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Sécurité d'emploi et force majeure en situation de pandémie

Les mesures prises par le gouvernement depuis mars dernier ont contraint les employeurs à apporter des changements importants dans la gestion de leurs organisations. De nombreux employés ont ainsi été mis à pied. Voici un résumé de l'affaire qui implique la ville de Blainville à ce sujet.

3 février 2021
Me Paul Côté Lépine, CRIA

Depuis le début de la pandémie de la COVID-19, plusieurs employeurs se sont vus dans l’obligation d’apporter des changements significatifs à leurs façons d’opérer leurs activités afin de devoir respecter les différentes mesures sanitaires fluctuant au gré de la propagation du virus. Malheureusement, pour plusieurs employeurs, les différentes directives émises par les autorités gouvernementales ont forcé la mise à pied de nombreux de leurs employés.

Aucun employeur n’est à l’abri d’être contraint de revoir certaines de ses stratégies de gestion des ressources humaines dans le but de respecter de nouvelles mesures sanitaires, le cas échéant. Il s’avère donc opportun de notamment rester à l’affût des différentes décisions rendues par les tribunaux à ce sujet.

À cet égard, il convient d’accorder une attention particulière à la décision récente rendue par l’arbitre Pierre Laplante dans l’affaire Ville de Blainville[1], puisqu’elle apporte plusieurs précisions importantes concernant les sujets susmentionnés. En effet, en plus de se positionner efficacement par rapport à l’applicabilité des clauses de sécurité d’emploi en situation de pandémie, cette affaire répond à la question étant sur toutes les lèvres depuis le début de la crise sanitaire actuelle : la pandémie de la COVID-19 constitue-t-elle, en relations de travail, un cas de force majeure?

Les faits

En mars 2020, la pandémie de la COVID-19 s’est abattue sur l’ensemble du territoire québécois et a ainsi forcé le gouvernement provincial à adopter certaines mesures draconiennes dans le but de préserver la santé et la sécurité de l’ensemble de la population québécoise.

En effet, de nombreux décrets et arrêtés ministériels ont été émis afin notamment de prévoir la fermeture de certains secteurs et activités jugés « non essentiels ». À l’échelle municipale, le gouvernement du Québec a enjoint aux villes de se limiter aux activités essentielles au sein de leur municipalité. Elles avaient toutefois le loisir de déterminer quels étaient les services réellement essentiels au bon fonctionnement des opérations municipales.

Devant ce constat, la Ville de Blainville, désireuse de se conformer aux directives des autorités et de préserver la santé de ses employés, s’est assurée de retenir uniquement les services des salariés s’affairant à des tâches jugées essentielles. Par conséquent, les employés dont les tâches n’ont pas été évaluées ainsi, tant les cols blancs que les cols bleus, ont dû être mis à pied pour une période de quelques mois. Ils n’ont pas été rémunérés en raison du fait qu’ils ne fournissaient évidemment pas la prestation de travail afférente à leur emploi.

Les syndicats impliqués, représentant les cols blancs et les cols bleus, se sont empressés de déposer des griefs, contestant vigoureusement les mises à pied survenues. Leur prétention était que les salariés mis à pied étaient protégés par les clauses de sécurité d’emploi des conventions collectives en vigueur. Ce faisant, à leur avis, ces mises à pied constituaient une violation des conventions collectives.

De son côté, la Ville de Blainville a contesté cette prétention. En effet, elle a estimé que la pandémie de la COVID-19 n’entrait pas sous l’égide de la sécurité d’emploi prévue aux conventions collectives. De surcroît, elle a subsidiairement plaidé que, même si la clause de sécurité d’emploi devait s’appliquer, cette dernière ne pourrait trouver application en raison du fait que la pandémie de la COVID-19 représentait un cas de force majeure. Ce faisant, la sécurité d’emploi n’étant pas une obligation de garantie, la Ville de Blainville devrait être libérée de ses obligations en raison de cette force majeure.

Décision

L’arbitre saisi du dossier a tranché en faveur de la Ville de Blainville et a, par conséquent, rejeté les griefs.

D’emblée, l’arbitre a confirmé la thèse de la Ville de Blainville et a indiqué que le libellé de la clause de sécurité d’emploi ne pouvait laisser place à ce que la pandémie de la COVID-19 entre sous son égide. En effet, la clause limitait la sécurité d’emploi à certains cas précis, soit les améliorations techniques ou technologiques, les transformations ou modifications dans la structure ou le système administratif de la Ville, les procédures de travail, l’attribution d’ouvrage à contrat et les raisons de surplus de personnel. Malgré les représentations des syndicats, l’arbitre a estimé que la pandémie de la COVID-19 ne pouvait être assimilée à aucun de ces scénarios protégés par la sécurité d’emploi. Ce faisant, la clause a été jugée inapplicable en l’espèce.

Par ailleurs, il convient de souligner que l’arbitre a profité de l’occasion pour confirmer le principe voulant que les clauses de sécurité d’emploi doivent être interprétées restrictivement, considérant l’encoche qu’elles représentent à l’endroit du droit de gérance de l’employeur.

De surcroît, en plus d’adhérer à la thèse principale de l’employeur, l’arbitre a également entériné l’argument subsidiaire de la Ville de Blainville jugeant que la pandémie de la COVID-19 représentait indéniablement un cas de force majeure. En effet, aux yeux de l’arbitre, la situation prévalant en mars 2020 répondait aisément aux critères de force majeure, à savoir « un évènement imprévisible et irrésistible »[2]. Estimant que les clauses de sécurité d’emploi étudiées ne prévoyaient pas d’obligation de garantie, faisant échec à la possibilité d’invoquer la défense de force majeure, l’arbitre a jugé qu’un argument de force majeure aurait pu permettre à la Ville de Blainville de faire fi des clauses de sécurité d’emploi.

Considérant ce qui précède, l’arbitre a jugé que la Ville de Blainville était en droit de procéder aux mises à pied des employés ayant été jugés comme ne prodiguant pas des services essentiels au maintien des activités de la municipalité.

À retenir pour les employeurs

Cette décision a donc apporté des clarifications importantes, voire même essentielles, à différents éléments en matière de sécurité d’emploi et de force majeure, tant concernant la pandémie actuelle de la COVID-19 que de manière générale.

En effet, ce jugement indique clairement qu’une clause de sécurité d’emploi rédigée comme celles négociées par la Ville de Blainville avec les syndicats n’inclut pas de sécurité d’emploi aux salariés mis à pied en raison de la pandémie de la COVID-19.

Il convient évidemment de rappeler qu’une approche individualisée demeure d’une importance capitale, puisqu’une clause semblable, mais comportant certaines différences, ne se verrait pas forcément apposer le même traitement.

Par ailleurs, ce jugement indique également qu’une clause de sécurité d’emploi doit être interprétée restrictivement en raison de la limitation au droit de gérance de l’employeur résultant de son application. En effet, le principe général demeure que l’employeur peut valablement procéder à des mises à pied à son gré. Les situations visant à limiter ce principe doivent conséquemment être interprétées de manière restrictive.

Également, ce jugement confirme que la situation de la pandémie de la COVID-19 représente indéniablement un cas de force majeure, puisqu’elle comporte les caractéristiques essentielles à ce principe. Ce faisant, il est possible pour les employeurs ayant des obligations de moyens ou de résultats envers leurs salariés d’échapper à celles-ci en présentant une défense de cas de force majeure.

À la lumière de ce qui précède, cette affaire devrait réellement être connue de l’ensemble des employeurs en raison de ses enseignements constituant une première au Québec. En effet, elle met enfin un terme à la situation d’incertitude qui prévalait précédemment au Québec par rapport aux différents enjeux en matière de relations de travail soulevés par la situation pandémique actuelle.

Il convient de noter que cette décision fait actuellement l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire. L’issue de ce dossier reste donc à suivre.


Author
Me Paul Côté Lépine, CRIA Associé Fasken
Paul Côté-Lépine s’est joint à l’équipe Droit du travail, de l’emploi et des droits de la personne de Fasken après avoir complété son stage à l’hiver 2015 au sein du cabinet. Paul traite toutes les facettes de la relation d’emploi, il donne des conseils sur l’interprétation des conventions collectives, les dossiers d’arbitrage de griefs, les relations de travail, les normes du travail ainsi que les litiges relatifs à l’emploi.

Source :

Source : VigieRT, février 2021.

1 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2229 et Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2301 c. Ville de Blainville, rendue le 27 novembre 2020 (Me Pierre Laplante).
2 Code civil du Québec, article 1470.