Valérie est gestionnaire d’équipe.
Il y a quelque temps, deux membres de son équipe étaient en conflit et sont venus la voir individuellement. Puisque Valérie était débordée et considérait cela comme des enfantillages, elle les a sommés de régler eux-mêmes leurs difficultés sans plus d’assistance.
Résultat? Les deux protagonistes se sont trouvé des alliés. Valérie aperçoit maintenant des commérages, remarque une collaboration sélective des membres de l’équipe envers d’autres, reçoit des plaintes collectives, se fait parler d’injustice et d’incivilité. Le climat de travail est négatif, et les projets ralentissent. Valérie fait face à un conflit de clans.
Comment dissoudre les tensions, réconcilier les individus, et ce, sans faire de faux pas qui envenimeraient la situation? Le saut est périlleux, et les réponses sont habituellement nébuleuses.
Voici des éléments à considérer et quelques pistes à explorer :
Obligations légales
Légalement, Valérie doit intervenir. Elle doit se référer à la Loi sur les normes du travail qui prescrit le droit des employés à un milieu de travail sain ainsi que l’obligation légale de l’employeur qui s’y rattache de prévenir le harcèlement[i]. Elle doit aussi considérer les récentes modifications à la Loi sur la santé et sécurité du travail qui dictent l’obligation de l’employeur de gérer les risques psychosociaux (y compris le soutien social des collègues qui fait référence à l’esprit d’équipe et la cohésion du groupe)[ii]. Elle pourrait aussi devoir se référer aux politiques en place et aux mécanismes de la convention collective le cas échéant.
Choix de l’intervenant
Choisir le bon intervenant est essentiel. Dans le cas de Valérie, elle devra déterminer si elle peut elle-même intervenir ou si elle risque d’être en conflit d’intérêts[iii]. Le cas échéant, d’autres personnes à l’interne pourraient l’aider, soit un professionnel CRHA, un gestionnaire d’un autre département, la direction, un collègue spécialisé, etc. La personne ou les personnes choisies, si elles le font en équipe, devront également s’assurer de ne pas être en conflit d’intérêts, de posséder les compétences pour intervenir et se montrer disponibles. Si personne ne répond aux critères, Valérie devra se tourner vers de l’aide externe.
Préparation
Que ce soit sous la forme d’un diagnostic de climat de travail, d’entrevues individuelles, d’analyse de plaintes ou de constats faits, une phase « analyse » doit avoir lieu afin de permettre à l’intervenant de choisir les bonnes interventions pour la suite. Prendre le pouls, observer, questionner, remplir une analyse de résistance et valider ses observations avec une personne neutre. Cette analyse permettra d’émettre des hypothèses et de choisir les interventions.
De plus, en prenant un pas de recul et en évitant d’agir sous le coup de l’émotion, l’intervenant se comporte avec professionnalisme et protège les intérêts des individus, du groupe et de l’organisation.
Pistes de solutions
Bien que chaque situation nécessite une attention et une intervention adaptée, certaines pistes peuvent être envisagées. À la suite de la collecte d’information et avec une préparation adéquate, des interventions individuelles et des interventions de groupes sont possibles. Voici quelques suggestions à envisager.
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Les interventions individuelles
Dans certains cas, il peut être opportun de faire des rencontres individuelles avant de faire une intervention de groupe. La médiation, le dialogue assisté et d’autres méthodes peuvent être utilisés. Dans les situations plus graves, la gestion disciplinaire peut aussi être envisagée.
Dans le cas de l’équipe de Valérie, il a été déterminé que les deux protagonistes d’origine et « chefs de clan » participeraient à un dialogue assisté pour désamorcer la tension entre eux. Comme ils étaient les « leaders » des positions opposées, cette rencontre a permis de créer de l’ouverture, de leur faire prendre conscience de leur impact sur l’équipe, de les responsabiliser et de les prédisposer (eux et par ricochet leurs clans) à l’intervention de groupe.
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Les processus de groupe
Afin de permettre à un groupe vivant des conflits de pouvoir échanger ouvertement sur les difficultés vécues et de mieux se comprendre, il est possible de faire une intervention de groupe. Voici quelques éléments à garder en tête si vous allez dans cette direction.
Ouverture de l’atelier
La théorie de la première impression s’applique. Les premières minutes et la façon dont la rencontre sera présentée auront un fort impact sur le reste du processus. Une bonne préparation s’impose, et le choix des mots pour nommer le conflit sera important. D’entrée de jeu, il est capital que le groupe instaure des normes de fonctionnement pour favoriser le succès des discussions. Par exemple, le facilitateur devrait encourager les participants à accepter leur part de responsabilité face au problème plutôt que de jeter le blâme sur les collègues.[iv] Ces normes devraient venir des participants pour assurer une meilleure adhésion.
Phase de discussion
C’est ici qu’on crève l’abcès. L’intervenant amène les participants à échanger sur la nature du conflit et les impacts créés en tenant des discussions de fond sur les enjeux et en permettant aux individus de comprendre les besoins du groupe. Pendant les échanges, l’intervenant utilisera les normes de groupe préétablies afin d’éviter les débordements. Il ne faut toutefois pas confondre « émotions » avec « débordement ». Il est voulu et important que les émotions puissent être exprimées. Les recherches ont d’ailleurs démontré que le fait de « ravaler » ses émotions ne les élimine pas[v]; elles resteront présentes tant qu’elles ne seront pas canalisées. De la sorte, et en prenant conscience des points de vue et des émotions vécues par les autres et avec des échanges structurés, un recadrage collectif se fait, et le facilitateur amène les participants à voir les choses autrement. Cette phase peut être facilitée par des ateliers tels que le cercle de dialogue, la méthode de questionnement « ORID »[vi], le café du monde ou tout autre exercice de facilitation axé sur le partage de perceptions et d’opinions.
Phase de solution
Lorsque le facilitateur juge que le groupe est prêt, une phase « solutions » peut être entreprise. À ce moment, il est important de mettre en place les conditions pour créer un climat de sécurité psychologique qui favorise la participation et la créativité. Celle-ci peut être stimulée avec des exercices de visualisation, de remue-méninges, de Marketplace, de Café du monde, du storytelling ou tout autre exercice de résolution de problème. Ces exercices sont reconnus pour inclusifs, tout en permettant de catégoriser les idées et de susciter l’engagement.
Phase d’engagement
Lorsque les solutions ont été établies, il importe de mettre en place un plan d’action, d’identifier des responsables et des échéanciers. Ces engagements doivent être pensés et tenus par le groupe qui en assurera également le suivi. L’implication des employés augmentera la responsabilisation du groupe face aux changements à faire.
Maintenant que l’équipe de Valérie a fait un processus de groupe, l’équipe fait régulièrement des ateliers de résolution de problème pour régler les enjeux le plus tôt possible. La communication s’est nettement améliorée, le climat est plus positif et l’équipe semble développer davantage sa créativité.
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Aide externe
Parfois, l’aide externe est inévitable. Que ce soit pour une situation de conflit d’intérêts, par manque de capacité ou par manque d’expertise, les organisations optent souvent pour obtenir de l’aide externe en coaching, en accompagnement ou en intervention directe. Un professionnel CRHA, un psychologue organisationnel, une tierce partie neutre ou un médiateur pourraient être consultés. Dans ce cas, il importe de valider que l’approche du consultant est compatible avec l’organisation, qu’il est impartial, compétent, professionnel, disponible et qu’il possède les compétences pour effectuer l’intervention.
Conclusion
En matière de conflits de clans, il n’y a pas de recette unique ni d’approche magique. Chaque situation doit être analysée de façon impartiale et neutre pour déterminer l’approche qui sera la mieux adaptée.
Puisque le conflit naît la plupart du temps entre deux personnes, il importe de gérer les problématiques à bas niveau pour éviter l’escalade. Plus souvent qu’autrement, les gestionnaires et les organisations font comme Valérie, pensent que la situation s’arrangera d’elle-même et attendent trop avant d’intervenir. Le temps étant le facteur no 1 de l’escalade des conflits, on peut ainsi engendrer des conséquences d’escalade, de détresse, de harcèlement et de rupture d’emploi, ainsi que des impacts négatifs sur l’organisation et la marque « employeur ».
Pour la résolution des conflits de clans, gardons en tête que la stratégie « des petits pas » s’applique. On ne peut pas réparer en une journée ni en quelques semaines ce qui a souvent été laissé aller pendant plusieurs mois. En intervenant de la bonne façon, vous démontrez votre volonté de créer un milieu de travail sain et vous commencez tranquillement à rebâtir la confiance dans l’équipe.
Ressources
Tension dans les équipes : comment intervenir?
Éviter la guerre de clans au sein des équipes de travail
Cormier, S. (2004). Dénouer les conflits relationnels en milieu de travail, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université du Québec, 210 p.
Edmundston, Amy. 2019. The Fearless Organization: Creating Psychological Safety in the Workplace for Learning, Innovation, and Growth. John Wiley & Sons Inc. p.159
Furlong, G. (2020). The Conflict Resolution Toolbox; Models and Maps for Analyzing, Diagnosing, and Resolving Conflict, New Jersey, John Wiley & Sons, 2nd edition. 238 p.
Labelle, G. (2005). Comment désamorcer les conflits au travail, Montréal, Les Éditions Transcontinental inc., 176 p.