donc y inclure la cyberviolence. »

« Au début des années 2000, quand on a commencé à répertorier des cas, on ne savait pas trop comment agir, poursuit Daisy Gauthier. Le mot “cyber” nous fait penser à de la science-fiction. Mais si l’on regarde le problème pour ce qu’il est, c’est-à-dire de la violence, on constate qu’il y a déjà des programmes au sein des organisations qui visent à la prévenir et à intervenir. Il suffit d’y intégrer un volet sur la violence médiée, c’est-à-dire commise avec les technologies. »

La négligence des membres de la direction devant ce phénomène pourrait ultimement nuire à la rétention du personnel.

Une question de prévention

Fort heureusement, les organisations peuvent agir en amont pour éviter que des situations de cyberviolence ne surviennent en leur sein. Cela peut se faire notamment en instaurant une nétiquette ou une politique de déconnexion qui encadre les heures où les courriels peuvent être envoyés et où les communications peuvent être effectuées.

Les gestionnaires peuvent en outre recenser les risques de cyberviolence dans leur structure et leurs systèmes. L’important, fait remarquer Daisy Gauthier, est de documenter le tout pour prévoir des scénarios susceptibles de se produire et ainsi savoir comment réagir si le tout se concrétise.

La sensibilisation et la formation des membres du personnel à ces différents risques doivent aussi être envisagées, renchérit Daisy Gauthier, tout comme l’implantation de mécanismes de médiation.

Autrement, les responsables doivent intervenir au moment où se produit la cyberviolence. Dans ce cas, les situations doivent être documentées et des correctifs apportés aussitôt que possible.

En dernier lieu, un retour sur les incidents doit être fait pour éviter qu’ils se répètent, signale Daisy Gauthier. « Ça implique un bilan de l’événement, un suivi auprès de la victime et l’assurance que des mesures ont été prises pour remédier à la situation », note la conseillère.

Aussi bien Rachel Dupuis que Daisy Gauthier insistent pour dire qu’il faudrait davantage de recherche pour documenter ce fléau dans les milieux de travail au Québec. Car même si tout cela se déroule en ligne, cette violence virtuelle est un problème bien réel, font-elles valoir.

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