Si parler de son salaire au bureau peut parfois encore être tabou, chez Moov AI, c’est une valeur organisationnelle. Pour Megan Danis, directrice culture et développement, la transparence salariale est un passage obligé si l’on souhaite évoluer avec le marché du travail.
Moov AI est une firme de services-conseils en intelligence artificielle (IA). Son rôle est de bâtir des solutions basées sur l’IA pour répondre à des problèmes d’affaires d’entreprises. La transparence salariale est une valeur de l’entreprise depuis sa création en 2018. « C’est plus qu’un concept, explique Megan Danis, qui y travaille depuis plus de quatre ans. C’est une façon d’assurer l’équité à l’interne, d’augmenter et de favoriser l’engagement de nos équipes. »
Pour l’entreprise, cette valeur va très loin. Le premier pas est évidemment d’indiquer l’échelle salariale dans les descriptions de poste. Mieux encore, à l’interne, les salaires des uns et des autres, tout comme les grilles et outils qui ont mené à cette somme, sont complètement transparents. « On sait exactement le salaire que chaque personne reçoit, de sa rémunération de base à celle qui peut être variable avec les primes. On fait part aussi de l’ensemble de nos outils d’aide de prise à la décision pour que les collègues comprennent la justesse salariale applicable chez nous. On explique les lignes directrices qui nous guident », détaille la directrice culture et développement.
Étape par étape
Cette transparence s’est instaurée étape par étape. À sa création, Moov AI formait des comités pour décider du salaire des collègues. Une fois que l’entreprise s’est agrandie, plusieurs outils ont été créés pour permettre aux gestionnaires de sonder leurs équipes et de se positionner sur certains salaires.
La première étape a donc été d’évaluer l’amplitude de chaque poste pour les comparer, sans prendre en compte les personnes les occupant. Il s’agissait donc de déterminer les fonctions principales et d’évaluer les descriptions de poste afin de pouvoir les comparer. Un peu plus de 16 critères ont été établis pour guider les décisions, dont les conditions de travail, le niveau d’études, les expériences passées, les responsabilités du poste, la gestion des collègues, la capacité de vulgariser ou la mise à jour des connaissances techniques.
Une fois qu’un premier positionnement est établi, il est vérifié en comité consultatif. L’idée est de voir si les membres de l’équipe sont d’accord avec ce choix. La consultation est au cœur de la dynamique de Moov AI. Un World Café a même été organisé pour que des collègues remettent en question les positionnements de l’équipe de direction.
Pour rappel, le World Café est une méthode basée sur le pouvoir de la conversation, qui amène les personnes participantes à échanger leurs idées en petits groupes. C’est donc à la suite de l’expérience que des échelles salariales ont été établies. « On a préparé des échelles par groupes de fonctions équivalentes, indique Megan Danis. Par exemple : un scientifique de données est équivalent chez nous à un développeur de données parce qu’on a jugé qu’ils avaient les mêmes retombées, la même amplitude et la même complexité dans leur rôle. »
On ne s’est pas arrêté là. Par la suite, l’équipe de Moov AI est allée se positionner sur le marché du travail en s’aidant des différentes études salariales d’autres entreprises, qui avaient un revenu équivalent dans la même industrie.
Pas un sujet tabou
La question salariale, en entrevue d’embauche comme dans les corridors, n’est pas un tabou chez Moov AI. Comme l’expérience des gens et le parcours scolaire sont pris en considération dans les prérequis de chacun des postes, la transparence est telle qu’on sait que, généralement, chaque scientifique de données détient une maîtrise et qu’on est alors situé dès l’embauche. « L’idée est de savoir si l’individu est en croissance, en consolidation ou s’il maîtrise parfaitement sa fonction. C’est comme cela qu’on parvient à trouver le salaire le plus juste et le plus proche du marché », précise Megan Danis.
Lorsque le sujet de la rémunération et de la transparence étonne, interpelle ou met mal à l’aise des personnes candidates, c’est que la valeur de transparence chère à l’entreprise n’est pas partagée. « Cela amène aussi un autre questionnement quand une personne n’est pas habituée à cette transparence : est-ce un bon fit avec notre culture d'entreprise? » soulève la professionnelle.
Des attentes claires
Chez Moov AI, la transparence salariale est telle qu’elle contribue à maîtriser les discussions de corridor sur le salaire puisque l’équipe sait sur quel outil se baser s’il faut considérer des solutions en cas de désaccord ou de frustration.
Si l'on entend souvent dire qu’une entreprise peut perdre en pouvoir d’attraction si elle applique la transparence salariale, Megan Danis est persuadée du contraire. Pour elle, il s’agit d’un élément distinctif d’une marque employeur. En plus d’adhérer aux valeurs de l’entreprise, les talents sont reconnus pour la valeur qu’ils apportent.
Quant aux relations entre collègues, elles sont apaisées à ce point de vue, car tout le monde a l’impression d’être payé adéquatement. « Comme le positionnement est transparent, je sais que je peux compter sur les collègues qui sont plus en maîtrise de leur fonction pour prendre une place plus grande dans une rencontre client difficile ou m'apporter un certain soutien. », ajoute Megan Danis.
Des enjeux de perception
Comme professionnelle en ressources humaines, Megan Danis soutient cependant que, comme tout système lié à la rémunération, la transparence salariale a aussi ses enjeux.
L’un d’entre eux concerne les biais connus chez l’humain et sa tendance à surestimer ses compétences et succès versus les faiblesses des autres. « Nous avons une certaine difficulté à avoir un regard rétrospectif sur nous-mêmes et nos collègues. Parfois, cela peut créer un sentiment d’injustice et, d’autres fois, il peut y avoir un décalage entre la vision de la personne, celle qu’elle a de ses collègues et celle du gestionnaire. Mais on peut difficilement se pencher sur cette difficulté sans transparence salariale. En revanche, c’est une bonne occasion de livrer de la rétroaction constructive à l’autre », explique Mme Danis.
Ainsi, il peut aussi arriver que la perception d’une personne sur son travail ou ce qu’elle vaut sur le marché ne corresponde pas à la réalité. Dans ces cas-là et lorsque le problème est abordé, l’équipe de Moov AI vérifie les données et discute de la raison pour laquelle les perceptions sont différentes.
Megan Danis croit que la compréhension des principes liés à la rémunération est un réel enjeu. « Ce n’est jamais si simple. Comme spécialiste en ressources humaines, j’ai été soutenue par d’autres, mais l’enjeu principal ici est de favoriser la communication pour que les décisions soient comprises. Ce n’est pas une science exacte, il y a tout le temps un peu de subjectivité qui peut rendre mal à l’aise certaines personnes, mais l’important est d’en parler. »