Introduction
Les dernières années ont été particulièrement tumultueuses, et les milieux professionnels n’ont pas échappé aux nombreux bouleversements qui faisaient la manchette. Alors que nous sortions tout juste de la pandémie, la pénurie de main-d’œuvre et l’inflation ont donné du fil à retordre aux employeurs, qui ont dû redoubler d’efforts pour maintenir leur productivité et garder la tête hors de l’eau. Dans un contexte économique plus qu’incertain, employeurs et salariés (syndiqués ou non) ont concentré leurs efforts sur l’atteinte d’objectifs communs, convenant parfois d’ententes collectives de courte durée et reportant les négociations des points névralgiques.
Le contexte a toutefois rapidement évolué : la pénurie de main-d’œuvre semble se résorber et l’inflation s’est stabilisée. Nous assistons, depuis les derniers mois, à une recrudescence des revendications de salariés et au déclenchement de plusieurs conflits de travail dans bon nombre de secteurs d’activité. Comment un employeur peut-il se préparer en vue de la renégociation de ses ententes collectives ou dans le cadre d’une mésentente avec certains salariés?
Un climat de travail conflictuel
Plusieurs conflits récents ont retenu l’attention en raison de leurs conséquences directes sur le quotidien d’une majorité de citoyens. À titre d’exemple, nous pensons à la grève générale de 66 000 professeurs affiliés à la Fédération autonome de l’enseignement qui, pendant plus d’un mois, a contraint des milliers de parents à s’ajuster pour continuer à travailler malgré la fermeture des établissements scolaires. Il en va de même du conflit de travail impliquant le Canadien Pacifique, qui a eu des répercussions significatives sur le plan national, affectant directement l’économie du pays.
En plus de ces événements fort médiatisés, les tribunaux ont été saisis de plusieurs types de demandes.
En effet, dans une décision de 2022 (Nova Bus inc. c. Unifor, 2022 QCTAT 5285), le Tribunal administratif du travail (TAT) a été saisi d’une demande d’ordonnance de la part d’un employeur visant à faire cesser le ralentissement concerté de ses salariés de la production dans le contexte du renouvellement de la convention collective. L’employeur alléguait notamment que les salariés s’absentaient sciemment des rencontres, organisaient des réunions impromptues ou refusaient certaines tâches dans l’objectif d’affecter la production. Malgré le contexte de négociation, le TAT a conclu à l’apparence d’une grève illégale et a émis l’ordonnance demandée.
Dans l’affaire Société zoologique de Granby inc. c. Syndicat national des salariés-es de la Société zoologique de Granby (CSN), 2024 QCCS 3038, la Cour supérieure a été saisie d’une demande d’ordonnance visant à faire cesser des moyens de pression invasifs de la part de salariés en grève s’adonnant notamment à des activités de piquetage à l’intérieur du périmètre de la propriété de l’employeur, à l’utilisation de sifflets dans les aires de stationnement attenantes à l’entrée du stationnement des visiteurs ou à l’occupation des cases de stationnement réservées à ces derniers. Ces méthodes s’apparentant à une grève illégale, la Cour a émis l’ordonnance demandée.
Il ne s’agit là que de quelques exemples qui ont mené les tribunaux à intervenir pour rétablir l’équilibre nécessaire entre un employeur et ses salariés. Les récents conflits ayant affecté les services à la population ont sans doute joué un rôle dans la volonté du gouvernement d’encadrer les grèves et les lock-out, qui s’est matérialisée par le dépôt du projet de loi 89. Il propose l’ajout de dispositions particulières relatives aux services à maintenir pour assurer le bien-être de la population.
Conflit actuel ou à venir, comment s’y prendre?
Ces quelques exemples récents ne sont qu’un échantillon d’une jurisprudence de plus en plus étoffée et démontrent clairement qu’en cas de mésentente, les tribunaux sont souvent appelés à trancher. Les conflits peuvent prendre plusieurs formes, allant des difficultés relationnelles avec une ou plusieurs personnes à un conflit généralisé impliquant une association accréditée. Peu importe le milieu de travail, il existe des manières de prévenir et de gérer les situations conflictuelles afin d’assurer, autant que possible, la bonne entente et un climat de travail agréable pour tous.
La sensibilisation et la formation des gestionnaires
La préparation en amont demeure essentielle pour la gestion d’un conflit de travail potentiel. Ainsi, sensibiliser les dirigeants et gestionnaires aux droits et aux obligations des parties et les outiller pour qu’ils puissent reconnaître les signes avant-coureurs d’une situation problématique sont de bonnes pratiques à adopter. Les gestionnaires capables d’identifier les enjeux potentiels dans leur milieu de travail permettent à l’employeur de désamorcer plusieurs situations dès le début, évitant ainsi une escalade. La communication et le contact avec les salariés sont particulièrement importants, mais les dirigeants et les gestionnaires se doivent de comprendre les insatisfactions qui, bien qu’en apparence anodines, peuvent être très importantes.
La sensibilisation des gestionnaires passe nécessairement par la formation continue adaptée pour les personnes en position d’autorité et par la mise en place de directives simples, efficaces et dirigées en matière de gestion de conflits. Cette approche permet d’uniformiser les interventions de l’employeur et d’assurer le respect de normes bien définies lorsque certaines situations surviennent. Évidemment, savoir réagir adéquatement dans des situations exceptionnelles permet d’éviter l’improvisation et d’optimiser les probabilités d’une résolution rapide du conflit.
La rédaction de directives détaillées est importante, mais s’assurer qu’elles sont comprises par les personnes chargées de les appliquer en cas de besoin l’est tout autant. La tenue de séances périodiques afin de revoir leur contenu et de s’assurer que les attentes à l’égard des dirigeants et des gestionnaires sont claires est une bonne pratique à instaurer.
La collaboration
Peu importe le type de milieu de travail, la collaboration entre les parties prenantes est essentielle pour prévenir et régler, le cas échéant, des situations conflictuelles. Bien que l’employeur conserve en tout temps son droit de gérance, être à l’écoute de son interlocuteur et tenter d’apporter des solutions pratiques mènent, la plupart du temps, à une résolution pacifique d’un enjeu potentiellement litigieux.
Le respect du droit d’association
Bien que des conflits puissent survenir dans tout milieu de travail, les milieux syndiqués retiennent davantage l’attention. Atteindre un juste équilibre entre le respect du droit d’association et le respect des droits d’un employeur, notamment sa liberté d’expression, est essentiel dans le cadre du maintien de bonnes relations entre un employeur, ses salariés et une association accréditée. La plupart du temps, adopter une approche collaborative permet de désamorcer des situations tendues et de mener à un résultat satisfaisant pour toutes les parties impliquées.
La mise en place de procédures en cas de conflit, y compris le plan de contingence
Cela étant, malgré toute la préparation effectuée par un employeur, des situations conflictuelles peuvent survenir, autant avec un ou plusieurs salariés qu’avec une association accréditée.
La mise en place de procédures de signalement, d’un plan d’enquête et de procédures visant à gérer de telles situations est donc nécessaire pour agir promptement. Établir à l’avance les étapes à suivre dans une situation donnée (par exemple, le recours à une ressource externe ou l’embauche d’un enquêteur indépendant) assure une prise en charge efficace des enjeux et limite les effets négatifs d’un conflit qui peut dégénérer dans une entreprise.
Le plan de contingence se veut un outil particulièrement efficace pour réagir en situation de crise. L’objectif est de se préparer à faire face à une telle situation pour éviter de réagir à chaud. Pour ce faire, on doit envisager divers scénarios susceptibles de survenir afin d’établir la marche à suivre en cas de grève ou de lock-out, ce qui permet une gestion efficace en plus de limiter les conséquences négatives. La mise en place d’un plan détaillé permet à chaque gestionnaire de bien comprendre son rôle dans une situation particulière. Pour être efficace, il doit prévoir diverses situations qui peuvent survenir, les ressources à utiliser, les solutions à envisager et les étapes à suivre pour assurer le maintien des activités. L’établissement d’un plan de communication et l’identification des personnes-ressources pertinentes sont également essentiels à la mise en œuvre du plan de contingence.
Conclusion
Ultimement, les conflits demeurent une réalité avec laquelle tous les employeurs doivent composer. Cela étant dit, c’est principalement la manière dont un employeur se prépare à d’éventuels conflits qui permet à une entreprise de parer à toute éventualité et de sortir du lot lorsqu’un événement survient.