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Harcèlement psychologique au travail : Une question d'intention?

Une compréhension commune du harcèlement, une communication respectueuse et une formation continue sont essentielles pour prévenir les dérapages au travail.
12 juin 2025

Cet article rédigé en 2015 a été mis à jour en avril 2025

Par Marie-Josée Douville, CRHA, ECH, Distinction Fellow

Les enquêtes sur le harcèlement psychologique au travail démontrent que les parties plaignantes et mises en cause témoignent souvent d'une mauvaise compréhension de ce qu'est réellement le harcèlement. Chaque personne peut interpréter une situation conflictuelle à travers le prisme de ses émotions, de ses expériences et de ses ressentis.

Cette interprétation très personnelle mène à des malentendus ou à des réactions chargées d'émotivité. Rapidement, un événement peut être perçu comme une manifestation d'hostilité alors qu'objectivement, ce n'est pas le cas. De telles perceptions instaurent un climat de méfiance entre les personnes concernées.

Prenons comme exemple la notion d'intention dans une situation de harcèlement présumé. Il est fréquent que la personne s'estimant victime soit convaincue que la personne mise en cause avait réellement l'intention de lui nuire. Et cette dernière déclare le plus souvent qu'elle n'était pas du tout mal intentionnée et, de ce fait, réfute la possibilité de harcèlement psychologique.

Ces deux perceptions relatives à « l'intention » révèlent une confusion persistante autour de la définition de « harcèlement psychologique au travail ».

Perception de l'intention : un terrain glissant

Comme le résume si bien Mark Twain : « Ce n'est pas ce que les gens ignorent qui pose problème, c'est ce qu'ils croient vrai et qui ne l'est pas. » Attribuer une intention négative à l'autre partie peut parfois offrir un certain apaisement à la personne qui se sent blessée. Cela donne un sens à ce qu'elle vit.

Mais cette perception, aussi sincère soit-elle, peut rapidement mener à des conclusions hâtives. Le danger, c'est de confondre ce que l'on ressent avec ce qui est objectivement démontrable.

Ce que dit la Loi sur « l'intention »

Sur le plan juridique, la notion d'intention n'est pas un critère déterminant pour établir qu'il y a eu du harcèlement psychologique. En effet, la Loi sur les normes du travail met plutôt l'accent sur le caractère vexatoire des comportements : leur effet nuisible, leur caractère hostile ou non désiré.

Et, qui plus est, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) précise clairement que : « Le caractère vexatoire s'apprécie généralement en fonction de la personne raisonnable qui vit la situation, sans égard aux intentions de la personne visée. » La jurisprudence, y compris celle de la Cour suprême, a aussi retenu cette approche.

Les critères d'une situation de harcèlement

En somme, beaucoup de personnes pensent à tort que tout repose sur l'intention pour qu'il y a ou non du harcèlement au travail. Or, ce sont les faits eux-mêmes − leur répétition, leurs effets et la manière dont ils seraient perçus par une personne raisonnable − qui comptent avant tout.

Mais qu'arrive-t-il lorsqu'une enquête révèle que la personne mise en cause était vraiment animée d'une intention malveillante ? Alors, cela pourra être considéré comme un facteur aggravant, notamment dans le choix des mesures de redressement. Mais ce critère n'est nullement nécessaire à la reconnaissance du harcèlement, on l'a vu. Ce point a encore besoin d'être précisé dans les organisations.

Des chiffres qui parlent d'eux-mêmes

Sur les milliers de plaintes reçues par la CNESST, la majorité d'entre elles mettent en cause l'employeur ou l'un de ses représentants comme auteur présumé du harcèlement. Cela démontre à quel point les rôles de gestion comportent des enjeux humains majeurs, particulièrement en matière de communication, de leadership et d'interventions disciplinaires. Il est donc essentiel de bien outiller les gestionnaires, car leur posture peut être interprétée − à tort ou à raison − comme une forme d'abus.

Fait marquant : une plainte sur cinq est effectivement reconnue comme étant du harcèlement. Ce chiffre révèle l'ampleur du phénomène, mais aussi les zones grises qui l'entourent.

Les responsabilités de l'employeur

Concrètement, même si une personne sous l'autorité de l'employeur est à l'origine des comportements dénoncés, c'est l'employeur qui demeure responsable s'il n'est pas intervenu ou s'il n'a pas mis en place des mesures préventives adéquates. En cas de plainte, l'employée ou l'employé devra démontrer les effets négatifs des comportements subis. Quant à l'employeur, il devra prouver qu'il a agi de manière raisonnable pour prévenir et faire cesser la situation.

Compte tenu des coûts humains, organisationnels et financiers qu'un climat de travail malsain peut entraîner, investir dans la prévention demeure aujourd'hui une stratégie gagnante. Cela passe notamment par :

  • une compréhension claire des comportements attendus en milieu de travail et des limites à ne pas franchir ;
  • le développement du leadership des gestionnaires, en insistant sur leur rôle d'exemplarité et leur responsabilité relationnelle ;
  • la mise en place de mécanismes de résolution des différends à la fois simples, accessibles et crédibles pour l'ensemble des membres de l'organisation ;
  • la formation des membres de l'organisation au savoir-être, à la civilité et à la gestion saine des conflits.

Ces actions ne relèvent plus uniquement de la bonne volonté organisationnelle et ne sont plus de l'ordre des bonnes pratiques suggérées. En effet, adoptée en mars 2024, la Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail oblige maintenant les employeurs à mettre en place des politiques de prévention et à assurer de façon continue la sensibilisation du personnel à l'égard du harcèlement.

Miser sur la formation

Bref, une compréhension commune et objective du harcèlement psychologique au travail est essentielle pour prévenir les dérapages et intervenir de façon équitable. Entre autres, cela suppose que les équipes de travail saisissent l'importance d'une communication efficace, respectueuse, adaptée, et qu'elles développent leurs habiletés à cet égard. Elles seront alors mieux outillées pour dissiper les malentendus, éviter les procès d'intention et désamorcer les tensions avant qu'une situation dégénère.

En matière de harcèlement psychologique, la sensibilisation et la formation continue et à jour, accessibles à l'ensemble du personnel, apparaissent comme les leviers les plus puissants pour assurer un milieu de travail harmonieux.

Marie-Josée Douville, CRHA, ECH, Distinction Fellow est présidente, associée - enquêtrice certifiée et médiatrice accréditée chez Drolet Douville et Associés inc.

Cet article rédigé en 2015 a été mis à jour en avril 2025