Beaucoup de gens associent à tort « santé mentale » et « maladie mentale », cette dernière englobant des pathologies comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires. La santé mentale est plutôt « un état de bien-être mental qui nous permet d’affronter les sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté », cite le Dr Michel Vézina, médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive et spécialiste de la santé psychologique au travail à l’Institut national de santé publique (INSPQ), qui cite la définition qu’en donne l’Organisation mondiale de la Santé.
La santé mentale est non seulement multifactorielle, mais ce n’est pas un état statique, indique-t-il. « Cela varie du bien-être relatif, c’est-à-dire quand les personnes se sentent bien dans leur peau, jusqu’à l’autre extrême, où vous avez un trouble mental. Entre les deux, il y a un état qu’on appelle la détresse psychologique. » C’est sur cet entre-deux qu’il est possible d’agir de façon préventive, pour éviter de basculer dans des problèmes plus graves.
Une recherche de l’INSPQ, cosignée par le Dr Vézina, révèle que plus du quart des personnes en emploi (28 %) présentent un degré élevé de détresse psychologique. « Et dans 60 % des cas, c’est relié, en tout ou en partie, à leur travail », précise-t-il. Une proportion qui pourrait avoir augmenté depuis, puisque ces chiffres ont été compilés avant la pandémie, note-t-il.
On estime que 55 % des gens qui travaillent pour une PME au Canada vivent avec un problème de santé mentale, selon une étude de l’Université Laval publiée en 2022. Près du tiers des gens qui y ont participé disent souffrir d’anxiété et de dépression. « Avec l’épuisement professionnel, ce sont les principales causes d’invalidité à l’échelle mondiale », souligne Chantal Dufort, formatrice, consultante et conférencière spécialisée en santé mentale en entreprise. Au Canada, un demi-million de personnes s’absenteraient chaque semaine du travail pour des raisons en lien avec leur santé psychologique, selon la Commission de la santé mentale du Canada.
Détecter les signaux
La détresse psychologique, qui est un indicateur précoce, peut conduire vers un trouble mental si rien n’est fait, explique le Dr Vézina, qui prône la prévention. Il faut porter attention aux différentes manifestations de cette détresse « comme le fait d’être irritable, soupe au lait ou de réagir fortement aux contrariétés. On peut aussi se sentir anxieux, triste ou ne plus avoir envie de faire quoi que ce soit », détaille-t-il.
Les problèmes de santé mentale peuvent également occasionner des trous de mémoire, des erreurs et des difficultés à prendre des décisions. Cela se traduit par une baisse de rendement au travail. Les personnes affectées peuvent aussi s’absenter plus souvent, s’isoler ou entrer en conflit avec leur gestionnaire ou leurs collègues. « En fait, dès que le comportement d’une personne change, cela devrait nous mettre la puce à l’oreille », dit Camille Lin, CRHA, consultante spécialisée en santé mentale au travail au Groupe-conseil Perrier.
Il n’est pas question ici de remplacer une ou un psychologue, mais plutôt d’adopter une approche bienveillante, précise-t-elle. « Le rôle du gestionnaire, c’est de détecter quand les choses ne vont pas, de créer un climat de confiance et d’orienter la personne vers les ressources appropriées. » Elle conseille d’avoir sous la main une fiche à transmettre présentant les ressources d’urgence, les lignes d’écoute ou les organismes de soutien. Il existe aussi de l’accompagnement et des formations pour mieux outiller les organisations devant ces enjeux.
Responsabilité organisationnelle
Deuil, séparation, maladie : les organisations n’ont pas de prise sur ces événements qui perturbent la santé psychologique des gens. « L’employeur ne peut rien faire pour ramener un être cher à la vie, illustre le Dr Vézina, mais il doit s’assurer que le travail ne génère pas à lui seul des risques portant atteinte à la santé mentale des travailleuses et travailleurs. »
Autrement dit, l’environnement de travail a un effet direct, positif ou négatif, sur le bien-être des employées et employés. « Si une personne est aux prises avec un problème de santé mentale, de l’anxiété par exemple, et que le cadre de travail est médiocre, cela risque d’exacerber la situation. À l’inverse, le travail peut être propice au bien-être », explique Camille Lin.
Les gestionnaires, poursuit-elle, n’ont pas toujours conscience des risques pour la santé mentale qui découlent de l’organisation du travail ou du style de gestion, comme imposer des horaires rigides ou incompatibles avec la vie sociale ou familiale, et une charge de travail excessive. Les employées et employés peuvent ressentir de la discrimination, de l’exclusion, du harcèlement ou de la précarité, connaître des conditions de travail dangereuses ou manquer de reconnaissance. C’est sur ces facteurs, appelés risques psychosociaux, que les entreprises peuvent agir en prévention.
Le personnel qui y est exposé court deux fois plus de risques de souffrir de détresse psychologique, selon les données de l’INSPQ. Quand trois risques ou plus s’accumulent, la probabilité de subir un degré élevé de détresse psychologique est multipliée par sept, ce qui engendre une recrudescence des accidents de travail, de l’absentéisme, du présentéisme et des démissions.
Comprendre pour mieux agir
Comme pour la santé physique, les organisations ont donc une responsabilité de limiter les risques psychosociaux, selon la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail. Pour agir, elles doivent d’abord brosser un portrait juste de la situation. Camille Lin suggère de poser un diagnostic. « Ça deviendra obligatoire de le faire sous peu, avec la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail. »
Il est important ensuite de former les gestionnaires aux risques liés à la santé mentale en entreprise, ajoute-t-elle. De la même manière, elle suggère de prendre le pouls de ses équipes, d’ouvrir le dialogue et de les faire participer à la mise en place de solutions adaptées. « Je suggère aussi de prévoir des rencontres individuelles avec les employées et employés, simplement pour prendre de leurs nouvelles, conseille Camille Lin. C’est ce que j’appelle le petit café du vendredi. »
Un climat d’ouverture
Ces rencontres permettent de créer un climat essentiel de sécurité psychologique pour favoriser la santé mentale, note Chantal Dufort. « Les gens doivent sentir qu’il n’y aura pas de risques pour leur carrière s’ils s’ouvrent », explique-t-elle. Les gestionnaires doivent poser les bonnes questions, s’intéresser réellement au bien-être des membres de leurs équipes et vérifier comment elles et ils se sentent. C’est d’autant plus important que plus de 40 % des travailleuses et travailleurs au Canada ont l’impression que leur progression serait limitée s’ils éprouvaient un problème de santé mentale et le révélait au travail, selon l’Indice de santé mentale LifeWorks 2021.
De la même manière, le message doit provenir de la haute direction et s’incarner à tous les paliers de gestion, selon la formatrice. « Si je prône la déconnexion, mais que j’envoie des courriels à minuit, ça laisse entendre qu’il est encouragé de cumuler les longues heures de travail. » De plus, ce climat se construit au fil du temps et des expériences positives. Ainsi, quand une ou un gestionnaire prend soin d’une personne traversant une période difficile, cela montre l’ouverture de l’organisation. Et si la ou le gestionnaire parle ouvertement de sa santé mentale, c’est encore mieux, assure-t-elle.
Bref, pas besoin de déployer des programmes coûteux pour favoriser la santé psychologique au sein de ses équipes. « Plusieurs entreprises mettront en place des cours de yoga ou de méditation pour améliorer le bien-être de leurs employées et employés, explique Camille Lin. Mais si la charge de travail est énorme et qu’un stress constant est imposé, cela ne réglera rien. » Pour la spécialiste, le bien-être se construit au quotidien, en posant des gestes pour améliorer les conditions d’emploi, les relations et l’environnement de travail.
Liens de référence
-
Trousse - Gestionnaire face aux enjeux de santé mentale
Les outils conçus par l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés, et grâce à la contribution de spécialistes, permettent aux gestionnaires d’acquérir des connaissances et des compétences pour aborder les enjeux quotidiens liés à la gestion du personnel ayant des comportements attribuables à des problèmes de santé mentale.
-
Article - Santé mentale : des ressources pour les entreprises
En entreprise, comment doivent réagir les gestionnaires face aux problèmes de santé mentale? Et quelles sont les ressources qui leur sont offertes?
https://carrefourrh.org/ressources/sante-securite/2024/10/sante-mentale-ressources-pour-entreprises