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La Loi sur les normes du travail et l’embauche de travailleurs étrangers temporaires au Québec

Cet article dresse une liste non exhaustive de quelques-unes des obligations les plus importantes que les employeurs québécois doivent comprendre lorsqu’ils embauchent des travailleurs étrangers temporaires.
22 mai 2024
Me Jean-Philippe Brunet, CRHA | Me Isabelle Owston

D’entrée de jeu, il importe de souligner que les dispositions de la Loi sur les normes du
travail[1]
(ci-après la « LNT ») sont d’ordre public, et la plupart[2] des droits et des obligations qui s’y retrouvent s’appliquent à tous les travailleurs étrangers temporaires visés par le champ d’application de cette loi, et ce, peu importe le programme d’immigration ou toute autre autorisation de travail au Canada leur ayant permis de recevoir un permis de travail.

Considérant les sanctions potentiellement applicables en cas de non-conformité pouvant être émises par la Commission des normes, de l’éthique et de la santé et sécurité au travail (ci-après « CNESST »), il est essentiel pour les employeurs qui embauchent des travailleurs étrangers temporaires d’être à l’affût des obligations qui leur incombent et ainsi, de mettre en place des mesures pour veiller à leur respect.

Les obligations des employeurs

Comme mentionné plus haut, la LNT est une loi d’ordre public.

Il existe de nombreuses obligations que les employeurs doivent veiller à respecter. Le présent article survole les obligations les plus fréquemment oubliées ou même celles qui sont méconnues des employeurs québécois.

  1. La déclaration d’embauche des travailleurs étrangers temporaires

Les employeurs qui procèdent à l’embauche de travailleurs étrangers temporaires par l’intermédiaire du Programme des travailleurs étrangers temporaires (ci-après « PTET ») au Québec doivent s’assurer d’en faire la déclaration auprès de la CNESST[3].

Cette déclaration d’embauche doit informer la CNESST sans délai de la date d’arrivée et de départ des travailleurs étrangers temporaires, de la durée de leur contrat de travail et des motifs de départ en cas de départ prématuré[4]. Cette déclaration peut être faite en ligne sur Mon Espace CNESST ou par la poste par courrier recommandé.

La CNESST émettra un avis d’infraction à un employeur qui omet de produire cette déclaration ou qui produit une déclaration tardive. Les employeurs recevront donc généralement un avis afin de se conformer à l’obligation de déclaration, mais la CNESST pourrait aussi intervenir d’office et appliquer des sanctions pénales à un employeur en défaut[5].

Il est important de noter que les documents liés à l’embauche d’un travailleur étranger temporaire doivent être conservés pendant trois (3) années dans le système d’enregistrement et le registre de l’entreprise de l’employeur.

  1. Interdiction de recouvrer des frais de recrutement et certains frais concernant le logement

En vertu de l’article 92.12 de la LNT, il est interdit à l’employeur d’exiger d’un travailleur étranger temporaire le remboursement des frais liés à son recrutement, autres que ceux autorisés en application d’un programme gouvernemental canadien.

Il incombe donc aux employeurs, en collaboration avec leurs conseillers en droit du travail et de l’immigration le cas échéant, de veiller à ce que les contrats d’emploi ne comportent pas de clause de remboursement des frais liés au recrutement.

Seuls les frais décrits dans les articles du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés peuvent être recouvrés auprès des travailleurs étrangers temporaires[6].

Par conséquent, selon l’interprétation actuelle de ces dispositions, les frais de démarchage, les frais liés à l’affichage de poste, les honoraires professionnels payés à un tiers représentant et les autres frais de nature similaire ne peuvent être recouvrés auprès du travailleur étranger temporaire, et ce, peu importe la raison utilisée par l’employeur, pour justifier le remboursement.

En ce qui concerne les frais de logement, les employeurs doivent tout d’abord comprendre les obligations qui leur incombent à ce titre en vertu du programme d’immigration utilisé.

En effet, certains programmes d’immigration ne requièrent aucune intervention des employeurs ou imposent uniquement aux employeurs qu’ils démontrent qu’il existe des logements convenables et abordables dans la région du lieu de l’emploi.

Si un employeur choisit, de son propre chef, d’aider le travailleur étranger alors qu’aucune obligation l’exige, par exemple en louant un appartement au nom de l’entreprise et en offrant une sous-location au travailleur, l’employeur pourrait être considéré avoir « veiller à fournir » un logement. Dans ce cas de figure, l’employeur doit savoir que la CNESST le considère comme assujetti à l’article 6 du Règlement sur les normes du travail (ci-après « RNT ») qui limite significativement les montants pouvant être recouvrés auprès du travailleur étranger temporaire.

Il est donc important que les employeurs demeurent vigilants dans les cas où ils n’ont pas l’obligation de fournir un logement. À moins de vouloir offrir le logement dans le cadre d’une offre d’emploi ou d’accepter de respecter les montants pouvant être récupérés auprès du travailleur étranger temporaire en conformité avec l’article 6 du RNT, un employeur qui n’a pas l’obligation légale de le faire devrait demeurer prudent dans sa participation à la recherche de logement du travailleur étranger temporaire.

Il importe de souligner que l’interprétation de l’expression « veiller à fournir » fait présentement l’objet de débats judiciaires.

  1. Recrutement des travailleurs étrangers temporaires

Les employeurs qui choisissent de retenir les services de ressources externes en recrutement ont des obligations relatives à la manière de procéder au recrutement de travailleurs étrangers temporaires. En effet, si un employeur décide de retenir de tels services, il importe de souligner que seules les agences de placement de personnel ou les agences de recrutement détenant un permis valide délivré par la CNESST peuvent être utilisées pour identifier et recruter des travailleurs étrangers temporaires[7].

En effet, la LNT énonce à l’article 92.6 : « Une entreprise cliente ne peut retenir les services d’une agence de placement de personnel ou d’une agence de recrutement de travailleurs étrangers temporaires qui n’est pas titulaire d’un permis délivré par la Commission, conformément à un règlement du gouvernement.

La Commission met à la disposition du public une liste des titulaires de ces permis qu’elle dresse et tient à jour. »

Un employeur qui a recours aux services d’agences qui ne sont pas titulaires d’un permis émis par la CNESST s’expose à des conséquences[8]. De plus, en vertu de l’article 99 (6), le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (ci-après « MIFI») peut refuser la demande d’évaluation des effets de l’offre d’emploi dans le cas d’un employeur qui retient les services d’une agence de recrutement de travailleurs étrangers temporaires qui n’est pas titulaire d’un permis valide.

La liste des agences qui détiennent un permis peut être consultée au lien suivant : https://www.cnesst.gouv.qc.ca/fr/demarches-formulaires/agences-placement-personnel-recrutement/permis-agences/registre-titulaires-permis-agence.

Les pouvoirs d’enquête de la CNESST

Les employeurs doivent d’abord savoir qu’en plus du mandat de surveillance de la CNESST relative à l’application des normes du travail, celle-ci peut procéder à des enquêtes d’office afin de surveiller le respect des obligations des employeurs relativement aux travailleurs étrangers temporaires embauchés sous le PTET[9].

En effet, l’article 92.10 énonce : « Si, après enquête, la Commission a des motifs de croire qu’un travailleur étranger temporaire a été victime d’une atteinte à un droit conféré par la présente loi ou un règlement, elle peut, même sans plainte et si aucun règlement n’intervient, exercer tout recours pour le compte de ce travailleur. »

Ainsi, il n’est pas nécessaire qu’un salarié dépose une plainte pour que la CNESST intervienne dans un milieu de travail pour surveiller, inspecter, émettre un avertissement et, le cas échéant, appliquer une sanction pour un travailleur étranger temporaire sous le PTET.

Il est à noter que la CNESST peut également intervenir à la suite d’un signalement[10] ou bien peut procéder à des enquêtes aléatoirement en milieu de travail.

Au terme d’une enquête, si la CNESST constate que d’autres travailleurs étrangers temporaires ayant un permis de travail émis sous le PTET sont aussi victimes d’une infraction, la CNESST procédera à une enquête d’office, donc sans plainte préalable.

Ainsi, la LNT offre à la CNESST des pouvoirs d’inspection larges et, par conséquent, les employeurs doivent demeurer vigilants afin de ne pas s’exposer à des conséquences en cas de non-conformité.

Les conséquences et les sanctions applicables en cas de non-conformité

Dans le cas d’une non-conformité d’un employeur dont les salariés sont visés par le champ d’application de la CNESST, un employeur s’expose non seulement à un risque réputationnel et d’affaires, mais aussi à des conséquences pécuniaires.

De plus, après une enquête, la CNESST est en mesure d’appliquer des sanctions pénales qui varient en degré de gravité.

Un employeur en contravention pourra aussi subir des conséquences au sujet de l’embauche future de travailleurs étrangers temporaires par l’interaction entre la LNT et le Règlement sur l’immigration au Québec (ci-après « RIQ ») mis en œuvre par le MIFI[11].

En effet, le MIFI a accès à la liste des condamnations pénales de la CNESST et, par conséquent, en vertu de l’article 99 du RIQ, il peut refuser d’accorder son consentement à un séjour temporaire pour un travailleur étranger temporaire ayant obtenu une offre d’emploi pour un employeur en contravention des obligations décrites à la LNT[12].

Conclusion

À la lumière des conséquences potentielles et des sanctions applicables en cas de non-conformité, il est primordial pour les employeurs d’être au courant de leurs obligations provinciales sous la LNT.

Quoique les régimes de conformité propres à chaque programme d’immigration soient importants, les obligations de la LNT au Québec doivent également être respectées, sans quoi une non-conformité pourrait influencer négativement la réputation d’un employeur et les démarches subséquentes d’immigration relativement à l’embauche de travailleurs étrangers temporaires.


Author
Me Jean-Philippe Brunet, CRHA Avocat -Fondateur Galileo Partners inc.
Jean-Philippe Brunet est l’un des rares avocats québécois à avoir exclusivement consacré sa carrière à conseiller des entreprises et des gens d’affaires en matière d’immigration. Il est également membre CRHA depuis plus de 20 ans.
Il pratique depuis plus de 25 ans à Montréal, d’abord dans un cabinet boutique de premier plan, puis comme associé et chef de l’équipe nationale en immigration d’affaires au sein d’un cabinet international et finalement comme associé fondateur et directeur de Galileo Partners depuis 2016.
Jean-Philippe figure, depuis maintenant près de 15 ans, sur les palmarès les plus reconnus du domaine juridique, y compris Chambers & Partners, Best Lawyers, Who's Who Legal, Canadian Lexpert Directory, Legal 500 Canada, Lexology Client Choice Award et BTI Client Service All-Star – ce qui fait de lui l’un des avocats les plus reconnus dans le domaine du droit de l’immigration au Canada.

Author
Me Isabelle Owston Avocate
Me Isabelle Owston est avocate en immigration d’affaires au sein du cabinet montréalais Avocats Galileo Partners inc.

Source : VigieRT, mai 2024

1 La Loi sur les normes du travail (www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/n-1.1).
2 Certaines dispositions de la LNT sont applicables uniquement pour les travailleurs étrangers temporaires sous le Programme des travailleurs étrangers temporaires.
3 Cette obligation découle de l’article 92.9 de la LNT. Il est à noter que cette obligation n’est pas applicable sous le PMI.
4 Dans ce cas, une déclaration modificatrice est requise.
5 Même si la CNESST met présentement en œuvre cette obligation dans une optique de « meilleure pratique », en cas d’avertissement et de défaut à corriger la situation, un employeur est passible d’une amende allant de 600 $ à 1 200 $, et dans le cas d’une récidive, de 1 200 $ à 6 000 $.
6 Seuls les frais de traitement pour les visas de résident temporaire, permis de séjour temporaire et permis de travail peuvent être recouvrés auprès du travailleur étranger temporaire, comme permis par les paragraphes 296(1), 298(1) et 299(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.
7 Un employeur peut bien entendu identifier un travailleur étranger temporaire de son propre chef, mais si les services d’une agence de placement ou de recrutement sont retenus, celle-ci doit avoir un permis valide délivré par la CNESST.
8 L’amende est de 600 $ à 6 000 $ et, dans le cas d’une récidive, de 1 200 $ à 12 000 $.
9 La CNESST ne peut pas procéder à une enquête d’office pour les travailleurs étrangers temporaires embauchés sous le Programme de mobilité internationale (PMI). Sous le PMI, il doit y avoir une plainte déposée par un salarié afin que la CNESST puisse intervenir.
10 Un signalement est souvent effectué par le consulat ou un organisme des droits de défense des travailleurs étrangers temporaire.
11 Le MIFI est le ministère de niveau provincial qui est conjointement responsable avec Emploi et Développement social Canada d’émettre des autorisations de séjour temporaire pour valider une offre d’emploi sous le PTET.
12 L’article 99 du Règlement sur l’immigration au Québec énonce les infractions à la LNT qui mènent au refus de la demande d’évaluation des effets d’une offre d’emploi.