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Le port de la carte d’identité : un moyen d’assurer la sécurité des patients!

Manifestations, jours de grève, moyen de pression, négociations : plusieurs termes qui font actuellement les manchettes. En effet, le gouvernement du Québec est en négociation pour le renouvellement des conventions collectives dans plusieurs secteurs de la fonction publique. Dans un contexte où le gouvernement tente de diminuer la dette de la province, le processus de négociation semble être un exercice plus difficile qu’à l’habitude. Devant ces difficultés, les divers syndicats manifestent leur mécontentement par divers moyens de pression. Les médias nous parlent de manifestations, de grèves tournantes et de divers autres moyens de pression. Les citoyens sont également à même de constater eux-mêmes certains de ces moyens de pression, notamment les autocollants sur divers véhicules d’urgence. En ce qui concerne les autres moyens de pression possibles, on peut penser, à titre d’exemple, au port de macarons, à l’affichage de slogans ou à la modification de la tenue vestimentaire, les syndicats sont également limités.

25 novembre 2015
Janie-Pier Joyal, CRIA

Un des secteurs de la fonction publique actuellement en négociation avec le gouvernement est le réseau de la santé et des services sociaux. Les syndicats du réseau de la santé font d’ailleurs part de leur mécontentement à l’égard des offres patronales et du processus de négociation par divers moyens, lesquels sont cependant limités. En effet, les services offerts par le réseau de la santé sont des services essentiels, ce qui, en vertu du Code du travail, restreint le droit de grève et le recours à certains moyens de pression.

En matière de grève, le Code du travail prévoit, pour le réseau de la santé, qu’un certain pourcentage de salariés par quart de travail doit être maintenu en poste afin d’assurer les services, et ce, en fonction de la mission des divers établissements de santé (centre hospitalier, centre d’hébergement ou autre).

En outre, le Code du travail prévoit que la Division des services essentiels de la Commission des relations du travail (ci-après la « CRT ») peut intervenir si le conflit entre les parties porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à un service auquel la population a droit. Conséquemment, les syndicats doivent s’assurer que les moyens de pression qu’ils choisissent d’exercer ne portent pas atteinte, ou ne risquent pas de porter atteinte aux services.

C’est dans ce contexte que la CRT a été saisie, en octobre dernier, d’une demande d’intervention par le Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides. L’employeur a demandé à la CRT d’intervenir puisqu’il estimait qu’un des moyens de pression exercés par le syndicat représentant notamment les membres du personnel infirmier était susceptible de porter atteinte au service auquel la population a droit. La commissaire a donné raison à l’employeur dans l’affaire Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides et Syndicat des professionnels(les) en santé du Lac des Deux-Montagnes (FIQ)[1] et ainsi ordonné au syndicat de cesser ledit moyen de pression.

Dans cette affaire, l’employeur contestait le fait que les salariés membres du syndicat intimé ne portaient pas leur carte d’identité. Il alléguait que ce moyen de pression pouvait compromettre la sécurité des patients et, par conséquent, possiblement porter atteinte au service auquel la population a droit. Selon l’employeur, la carte d’identité est le seul moyen pour les usagers des établissements de santé d’avoir la certitude que les gens qui leur donnent des soins sont de véritables membres du personnel de l’employeur. Il avait d’ailleurs été mis en preuve que la carte d’identité était le seul moyen visible permettant d’identifier les membres du personnel.

Il est important de savoir que dans le contexte des moyens de pression, les salariés membres du syndicat intimé et d’autres salariés chez l’employeur ne portent pas leur uniforme de travail habituel. Certains d’entre eux portent des pyjamas, des jeans ou même divers autres costumes ainsi que des chandails variés dont certains sont à l’effigie de leur centrale syndicale. L’employeur ne contestait pas ce moyen de pression, mais invoquait que ce moyen de pression, jumelé au fait de ne pas porter la carte d’identité, était susceptible de semer la confusion chez les usagers et pouvait causer des problèmes pour l’identification du personnel.

Selon l’employeur, le fait de ne pas porter la carte d’identité pouvait avoir pour effet que des personnes mal intentionnées s’introduisent dans les établissements de santé pour diverses raisons et s’improvisent infirmiers devant les usagers. À cet égard, l’employeur faisait d’ailleurs référence à un événement survenu en mai 2014, dans un hôpital de Trois-Rivières où une dame s’était introduite dans l’hôpital en se faisant passer pour une infirmière et avait enlevé un nouveau-né. Ainsi, l’employeur alléguait que le fait de ne pas porter la carte d’identité était susceptible de porter atteinte au droit des usagers de recevoir des soins de santé de manière sécuritaire[2].

La commissaire a conclu que le port de la carte d’identité est le seul moyen, non seulement d’identifier les membres du personnel, mais également de justifier leur présence dans l’établissement. La commissaire Lapointe a d’ailleurs fait référence à l’enlèvement du bébé à Trois-Rivières afin d’appuyer ses conclusions.

De son côté, le syndicat alléguait que le fait de ne pas porter la carte d’identité ne causait pas de problème d’identification ou de sécurité puisque les membres du personnel se connaissent et qu’ils peuvent facilement s’identifier entre eux. Or, la commissaire n’a pas retenu cet argument. Pour elle, l’identification est importante pour les usagers et leurs proches et non pas seulement pour les membres du personnel entre eux.

Qui plus est, bien que la preuve ait démontré que, généralement, le personnel infirmier s’identifie auprès des patients avant d’intervenir n’a pas convaincu la commissaire que le moyen de pression était justifié au sens du Code du travail. En effet, elle estime que le fait de s’identifier oralement n’empêche pas une personne n’étant pas infirmière de se présenter devant un usager et de se prétendre infirmière.

Selon la commissaire, les usagers du réseau de la santé ont le droit de se sentir en sécurité et en confiance lorsqu’ils doivent bénéficier de services sociaux ou de services de santé. Elle souligne que dans ces circonstances, l’usager est souvent en état de vulnérabilité et a droit de savoir, en un coup d’œil, que la personne qui se présente devant lui est véritablement celle qu’elle prétend être.

La commissaire signale également que bien qu’aucun incident ne soit survenu en lien avec la sécurité des patients, le critère d’intervention est non seulement le préjudice au service, mais le fait que le moyen de pression soit susceptible de causer un préjudice au service auquel la population a droit. Ainsi, bien qu’il ne soit rien arrivé, la CRT avait le pouvoir d’intervenir afin de prévenir qu’il y ait véritablement une atteinte au service. La conclusion de la commissaire résume bien l’essence de cette affaire :

« [57] Il est clair que le port visible de la carte d’identité avec photo ne peut prévenir tous les abus, mais elle est certainement un outil qui favorise à une prestation de services sécuritaire dans le respect du droit des patients.

[58] La Commission juge que le non-port de la carte d’identité est susceptible de mettre en danger la sécurité des patients et conséquemment, susceptible de causer préjudice au service auquel la population a droit. »

À la lumière de cette décision, il semble donc que l’identification du personnel des secteurs publics et parapublics puisse être un élément important dans la prestation des services essentiels. Il est certain que ces principes ne s’appliquent pas intégralement dans un établissement où l’accès est plus contrôlé qu’il ne l’est dans un hôpital, par exemple.

Il est à noter que le problème d’identification du personnel avait également été soulevé dans l’affaire des policiers de Châteauguay[3] qui s’habillaient en shérif. Dans cette affaire, la CRT avait rejeté cet argument puisque malgré le déguisement de shérif, les policiers portaient divers autres signes distinctifs permettant de les identifier (l’insigne, le nom du policier, la chemise réglementaire munie des armoiries de la ville, le ceinturon et ses accessoires ainsi que le gilet pare-balles).

Il reste à voir si d’autres syndicats et employeurs du secteur de la santé et des services sociaux ou d’ailleurs dans le secteur public auront à débattre de cette question devant la division des services essentiels de la CRT.

Source : VigieRT, novembre 2015.


1 2015 QCCRT 564.
2 Voir notamment l’article 2 Loi sur les services de santé et les services sociaux.
3 Châteauguay (Ville) c. Fraternité des policiers de Châteauguay inc., 2014 QCCRT 693

Janie-Pier Joyal, CRIA