Introduction
Dans le paysage professionnel contemporain, l'équité, la diversité et l'inclusion (ÉDI) sont devenues des concepts incontournables pour les entreprises visant à créer des environnements de travail respectueux et inclusifs. Ces principes soutiennent un engagement envers l'équité pour rétablir l'équilibre avec les groupes en quête d'équité[1], y compris les personnes autochtones.[2]
Parallèlement, la réconciliation avec les peuples autochtones, guidée par les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR)[3], exige un engagement d’une autre nature, ce qui inclut d’honorer les droits et la dignité des Premières Nations, des Inuits et des Métis.[4]
Bien que ces deux démarches partagent l’objectif de créer des environnements plus justes et inclusifs, elles reposent sur des fondements distincts et nécessitent des approches spécifiques.[5] Cet article explore les nuances entre l’ÉDI et les approches de réconciliation, tout en mettant en lumière leur complémentarité. De plus, il propose des actions concrètes que les CRHA | CRIA pourront déployer au sein de leurs entreprises.
La réconciliation – de quoi parle-t-on?
La réconciliation vise à réparer les torts historiques infligés aux peuples autochtones, dont le génocide culturel et les sévices dans les pensionnats[6]. Les dix principes[7] de la réconciliation appellent à reconnaître les droits autochtones, respecter les traités[8] et réparer les injustices, avec la mise en œuvre des 94 appels à l’action[9] de la CVR. Ce processus exige des changements structurels pour corriger les inégalités et établir une nouvelle relation respectueuse avec les peuples autochtones, nécessitant l'engagement de toutes les Canadiennes et tous les Canadiens, dont les entreprises.
Regards croisés sur l’ÉDI et la réconciliation autochtone
Les démarches en ÉDI et les principes de réconciliation partagent une volonté commune de bâtir des sociétés plus justes, où chaque personne a sa place et où les discriminations systémiques sont combattues.
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Promotion de l’équité
Les deux approches s’efforcent de promouvoir l’équité en remédiant aux inégalités systémiques. Dans le contexte de l’ÉDI, cela inclut un large éventail de groupes en fonction de leur genre, origine ethnique, handicap, etc. pour lesquels nous nous devons de lutter contre les préjugés et les stéréotypes persistants. Ce qui est aussi un objectif commun au processus de la réconciliation.
Cela dit, la réconciliation vise spécifiquement à rectifier les injustices historiques et contemporaines subies par les peuples autochtones. Il s'agit de mettre en exergue les conséquences dévastatrices de la colonisation, de la Loi sur les Indiens ainsi que du génocide culturel subi, et qui continuent de façonner, de contrôler et de restreindre la vie et les possibilités des peuples autochtones, et qui sont à l'origine de nombreux stéréotypes qui persistent.[10]
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Inclusion et respect de la diversité
L’inclusion est un principe central à la fois pour l’ÉDI et pour la réconciliation. Créer des espaces de travail où toutes les voix sont entendues et valorisées est un objectif partagé.
Dans le cadre de la réconciliation, l’inclusion doit aussi se concentrer sur la reconnaissance et le respect des cultures, des langues et des savoirs autochtones, qui ont été historiquement réprimés, notamment par le régime des pensionnats autochtones. Il s’agit de contrer la déculturation, de rendre justice aux survivantes et survivants des pensionnats, de prendre en compte les déterminants sociaux particuliers[11], de valoriser les points de vue des personnes aînées autochtones et des gardiennes et gardiens du savoir traditionnel, ainsi que de considérer les protocoles, les rites et le processus réflexif holistique.[12]
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Dialogue et sensibilisation
Les deux démarches reposent sur la sensibilisation et l’éducation pour changer les mentalités. Le dialogue ouvert et honnête est nécessaire pour déconstruire les préjugés et pour bâtir des ponts entre les différents groupes.
Toutefois, le dialogue en matière de réconciliation doit inclure une reconnaissance des torts historiques et un engagement envers la réparation. Le partage de la vérité, des excuses et une commémoration, qui reconnaissent publiquement et réparent les dommages et les torts du passé, sont essentiels pour engager le dialogue. Puis, il importe de s’ouvrir aux perspectives autochtones, de revoir la façon de présenter les faits et les interprétations pour une sensibilisation juste, portée par le principe de l’approche à double perspective « Two-Eyes Seeing ».[13]
Les réalités propres à la réconciliation
Malgré les similitudes, il est essentiel de distinguer les démarches en ÉDI des approches de réconciliation, car elles répondent à des réalités identitaires, historiques, sociales et juridiques distinctes.
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Caractère distinctif des droits autochtones
Contrairement aux démarches en ÉDI qui s’inscrivent souvent dans une logique de non-discrimination et d’égalité des chances[14], la réconciliation est fondée sur la reconnaissance des droits des peuples autochtones. Ces droits, ancrés dans des traités ou encore dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, confèrent aux Premières Nations, Inuits et Métis un statut qui va au-delà de l’inclusion. Ils sont en droit de demander une relation basée sur la coexistence et non pas sur l’assimilation ou l’inclusion.[15] Ainsi, les peuples autochtones luttent pour maintenir leur identité, leur société et leur dignité sur ce territoire où ils ont droit à l’autodétermination et à l’autogouvernance.
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Relation au territoire et à la géographie
Un aspect fondamental de la réconciliation est la reconnaissance du lien profond entre les peuples autochtones et le territoire. Ce rapport est unique et implique des responsabilités spécifiques pour les organisations, notamment en matière de respect des droits fonciers et de consultation des communautés autochtones dans les projets de développement. Cette dimension géographique et culturelle, souvent négligée dans les approches classiques en ÉDI, est intrinsèquement liée à la transmission des traditions ancestrales et à une relation holistique avec l'environnement.
Les revendications de terres en litige et de l'autonomie gouvernementale soulignent la distinction cruciale entre communautés autochtones et les minorités généralement visées par les programmes d’équité en emploi ou d’accès à l’égalité en emploi. Cette différenciation est essentielle pour la reconnaissance des droits propres aux peuples autochtones, incluant leurs droits territoriaux, leur autodétermination et leur émancipation du statut de minorité imposé historiquement par la colonisation. Méconnaître cette distinction pourrait compromettre les efforts de réconciliation et la pleine reconnaissance de leurs droits particuliers.[16]
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Les effets de la colonisation sur les structures et les relations
Les effets de la colonisation sur les structures et la relation avec les peuples autochtones ont causé des douleurs et des souffrances transgénérationnelles.[17] Que ce soit sur le plan de la santé, l’éducation, la langue, le bien-être de l’enfance, l’administration de la justice, les possibilités économiques, ou les pratiques culturelles et les systèmes de savoir, le colonialisme continue de se manifester dans les organisations fragilisant les rapports entre autochtones et allochtones.[18] Une réalité essentielle à la réconciliation dont les approches en ÉDI ne tiennent pas compte.
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Responsabilités et engagements distinctifs
La réconciliation nécessite un engagement distinct et spécifique envers les peuples autochtones. Elle exige une reconnaissance des torts historiques, un respect des droits et une décolonisation des pratiques organisationnelles. L'intégration des perspectives autochtones et la reconnaissance des terres traditionnelles sont cruciales[19]. Ces actions visent une transformation profonde des relations reposant sur la double responsabilité de reconnaître la vérité historique et la nécessité de justice. Cette approche exige un engagement spécifique et soutenu, distinct des initiatives ÉDI conventionnelles.
Se mettre en action dans les organisations
Comme nous l’avons vu jusqu’à présent, les organisations doivent s’engager de manière différenciée, mais complémentaire, en respectant les spécificités des droits autochtones et en intégrant les appels à l’action[20] de la CVR dans leurs pratiques. En ce sens, les CRHA | CRIA peuvent concrètement participer à titre d’agentes et d’agents de changement, notamment par :
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L’élaboration de politiques spécifiques
En cocréation avec les communautés et les individus autochtones, les CRHA | CRIA peuvent développer des politiques et des stratégies spécifiques pour répondre aux besoins des Premiers Peuples. Cela peut inclure la création de postes dédiés à la réconciliation ou la mise en place de programmes de mentorat et de soutien pour un accès équitable des employées et employés autochtones en fonction de leurs propres réalités et des choix qui sont les leurs.[21]
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L’encouragement à créer des partenariats avec les communautés autochtones
Les CRHA | CRIA peuvent encourager leurs organisations à tisser et à entretenir des relations durables avec les communautés autochtones locales. Ces collaborations doivent être fondées sur le respect mutuel, l’écoute et la reconnaissance des savoirs traditionnels. Par exemple, consulter les personnes aînées autochtones lors de la conception de programmes, de projets de développement ou d’initiatives peut enrichir la démarche de réconciliation et assurer un consentement libre, préalable et éclairé.
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La formation continue et l’éducation
Les professionnelles et professionnels en ressources humaines se doivent d’investir dans la formation continue sur les questions de vérité et réconciliation. Cela devrait inclure une compréhension approfondie de l’histoire coloniale, des droits autochtones et de leurs réalités contemporaines. Ces formations ne doivent pas être ponctuelles, mais intégrées de manière continue dans le développement professionnel des employées et employés ainsi que des gestionnaires. Une collaboration fructueuse avec les Premiers Peuples peut être établie grâce à un processus continu d’apprentissage et de partage basé sur une approche holistique (spirituelle, intellectuelle, physique et émotionnelle).[22]
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La sensibilisation aux pratiques colonialistes
Il est impératif que les CRHA | CRIA participent à sensibiliser les équipes de direction aux conséquences que peuvent avoir les politiques, les pratiques et les relations d’affaires sur les peuples autochtones. Cela permet de lever le voile sur des pratiques toujours empreintes de colonialisme, comme l’application de critères de sélection qui privilégient les normes culturelles et les comportements typiquement occidentaux négligeant les valeurs et les pratiques des profils candidats issus des Premières Nations, Inuits ou Métis. Cette sensibilisation doit permettre d’éviter de reproduire des dynamiques de pouvoir qui évoquent le colonialisme ainsi que de créer un espace de dialogue et de participation des Premiers Peuples.
Conclusion : Un engagement continu pour une société plus juste
Bien que les démarches en ÉDI et les principes de réconciliation autochtone partagent des objectifs communs, il est déterminant de reconnaître leur caractère distinctif. La réconciliation est un processus continu qui nécessite un engagement soutenu de la part de la société québécoise et canadienne visant à regarder le monde d’une manière plus attentive et respectueuse des peuples autochtones, de leurs droits et de leurs intérêts. En agissant ainsi, les entreprises peuvent contribuer à réparer les injustices passées et bâtir un avenir inclusif où les droits de chaque personne sont respectés et valorisés.
Les CRHA | CRIA ont un rôle clé à jouer dans ce processus, en étant des agentes et agents de changement[23] et en s’assurant que les engagements en matière de réconciliation sont honorés dans leurs milieux professionnels. Elles et ils peuvent agir en favorisant une approche distincte et sensibilisée aux réalités propres aux Premiers Peuples. Ce sont toutes nos collectivités qui bénéficieront du courage, du pardon, du leadership et du dévouement.
Note de l’autrice
Cet article a bénéficié de la précieuse contribution de personnes autochtones, dont l'expertise et les perspectives ont enrichi de manière significative notre réflexion menant à la rédaction de celui-ci. Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude pour leur partage. Il est crucial de rappeler que les Premiers Peuples sont les gardiens légitimes et les interprètes de leurs cultures et de leurs systèmes de connaissances, passés, présents et futurs, dont ils détiennent la propriété collective. En donnant la parole aux membres des communautés autochtones, nous reconnaissons et respectons leur rôle essentiel dans la préservation et la transmission de leur sagesse ancestrale, tout en contribuant à une compréhension plus juste et authentique des enjeux.
Enfin, merci à Alana Wahiano :ron Kane, Kanien’kehá:ka pour sa collaboration à la relecture finale.
[1] Lignes directrices encadrant la pratique professionnelle des CRHA | CRIA en matière d’équité, de diversité et d'inclusion : https://carrefourrh.org/outils/lignes-directrices/2024/09/equite-diversite-inclusion
[2] https://www.noslangues-ourlanguages.gc.ca/fr/publications/equite-diversite-inclusion-equity-diversity-inclusion-fra
[3] https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/1450124405592/1529106060525
[4] https://nctr.ca/documents/rapports/?lang=fr#rapports-cvr
[5] https://www.researchgate.net/publication/352832653_Mieux_comprendre_la_distinction_entre_les_principes_d'equite-_diversite-inclusion_et_les_approches_de_decolonisation-_reconciliation-autochtonisation_au_Quebec
[6] https://ehprnh2mwo3.exactdn.com/wp-content/uploads/2021/04/1-Honorer_la_verite_reconcilier_pour_lavenir-Sommaire.pdf
[7] https://data.fcm.ca/documents/tools/BCMC/Pathways_to_reconciliation_FR.pdf
[8] https://www.rcaanc-cirnac.gc.ca/fra/1100100028574/1529354437231
[9] https://publications.gc.ca/collections/collection_2015/trc/IR4-8-2015-fra.pdf
[10] https://www.ictinc.ca/books/21-things-you-may-not-know-about-the-indian-act
[11] https://www.ccnsa.ca/fr/default.aspx
[12] https://www-erudit-org.translate.goog/en/journals/fpcfr/2019-v14-n1-fpcfr05475/1071285ar/?_x_tr_sl=en&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=rq#:~:text=Indigenous%20wholism%20considers%20the%20connections,of%20these%20iPremiernterrelationships%20and%20interconnections.
[13] https://premiers-peuples.fse.ulaval.ca/sites/premiers-peuples/files/2021-11/Reperes%26Pistes2021_1.pdf
[14] https://www.cdpdj.qc.ca/fr/nos-services/activites-et-services/en-savoir-plus-sur-les-programmes-dacces-legalite-en-emploi
[15] https://www.researchgate.net/publication/352832653_Mieux_comprendre_la_distinction_entre_les_principes_d'equite-_diversite-inclusion_et_les_approches_de_decolonisation-_reconciliation-autochtonisation_au_Quebec
[16] https://www.researchgate.net/publication/352832653_Mieux_comprendre_la_distinction_entre_les_principes_d'equite-_diversite-inclusion_et_les_approches_de_decolonisation-_reconciliation-autochtonisation_au_Quebec
[17] https://www.erudit.org/fr/revues/ncs/2017-n18-ncs03193/86372ac.pdf
[18] https://www.ictinc.ca/books/21-things-you-may-not-know-about-the-indian-act
[19] https://native-land.ca/resources/territory-acknowledgement/
[20] https://publications.gc.ca/collections/collection_2015/trc/IR4-8-2015-fra.pdf
[21] https://premiers-peuples.fse.ulaval.ca/sites/premiers-peuples/files/2021-11/Reperes%26Pistes2021_1.pdf
[22] https://premiers-peuples.fse.ulaval.ca/sites/premiers-peuples/files/2021-11/Reperes%26Pistes2021_1.pdf
[23] https://carrefourrh.org/outils/lignes-directrices/2024/09/equite-diversite-inclusion