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Téo Taxi : du développement durable au recrutement durable

L'entreprise Téo Taxi est résolument tournée vers le développement durable.
1 janvier 2018
Véronique Biron, CRIA

L'entreprise mise sur trois grands axes qui sont au cœur de son ADN :

  1. Le développement technologique. L’industrie doit composer avec des infrastructures vieillissantes, des enjeux de sécurité pour les chauffeurs et les utilisateurs, et un important retard dans l’utilisation efficace de la technologie, dans les opérations et l’expérience de la clientèle.
  2. La protection de l’environnement par l’exploitation d’une flotte à 100 % électrique. Un taxi à essence pollue cinq fois plus qu’un taxi électrique. L’industrie produit 120 000 tonnes de GES par année. L’essence gruge une part importante des profits pour les petits entrepreneurs.
  3. Le développement social par l’emploi de chauffeurs de taxi salariés. Un chauffeur de taxi parcourt en moyenne 70 000 km par année, à raison de 10 à 12 heures par jour, tout en assumant seul les risques pour sa sécurité et celle de sa voiture, ainsi que sa sécurité financière et celle de sa famille.

C’est dans ce contexte qu’en 2005 l’entreprise Téo Taxi est née de l’inspiration de visionnaires. TÉO pour Transport Électrique Optimisé.

Les deux premières années ont été marquées par plusieurs essais et erreurs dans les opérations, la gestion de la flotte, le développement technologique, ainsi que le recrutement et la gestion de chauffeurs de taxi traditionnels.

L’industrie du taxi en état de choc post-traumatique : transformer un entrepreneur en salarié

La prémisse du recrutement et du développement social pour Téo est la suivante : en offrant aux chauffeurs issus de l’industrie traditionnelle un encadrement complet (formation, équipement, technologie), des horaires raisonnables (40 heures par semaine) et un revenu stable, nous souhaitons leur donner accès à une qualité de vie et à la sécurité pour eux-mêmes et leur famille.

Pour l’équipe Personnes et culture RH, les deux premières années d’opération ont mené aux constats suivants :

  1. Les premiers chauffeurs à être intéressés par la proposition de Téo étaient principalement des chauffeurs « matures », c’est-à-dire dotés de plusieurs années d’expérience dans l’industrie. Ces chauffeurs n’en pouvaient plus d’avoir à travailler 70 heures par semaine, de voir leurs revenus diminuer d’année en année et, qui plus est, de ne pas voir leurs enfants grandir.
  2. Par contre, ces chauffeurs présentaient un fort esprit entrepreneurial issu de leurs longues années passées dans l’industrie traditionnelle, où ils avaient le sentiment de l’entière liberté de leurs horaires et de leur clientèle.

En gagnant en sécurité chez Téo, ces chauffeurs perdaient du même coup cette liberté chère à leurs valeurs. Ils devaient alors s’habituer à suivre un horaire strict et une discipline de travail continue. Bref, ils devaient adhérer à un modèle de travail salarié. Pour l’attraction et la rétention des chauffeurs, ce fut tout un défi.

Nous avons vite constaté que ce modèle n’était pas aussi attrayant pour eux que nous l’avions pensé. Il faut dire qu’un chauffeur de taxi traditionnel génère encore une partie importante de ses revenus sous forme d’argent comptant, souvent non déclaré à l’impôt. La proposition salariale de Téo Taxi avait de la peine à rivaliser avec des revenus non déclarés, même si nous calculions qu’avec les vacances, les jours fériés et l’accès à la sécurité qu’offre un salaire hebdomadaire, ils étaient gagnants.

Considérant leurs longues années en tant qu’entrepreneurs, ils ne voyaient pas les choses du même oeil. Devoir suivre des opérations et des horaires ne plaisait pas à tous. Plusieurs sont venus voir ce qu’il en était, mais ils sont repartis.

Nous avons tout de même développé l’entreprise avec plus de 250 chauffeurs traditionnels. Mais pour le développement soutenu de Téo, c’est plus de 400 chauffeurs dont nous avons eu besoin en 2017, et plus du double sera nécessaire seulement pour 2018.

Alors, comment assurer le développement de Téo quand toutes les idées pour recruter des chauffeurs ont été épuisées?

Changement de modèle

Nous avons renversé la vapeur.

Si les chauffeurs traditionnels n’adhèrent pas à notre modèle en nombre suffisant, alors formons des chauffeurs et changeons notre gestion!

Notre premier obstacle pour former de nouveaux chauffeurs était la très lourde réglementation de l’industrie du taxi pour l’obtention d’un permis de chauffeur. Après un travail acharné pour moderniser l’industrie de pair avec d’autres joueurs de l’industrie, nous avons obtenu entre autres la possibilité de former des aspirants chauffeurs.

Cette possibilité nous ouvrait un tout autre marché pour recruter des chauffeurs, et ce changement était majeur : plutôt que de former les chauffeurs conformément à nos normes de service, nous avons orienté nos efforts vers des candidats qui adoptaient notre modèle salarié et nos normes de service, et nous leur avons montré à conduire nos véhicules électriques de façon sécuritaire.

L’équipe de marketing et de communication, forte de son expérience en acquisition de clients et en visibilité, s’est ralliée à l’équipe de recrutement pour développer une campagne qui a rapidement porté ses fruits. L’apport important et rapide de candidats aspirants chauffeurs nous a permis de renforcer nos critères et notre sélection.

Le contenu des cours, dont une partie importante est offerte en ligne, a été développé avec des chauffeurs et des formateurs reconnus dans l’industrie afin d’assurer la qualité du service aux usagers de même que leur sécurité.

Nous avons aussi écouté les exigences des chauffeurs et révisé nos méthodes de gestion des opérations et des horaires afin d’offrir plus de flexibilité.

Depuis le début du projet (en date du 20 novembre 2017)

  • Nombre d'heures de formation : 10 150
  • Nombre d’heures payées : 585 000
  • Location de 350 permis de taxi à des propriétaires existants
  • 400 emplois créés et développés en 2 ans
  • Récipiendaire d’un prix « Coups de cœur » du Gala des Prix Créateurs d'emplois du Québec
  • 10 millions de km parcourus
  • 2 162 tonnes de GES évitées

Créer du neuf avec du vieux

Dans la start-up Téo, inspirés du passé et en mode apprentissage, nous évoluons en acceptant de modifier nos plans, de vérifier nos hypothèses, de surmonter l’insécurité qui vient avec un nouveau modèle d’affaires, et en acceptant que nous ne soyons pas rendus où nous le voulions à la vitesse que nous avions envisagée. Nous nous nourrissons des petits pas et nous sommes toujours résolument tournés vers l’avenir. C’est de cette façon que nous développons durablement. Et ce développement est tourné vers la redéfinition des emplois durables pour les gens et pour l’entreprise.

C’est pourquoi nous avons redéfini nos cibles, tout en gardant la stabilité et la sécurité comme cartes maîtresses de nos emplois, en ouvrant le métier aux retraités, aux femmes, aux personnes présentant des difficultés à l’emploi. Nous désirons faire du taxi autrement, et ce, en collaboration avec nos chauffeurs et l’industrie traditionnelle, à qui nous tendons la main pour qu’ils bâtissent avec nous.

Le livre sur comment faire du taxi avec des chauffeurs salariés et une flotte électrique, on ne l’a pas lu : on l’a écrit.

Nous avons jeté les bases de la culture d’entreprise pour les chauffeurs (la stabilité et la sécurité, la formation et l’accompagnement), et ce, tout en élargissant la communauté traditionnelle des chauffeurs.

En 2018, nous entamons la phase finale de déploiement et de stabilisation dans le Grand Montréal et espérons nous installer dans d’autres villes au Québec, et même au Canada.

Le recrutement est au cœur de cette phase finale pour répondre aux grandes ambitions de Téo.


Véronique Biron, CRIA Directrice Talents et culture Gusta Foods

Source : Revue RH, volume 21, numéro 1, janvier/février/mars 2018