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La Cour d’appel du Québec confirme le verdict de culpabilité dans une affaire de négligence criminelle ayant causé la mort d’un travailleur

En août dernier, la Cour d’appel du Québec a confirmé un jugement de la Cour du Québec ayant déclaré un employeur coupable de négligence criminelle causant la mort d’un de ses travailleurs.
29 novembre 2023
Me Sarah-Émilie Dubois

Le travailleur, Albert Paradis a tragiquement perdu la vie le 11 septembre 2012 à la suite de la perte de contrôle du véhicule lourd qu’il conduisait et qui appartenait à son employeur, CFG Construction inc. La preuve présentée au cours du procès a révélé que l’employeur était informé des nombreuses défectuosités au système de freinage du véhicule qui ont entraîné sa perte de contrôle.

Dans son jugement prononcé le 14 février 2019[1], la Cour du Québec, estimant les éléments constitutifs de l’infraction de causer la mort par négligence criminelle prouvés hors de tout doute raisonnable, a déclaré l’employeur coupable de l’infraction reprochée et lui a imposé[2] une amende de 345 000 $ ainsi qu’une probation de trois ans.

Moyens d’appel

En appel, l’employeur en appelait de ce verdict de culpabilité. Les moyens d’appel invoqués par celui-ci incluaient l’application erronée de la négligence criminelle par la juge de première instance, à qui il reprochait d’avoir attribué une importance indue aux conséquences de la négligence, ainsi que l’existence de violations constitutionnelles qui auraient dû entraîner l’exclusion de certaines preuves ou l’arrêt complet des procédures.

Application erronée de la négligence criminelle

D’entrée de jeu, la Cour d’appel rappelle les éléments essentiels de l’infraction de causer la mort par négligence criminelle[3], dont était accusé l’employeur dans ce dossier. Ceux-ci sont :

  1. un comportement (acte ou omission de faire une chose qu’il est de son devoir d’accomplir) qui dénote une insouciance téméraire ou déréglée pour la vie d’autrui ou la sécurité (actus reus);
  2. révélant un écart marqué et important par rapport à la norme objective d’une personne raisonnable placée dans des circonstances similaires (prévisibilité objective de lésions corporelles) (mens rea); et
  3. qui cause la mort d’un être humain.

Après analyse du cas en espèce, la Cour d’appel a conclu que la juge de la Cour du Québec n’a pas accordé une importance indue aux conséquences de la négligence, soit le décès du travailleur, dans l’analyse de l’actus reus, mais bien sous l’angle de l’élément de faute en vue de déterminer si l’employeur a eu une conduite dénotant une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie du travailleur. Ainsi dans ces circonstances, l’omission de l’employeur d’accomplir les obligations légales qu’il avait, notamment en vertu des articles 217,1[4] et 219(1)b[5]) du Code criminel, de l’article 51[6] de la Loi sur la santé et la sécurité au travail et de l’article 519.15[7] du Code de la sécurité routière, constituait l’actus reus de l’infraction de causer la mort par négligence criminelle. Le fait que cette omission révélait un écart marqué et important eu égard à une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances, soit dans un domaine d’activité aussi fortement réglementé et dangereux, constituait la démonstration de la mens rea.

Violations constitutionnelles

Bien que la Cour d’appel admette que la demande d’accès à l’information de l’enquêteur présenté auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (« SAAQ ») constituait une fouille abusive au sens de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, elle est d’avis que celle-ci ne justifie pas l’exclusion de la preuve ainsi obtenue, en vertu de l’article 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés. En effet, dans le cadre d’une enquête criminelle, l’article 59 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels ne permettait pas à l’enquêteur d’obtenir par l’entremise d’une simple demande d’accès une copie de tous les documents rapportant les interventions et actions effectuées par les contrôleurs routiers de la SAAQ concernant l’employeur. Cependant, l’ensemble des circonstances du dossier démontrait que l’enquêteur disposait d’un autre moyen légitime pour obtenir ces informations, soit le recours à une ordonnance de communication. Ainsi vu l’incidence modérée de la violation et l’intérêt de la société à ce qu’il y ait un jugement sur le fond, la Cour d’appel estime que l’exclusion des informations obtenues déconsidérerait l’administration de la justice.

Finalement, l’employeur invoquait que la destruction des notes de l’enquêteur l’a empêché de présenter une défense pleine et entière, ce qui aurait dû entraîner un arrêt des procédures. À ce sujet, la Cour d’appel a rappelé que pour que ce moyen soit accueilli, l’employeur avait le fardeau de démontrer l’existence d’un préjudice concret à son droit à une défense pleine et entière. Or, la Cour a finalement conclu que malgré le degré inacceptable de négligence de l’enquêteur dans la présente affaire, l’employeur n’avait pas réussi à démontrer en quoi l’absence de ses notes a pu influencer sa capacité à présenter une défense pleine et entière.

La Cour d’appel a ainsi rejeté l’appel présenté par l’employeur.

Cette décision rappelle aux employeurs l’importance de prendre tous les moyens nécessaires, et ce, en temps opportun, afin d’assurer la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs et qu’aucune négligence ou insouciance grave n’est tolérée à cet égard.

Publié avec l'autorisation de Dentons.

Cet article de Dentons est publié à titre informatif uniquement et ne constitue pas un avis juridique ni une opinion.


Author
Me Sarah-Émilie Dubois Avocate principale Dentons
Sarah-Émilie Dubois est avocate principale au sein du groupe de droit du travail du bureau de Montréal de Dentons.
Dans le cadre de ses fonctions, elle est appelée à conseiller, assister et représenter des employeurs dans une grande variété de dossiers portant sur des questions de droit du travail et de santé et sécurité au travail, notamment devant des tribunaux comme la Cour du Québec (Chambre civile ou Chambre criminelle et pénale) et la Cour supérieure, ainsi que des arbitres de griefs et le Tribunal administratif du travail.
Ayant amorcé sa vie professionnelle en 2009 à titre de technicienne juridique, Sarah-Émilie s’est jointe au contentieux de la CNESST en 2013, où elle a pu commencer son l’apprentissage du droit du travail, vers lequel elle a finalement orienté sa pratique, tout en poursuivant ses études au baccalauréat en droit. Membre du Barreau depuis 2017, elle s’est jointe à l’équipe du contentieux de l’Association de la construction du Québec, d’abord à titre de stagiaire en droit, puis en tant qu’avocate.

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Source : Vigie RT, novembre 2023

1 R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 1244
2 Décision sur la détermination de la peine du 3 décembre 2019 – R. c. CFG Construction inc., 2019 QCCQ 7449
3 Article 219(1) du Code criminel
4 Obligation de la personne qui supervise un travail de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessures corporelles pour autrui.
5 Infraction de négligence criminelle pour omission de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir.
6 Obligation générale de l’employeur de prendre les mesures nécessaires afin de protéger la santé des travailleurs et d’assurer leur intégrité physique et psychique.
7 Obligation du propriétaire d’un véhicule lourd de le maintenir en bon état mécanique, de respecter les normes d’entretien, la fréquence et les modalités des vérifications établies par règlement.