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Un droit à la déconnexion pour l’ensemble de la société

Les technologies de l’information et de la communication permettent d’être joignables tout le temps et partout, ou presque. Le droit du travail québécois permet-il toujours de protéger les personnes salariées en matière d’encadrement du temps de travail?
6 mai 2025
Fanny Rohrbacher

« La déconnexion, c’est le fait de ne pas être disponible pour répondre à des messages, donc de ne pas répondre à des messages et de ne pas travailler hors des heures de travail, quelle que soit la façon dont le message est envoyé », précise d’emblée Geneviève Richard.

Avocate et candidate au doctorat en droit du travail à l’Université du Québec à Montréal, elle s’intéresse de près au droit à la déconnexion. Elle a offert une conférence sur le sujet lors du colloque du Centre de recherche interuniversitaire sur la mondialisation et le travail (CRIMT), à Montréal en octobre 2024. Au Québec, contrairement à l’Ontario[1], le droit à la déconnexion n’existe pas expressément dans la loi.

Pourquoi se déconnecter?

« Ne pas se déconnecter, ou rester connecté au cas où l’on recevrait un message est associé à plusieurs effets néfastes », souligne la chercheuse. Elle cite des méta-analyses démontrant des conséquences sur la santé physique et mentale, le bien-être, le sommeil et la récupération.

Les avantages de la déconnexion sont bien connus. Décrocher permet de bien récupérer des effets stressants de son travail, et ainsi de gagner en efficacité. « Même quand on aime notre travail, le stress est présent », note Mme Richard. Se déconnecter favorise aussi un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle.

En revanche, la carrière professionnelle peut parfois être affectée par la déconnexion : « Certains emplois exigent une disponibilité très forte hors des heures de travail. Les gens qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas rester disponibles vont être limités dans leur trajectoire professionnelle. » Difficile donc de poser ses limites et de trouver un juste milieu.

Un éventail de bonnes pratiques

En 2022-2023, Geneviève Richard a mené des entretiens avec des travailleuses et travailleurs de secteurs syndiqués au Québec, notamment dans l’éducation, la recherche et le milieu universitaire. Pour comprendre la gestion de la déconnexion au sein de leur environnement de travail, elle a échangé avec des représentantes et représentants des ressources humaines et des syndicats, ainsi qu’avec des personnes en emploi. Aucune politique de déconnexion n’était intégrée aux conventions collectives dans les organisations étudiées.

La chercheuse a retenu cinq pratiques organisationnelles en matière de déconnexion :

  1. Rappeler explicitement au personnel qu’il a le droit de se déconnecter en dehors des heures de travail, et le répéter régulièrement. Il ne suffit pas de rester silencieux selon la chercheuse. « S’il y a un flou, beaucoup vont se dire : je ne prendrai pas de chance, je vais rester disponible, je vais répondre parce que je vois les supérieurs et tout le monde le faire. »
  2. Intervenir auprès des gestionnaires qui exigent une disponibilité excessive.
  3. Proposer des formations sur des sujets qui touchent de près ou de loin la déconnexion (comme la santé mentale et la gestion de la charge de travail), au personnel et aux cadres. « C’est bien beau de dire aux gens qu’ils ont le droit de se déconnecter. Mais il faut aussi le rappeler aux gestionnaires pour que leurs attentes soient alignées avec celles de l’employeur. »
  4. Diffuser des capsules d’information et des guides de bonnes pratiques sur la déconnexion, comme l’envoi de courriels en différé.
  5. Orienter vers des spécialistes les personnes qui ont des difficultés à gérer leur hyperconnectivité, leur charge de travail, leur anxiété ou leur stress.

Pratiques individuelles

La chercheuse encourage tout un chacun à mettre en place ces pratiques individuelles, en complément de celles proposées par les organisations : verbaliser ses limites, encourager ses collègues à poser les leurs et à se déconnecter, penser à la déconnexion des autres en utilisation l’envoi différé de courriels, ou encore, limiter sa connectivité à des périodes déterminées en vacances lorsqu’il n’est pas possible de se déconnecter complètement.

Des limites aux pratiques

La chercheuse admet qu’aucune de ces pratiques n’est mauvaise, mais qu’elles ont chacune leurs limites en fonction des ressources que l’employeur veut bien y accorder.

Par exemple, les formations proposées ne répondent pas toujours aux besoins du personnel, qui ne se sent pas toujours interpellé. « C’est bien beau d’avoir quelqu’un qui nous dit qu’il est important de se déconnecter. Mais parfois, on ne peut pas le faire en raison des contraintes de la clientèle, de l’entreprise ou de l’employeur », admet Geneviève Richard.

Bien que le personnel des ressources humaines prenne à cœur la déconnexion et en comprenne les défis, la chercheuse remarque que les mesures visent principalement la gestion des enjeux par les employées et employés. Elle explique : « La responsabilité de l’employeur s’arrête, en quelque sorte, au moment où il donne les outils. Ensuite, c’est aux personnes salariées de gérer leur déconnexion. »

Dans les organisations qu’elle a étudiées, la chercheuse estime que les initiatives en matière de prévention sont encore insuffisantes. « On n’essaie pas de se demander pourquoi il y a autant de personnes, par exemple, qui ont recours au programme d’aide aux employés. Pourquoi est-ce qu’il y en a autant qui sont en épuisement professionnel? » Elle croit que les défis sont souvent perçus comme étant individuels : lorsqu’une personne peine à gérer sa charge de travail, par exemple, on lui fournit un soutien sans forcément remettre en question les méthodes de l’organisation.

Cependant, depuis l’étude de Geneviève Richard, il est possible que la situation ait évolué, notamment avec l’obligation pour les employeurs de prendre en charge les risques psychosociaux en santé et sécurité au travail[2], une exigence qui n’était pas encore clairement établie lors des entretiens.

Pour la chercheuse, il importe d’intensifier la sensibilisation sur les enjeux de la déconnexion. Il faut tout autant encourager les organisations à négocier et à adopter des politiques de déconnexion adaptées à leur environnement et aux besoins du personnel. Geneviève Richard croit que le législateur devrait aussi intervenir pour établir des politiques claires entourant le droit à la déconnexion. Pour plus de détails, il faudra attendre la soutenance de thèse de la jeune chercheuse, dans quelques mois.

  • Fanny Rohrbacher

Bibliographie :


Author
Fanny Rohrbacher Journaliste scientifique