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Transparence salariale : dis-moi combien tu gagnes

La pression croissante pour plus d’équité, de diversité et d’inclusion, conjuguée à l’entrée de la génération Z sur le marché du travail et à l’influence des médias sociaux, tend à faire de la transparence salariale un incontournable. Des organisations et des gouvernements s’y conforment déjà. Pourquoi et comment suivre la cadence sans commettre de faux pas?
4 août 2025
Fanny Rohrbacher

Comment détermine-t-on la rémunération dans votre milieu de travail? Connaissez-vous les salaires de vos collègues? Où votre organisation place-t-elle son aiguille sur la jauge de la transparence salariale? Établit-elle des balises claires et accessibles?

En se montrant ouvertes sur ces questions, les organisations éliminent davantage les écarts et les iniquités, en plus de se positionner comme leaders sur le marché[1]. La transparence salariale leur permet aussi de renforcer la motivation, la confiance et l’engagement de leurs équipes, de faciliter la gestion des carrières, de favoriser un climat de travail sain et respectueux et d’assurer la rétention des talents. C’est aussi une bonne façon de répondre aux nouvelles attentes des travailleurs et des travailleuses.

S’adapter pour mieux embaucher

Selon le rapport 2024 des Tendances en rémunération et pratiques RH de la Talenterie, 44 % des organisations (parmi 106 PME et OBNL québécois) partagent le salaire ou l’échelle salariale dans leurs descriptions de poste. Une nette évolution, comparée à l’année précédente (29 %), témoignant d’une plus grande ouverture. Pourtant, Sarah Jodoin-Houle, CEBS, CRHA, fondatrice et experte-conseil à la Talenterie, reste surprise. « Ce qu’on observe, quand on fait des recherches sur le Web, c’est une proportion beaucoup plus faible sur les plateformes usuelles, comme Indeed. En particulier pour les postes de direction, c’est encore difficile de trouver des affichages avec les salaires », constate l’experte.

À l’échelle du pays, une enquête de Mercer[2] datant de 2023 rapporte que 28 % des employeurs divulguent ouvertement les échelles salariales. L’engagement semble à la hausse. Pourtant, cette même enquête estime que 40 % des employés et employées ne postuleraient probablement pas à un emploi si l’offre n’indiquait pas la rémunération.

Mais le tout n’est pas seulement de divulguer le montant de la rémunération. « Si on dit les salaires sans donner les critères, c’est de l’information qui n’a aucun sens », déplore Jacques Forest, CRHA, psychologue et professeur titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal. Il faut donc en faire plus que ça.

Les 4 piliers de la justice sociale

« La transparence salariale, c’est un fantastique vecteur de justice sociale! », clame Jacques Forest. Pour lui, l’une ne va pas sans l’autre dans la lutte contre les inégalités et iniquités.

Néanmoins, le salaire n’est qu’une des manifestations possibles de la justice sociale. « En même temps, dans une relation d’emploi — à la fois lorsqu’on cherche un emploi et lorsqu’on y est —, c’est normal que le salaire devienne le critère le plus en haut de la liste. Il est concret, il est tangible, il est visible et on le reçoit à chaque deux semaines », concède-t-il.

Le chercheur divise la justice sociale en quatre types :

  • La justice distributive : «Qui reçoit quel salaire? Combien?»
  • La justice procédurale : « Quels critères et paramètres utilise-t-on pour décider qui a combien? Si Jeanne a trois maîtrises et 15 ans d’expérience, elle va peut-être être payée plus que Julie, qui a une maîtrise et deux ans d’expérience, mais il faut avoir décidé des critères », donne le professeur comme exemple.
  • La justice informationnelle : « Est-ce que ces informations-là sont publiques? Sont-elles facilement accessibles? Sont-elles répertoriées quelque part? »
  • La justice interactionnelle : « Est-ce qu’on me traite avec respect et dignité? »

« Le problème, et une des choses qu’on va souvent mettre de l’avant, c’est de dire simplement les salaires, de mentionner juste le distributif », note Jacques Forest. Selon lui, les recherches semblent démontrer que, parmi les quatre types de justice, c’est la procédurale la plus importante[3]. Donc, quels critères utilise-t-on pour déterminer qui a combien? En bref, « la transparence salariale peut être un bon vecteur de justice sociale lorsqu’il y a principalement le procédural, ensuite le distributif, puis en complément, l’informationnel et le respect ». Et les lois, elles, que mettent-elles de l’avant?

S’inspirer pour emboîter le pas

Au cours des trois dernières années, quatre provinces canadiennes sur dix se sont penchées sur la transparence salariale.

L’Île-du-Prince-Édouard[4], Terre-Neuve-et-Labrador[5] et la Colombie-Britannique[6] ont adopté des mesures législatives. Grosso modo, en plus d’obliger les organisations à inclure l’échelle salariale dans les affichages de poste, il leur est interdit de demander à une personne combien elle gagnait dans ses emplois précédents, ou d’infliger des sanctions ou des représailles aux personnes qui discutent de leur rémunération avec leurs collègues. Certaines organisations sont aussi tenues de publier des rapports sur la transparence salariale.

Du côté de nos voisins ontariens, le gouvernement a proposé une nouvelle loi[7], s’inspirant de ses homologues. Les exigences de l’Ontario en matière de transparence salariale et d’affichage de postes entreront en vigueur en 2026.

Une tendance à la hausse dans le pays et dans le monde. Et au Québec, quand emboîterons-nous le pas?

Malgré les efforts des gouvernements, « les lois vont souvent mettre de l’avant les échelles salariales, soit le distributif. Le complément principal, ce sera le procédural. Quels critères utilise-t-on pour déterminer qui a combien?» prévoit Jacques Forest. Alors, concrètement, comment les organisations doivent-elles s’organiser autour de la transparence salariale?

Petit guide des bonnes pratiques

Une bonne stratégie engloberait toutes les étapes du parcours d’un employé ou d’une employée, du processus de recrutement jusqu’à la progression professionnelle[8].

Voici quatre bonnes pratiques à mettre de l’avant :

  1. Amorcer le changement à l’interne

    Avant toute chose, il est impératif de se conformer à l’équité salariale et d’être équitable à l’interne. Au sein d’une organisation, les emplois de même valeur doivent avoir le même potentiel de rémunération[8]. C’est l’occasion de corriger les anomalies dans son organisation afin d’éviter les sources de frustration ou de démotivation. 

    Une personne est payée plus que les autres? Une bonne option serait «de lui proposer un plan de développement des compétences et la prévenir qu’elle n’aura pas d’augmentation tant que les autres ne l’auront pas rejointe sur son échelon », préconise Sylvie St-Onge, CRHA, Distinction Fellow, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal[9].

  2. Garantir une transparence des principes et des processus

    C’est la fameuse justice procédurale explicitée par Jacques Forest. Quels critères et quelles procédures mènent à l’établissement des salaires et à la progression au sein de l’organisation? « L’ancienneté? Les diplômes? La performance? Le rendement? Les responsabilités? », demande le chercheur uqamien. À titre d’exemple, Moov AI, une firme de services-conseils en intelligence artificielle, a établi pas moins de 16 critères pour guider ses décisions de manière cohérente et structurée[10]!

    « N’ayez pas peur de discuter des procédures, soutient Jacques Forest. Puis, n’ayez pas peur, si elles ont été perçues comme injustes, de les changer. Maintenez le dialogue ouvert. » Pensez aussi à vous maintenir à jour sur les lois en vigueur en matière de transparence salariale.

  3. Miser sur une bonne communication

    Plus de la moitié des travailleurs et travailleuses de la génération Z (c’est-à-dire les moins de 30 ans) parlent de leur salaire à leurs collègues, d’après l’enquête de Mercer. Un rapport à l’argent et au partage des informations de moins en moins tabou, qui nécessite une vigilance accrue lorsqu’on se lance dans une stratégie de transparence salariale. Les informations sont-elles exposées dans un contexte plus global? Tient-on compte d’autres composantes, comme la flexibilité des horaires, les vacances, les avantages sociaux et les programmes d’aide aux employés[8]?

    Des formations bien pensées, ainsi que des outils et des mécanismes de communication efficaces permettent aux gestionnaires de bien comprendre la rémunération et de faciliter la communication sur ses valeurs et ses composantes[8],[11]. C’est ça, le cœur de la justice informationnelle.

  4. Veiller à une progression équitable pour tous et toutes

    Établir un lien clair et objectif entre la performance et la rémunération s’avère tout aussi fondamental, selon les professeurs Leon Lam, Peter Bamberger, Man-Nok Wong et la professeure Bonnie Hayden Cheng. Dans Harvard Business Review[11], ces experts invitent les organisations à mettre en place un système objectif de la mesure de la performance en combinant des indicateurs et un suivi continu.

    Une proposition de bonne pratique qui rejoint celle d’Anna Potvin, CRHA et conseillère principale, rémunération, de promouvoir la progression individuelle équitable pour chaque personne en emploi, en fonction de sa contribution au succès de l’organisation[8].

La transparence salariale n’est pas qu’une conformité légale. Elle répond aux nouvelles attentes des travailleurs et travailleuses, tout en mettant un point d’honneur à la justice sociale. En tant qu’organisation, c’est ce qu’il faut en retenir pour saisir justement toute sa portée et en retirer tous ses avantages.

Bibliographie

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Author
Fanny Rohrbacher Journaliste scientifique