Un collègue me dit avoir lu un livre où sont proposés des trucs afin de détecter une personne candidate qui ment lors d’une entrevue. Il ne suffirait que de la regarder, et d’observer la présence ou l’absence de certains gestes, lesquels indiqueraient un manque d’honnêteté. Le collègue me dit avoir utilisé les trucs, et ils fonctionnent, apparemment! Rien d’étonnant, me dit-il, car après tout, ceux-ci viennent d’un ancien agent de la CIA! Je me questionne sur l’utilité de tels trucs.
Des trucs qui fonctionnent! Pour détecter les mythomanes? Voilà qui n’est pas nouveau. Il y a 3 000 ans, les mouvements du gros orteil permettaient apparemment de détecter quiconque voulait vous empoisonner. La valeur scientifique des trucs du collègue, malheureusement, n’est pas meilleure.
Avant tout, l’argument de la CIA devrait susciter l’attention. Il s’agit d’un argument d’autorité, un argument douteux, évoqué dans la chronique précédente. D’ailleurs, le fait que des trucs soient utilisés par un individu qui travaille dans une grande organisation n’est pas une preuve que l’organisation approuve ces trucs, doit-on le rappeler. Après tout, plusieurs personnes d’organisations différentes ont des croyances frivoles, mais font néanmoins très bien leur travail. Les organisations n’approuvent pas pour autant leurs croyances frivoles. Même si l’organisation approuvait les trucs, là encore, ce ne serait pas une preuve qu’ils fonctionnent. La CIA utilise la torture, donc la torture fonctionne. Non! La torture ne fonctionne pas. Point. Données probantes à l’appui (Vrij et al., 2017). N’oublions pas, soit dit en passant, les enjeux juridiques, sociaux et moraux de la torture.
Mais il y a plus!
Le collègue dit avoir utilisé les trucs et qu’apparemment ils fonctionnent. Votre collègue est intelligent, éduqué, il ne peut pas se tromper. Exact? Malheureusement oui, il peut se tromper. Peut-être que les trucs fonctionnent. Mais peut-être qu’ils ne fonctionnent pas. Le collègue ne tente pas de vous mentir. Il est honnête. Il croit sincèrement que les trucs fonctionnent! Mais son cerveau lui joue de mauvais tours. La perception d’efficacité des trucs peut être influencée par le biais de confirmation, un important biais cognitif.
Les biais cognitifs sont des raccourcis que fait notre cerveau à notre insu. Ils jouent sur notre perception de la réalité. Tout le monde est sujet aux biais cognitifs. Ce n’est ni une question d’intelligence ni une question d’éducation. Le biais de confirmation est l’un d’eux.
Le biais de confirmation est la tendance à accorder plus de poids aux éléments qui confirment nos croyances et à accorder moins de poids aux éléments qui les infirment. Pour les trucs du collègue, celui-ci peut, en toute honnêteté, croire qu’ils fonctionnent. Mais à nouveau, son cerveau lui joue un mauvais tour. Le collègue se rappelle toutes les fois où il a repéré des mensonges, mais se rappelle-t-il toutes les fois où il n’a pas repéré les mensonges? D’ailleurs comment ferait-il pour le savoir? Les personnes candidates ne se confessent pas après une entrevue.
Devant l’abondance de trucs, tant sur la détection du mensonge que sur d’autres sujets, les CRHA |CRIA doivent agir avec prudence. Puis de manière générale, lorsqu’une information renforce nos croyances, la question se pose : et si l’information pouvant les ébranler, voire les infirmer était passée inaperçue? Voilà qui est contre-intuitif, voire inconfortable. Mais la question n’est pas à négliger lorsque vient le temps de prendre d’importantes décisions. À cela s’ajoute, évidemment, l’état de la science. Que dit-elle? Dans le cas de la détection du mensonge, l’état de la science est clair : il est impossible de « lire » le comportement non verbal comme les mots d’un livre. Il n’y a pas de geste similaire au nez de Pinocchio (Vrij et al., 2019; Denault et al., 2020). Pour utiliser ou recommander une technique, une approche ou une intervention, les CRHA |CRIA doivent tenir compte des normes de pratique généralement reconnues. Quant à la science, elle permet d’assurer la validité de la technique, de l’approche ou de l’intervention en fonction des objectifs.
Références
- Vrij, A., Meissner, C. A., Fisher, R. P., Kassin, S. M., Morgan, C. A., & Kleinman, S. M. (2017). Psychological perspectives on interrogation. Perspectives on Psychological Science, 12(6), 927 – 955.
- Vrij, A., Hartwig, M., & Granhag, P. A. (2019). Reading lies : Nonverbal communication and deception. Annual Review of Psychology, 70, 295–317.
- Denault, V., Plusquellec, P., Jupe, L. M., St-Yves, M., Dunbar, N. E., Hartwig, M.,… van Koppen, P. J. (2020). L’analyse de la communication non verbale : Les dangers de la pseudoscience en contextes de sécurité et de justice. Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique, 73, 15-44.