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L'ergonomie au service de la prévention, une intervention rentable!

La prévention au travail, réalisée de concert avec l'ergonomie, a de nombreux effets positifs sur différents aspects de l'organisation. Puisque l'ergonomie se résume en l'adaptation de l'environnement de travail au travailleur, la prévention orientée en ce sens doit être considérée comme un investissement. Et les répercussions en sont variées, principalement en ce qui concerne les coûts de cotisation de l'employeur à la CSST.

10 octobre 2002
Joël Ross, CRIA et Brigitte Thériault, CRIA

En premier lieu, sur le plan humain, la prévention par l'ergonomie permet d'atteindre l'un des objectifs majeurs de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. En effet, éliminer à la source les dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs constitue la base de la prévention ergonomique. De plus, puisque le travailleur est mis à contribution dans la recherche de solutions, il se sentira valorisé et apprécié. Ce qui en découlera, c'est une satisfaction accrue face à son travail.

Deuxièmement, sur le plan organisationnel, la prévention par l'ergonomie assure un milieu de travail sain et sécuritaire au travailleur. La satisfaction au travail engendre une rentabilité accrue pour l'organisation. Les individus qui travaillent dans l'organisation ont une bonne image de leur employeur et cela se répercute à l'extérieur, ce qui assure une image d'entreprise positive. Ce faisant, l'embauche s'en trouve également facilitée.

À cet égard, puisqu'il y a moins d'absentéisme, on observe aussi une rentabilité accrue des équipements utilisés par les travailleurs.

Ce qui nous amène à aborder les répercussions de l'ergonomie sur le plan des coûts de cotisation de l'employeur à la CSST.

La CSST : un point tournant

À cet égard, l'année 1998 représente un point tournant pour les entreprises. En effet, à partir de 1998, la CSST a effectué un changement dans la tarification des entreprises, à la demande des employeurs et des syndicats. Par cette modification, la CSST voulait atteindre deux objectifs principaux.

Le premier était de réduire les coûts et d'améliorer l'environnement de travail des travailleurs. Quant au second, il était de récompenser les employeurs proactifs en prévention en leur fournissant la possibilité de rentabiliser la démarche préventive grâce à une baisse appréciable de leur taux de cotisation, ce qui n'était pas le cas avant 1998.

Pour les travailleurs, cette méthode de tarification semble répondre tout à fait à leurs demandes. Ainsi donc, ils bénéficient alors de milieux de travail plus sécuritaires et, dans la majorité des cas, ils participent par l'entremise du comité de santé et sécurité (CSS) de l'entreprise à l'intégration de l'ergonomie dans une démarche nouvelle de prévention.

Pour les employeurs, ce système de tarification est plus actif et le calcul de leur taux de cotisation s'échelonne sur une période de quatre ans.

De son côté, la CSST en tire également profit par l'abaissement du nombre annuel de lésions professionnelles et elle peut ainsi diminuer les coûts qui s'y rattachent, ce qui lui permet d'ajuster la cotisation des employeurs les plus performants.

Influence de la prévention par l'ergonomie

Le taux de cotisation des employeurs dont la cotisation annuelle à la CSST est de 2 500 $ est celui de leur unité de classification, sans possibilité d'influencer ce taux par une bonne ou une mauvaise performance (par exemple : un dépanneur). Donc, la prévention par l'ergonomie ne peut influencer la cotisation à la CSST des employeurs de cette catégorie.

Taux de l'unité Taux personnalisé Régime rétrospectif
2 500 $ 2 500 $ à 260 000 $ 260 000 $ et plus

Par contre, ce type de prévention a une influence directe sur le taux de cotisation de tous les autres employeurs, c'est-à-dire ceux dont la cotisation annuelle dépasse les 2 500 $ jusqu'à concurrence de 260 000 $. Ces entreprises ont un taux appelé « taux personnalisé », c'est-à-dire variant en fonction de leur performance en matière de lésions professionnelles. Nous nous attarderons plus spécifiquement à ce taux personnalisé, car ce type de tarification touche le plus grand nombre d'entreprises au Québec

Le taux personnalisé : un calcul complexe…

Afin d'établir le taux personnalisé des entreprises, la CSST utilise un système de calcul complexe où même les actuaires ont de la difficulté à se retrouver. Dans ce système, la CSST considère le taux de l'unité et, entre autres, deux variables principales. Il s'agit de la fréquence et de la gravité des lésions professionnelles. Il faut dire que c'est un calcul exhaustif et difficilement déchiffrable et que le pourcentage de personnalisation du taux par rapport à l'unité diffère d'une entreprise à l'autre en fonction de sa cotisation annuelle à la CSST.

Quoi qu'il en soit, puisque l'entreprise ne peut pas changer le taux de l'unité à laquelle elle appartient, il ne lui reste qu'à agir sur la fréquence et la gravité des lésions professionnelles. Pour agir sur la première variable, soit la fréquence, elle devra emprunter un cheminement qui met l'ergonomie à contribution. Les principales étapes à suivre sont les suivantes :

  • faire une analyse du fait accidentel;
  • trouver des solutions afin que pareille situation ne se reproduise pas;
  • faire les correctifs appropriés (ergonomie et prévention);
  • tester les solutions et consulter au besoin les travailleurs concernés;
  • modifier la procédure de travail si celle-ci est en cause.

Afin d'établir la fréquence d'une lésion professionnelle, la CSST considère les lésions pour lesquelles elle a dû verser moins de 2 500 $. Il s'agit généralement de lésions de courte durée qui sont principalement associées à un manque d'équipement de protection individuelle, à la négligence humaine ou au stress de production. À cet égard, l'ergonomie préventive est très efficace.

Fréquence des lésions professionnelles Moins de 2 500 $ déboursés par la CSST
Gravité des lésions professionnelles Plus de 2 500 $ déboursés par la CSST

Toutefois, la fréquence des lésions professionnelles n'est pas la variable qui influence le plus le taux de cotisation d'un employeur à la CSST. En effet, la CSST considère davantage la gravité d'une lésion professionnelle pour établir le taux de cotisation.

Par conséquent, une lésion grave peut affecter un employeur de façon importante. Plus la cotisation de l'entreprise est importante, plus elle sera affectée.

À cet égard, la Commission de la santé et de la sécurité du travail considère qu'une lésion pour laquelle elle doit débourser plus de 2 500 $ risque d'engendrer plus tard des coûts importants en frais d'assistance médicale et en frais administratifs et quasi judiciaires.

Les lésions graves sont souvent associées aux maladies professionnelles. Dans ce contexte, l'ergonomie représente la solution privilégiée pour prévenir une lésion professionnelle, par la réduction des contraintes liées à un poste de travail. Ce qui permet souvent d'influencer plusieurs travailleurs à leurs propres postes. Dans certains cas, la première maladie professionnelle qui sera diagnostiquée peut être considérée comme la pointe de l'iceberg.

C'est pourquoi il faut se concentrer principalement sur les lésions graves, puisque ce sont ces lésions qui risquent de coûter le plus cher à l'entreprise. Afin d'éviter l'augmentation des coûts, les étapes à suivre lorsqu'une lésion grave se présente, sont les suivantes :

  • lister des postes légers et mettre immédiatement le travailleur en affectation temporaire, en vertu de l'article 179 de la LATMP;
  • faire une analyse du fait accidentel;
  • trouver des solutions afin que pareille situation ne se reproduise pas;
  • faire les correctifs appropriés (ergonomie et prévention);
  • tester les solutions et consulter au besoin les travailleurs concernés;
  • modifier la procédure de travail si celle-ci est en cause.

En plus d'être reliées aux maladies professionnelles, les lésions professionnelles graves sont aussi associées à des lésions comportant des diagnostics multiples, à des accidents graves, à un manque de suivi médical ou à un manque de gestion des dossiers de santé et sécurité du travail.

On constate que la prévention par l'ergonomie trouve sa place puisque c'est la méthode de prévention privilégiée afin d'éviter des accidents fréquents ou graves.

En effet, dans le cas d'un accident du travail par exemple, c'est l'ergonomie qui permettra d'en déterminer la cause le plus fidèlement possible, qu'il s’agisse de mauvaises méthodes de travail, d'une erreur humaine, d'une mauvaise conception des outils de travail ou de toute autre cause.

En ce qui a trait à une maladie professionnelle, l'étude ergonomique du poste de travail et de l'environnement permettra d'établir s'il s'agit d'une mauvaise utilisation de la machinerie par les travailleurs, d'une mauvaise conception technique ou encore d'une méthode de travail contraignante à long terme qui risque de causer des dommages à certaines structures anatomiques du corps humain.

L'investissement en prévention sera ainsi récupéré de façon importante. Citons un exemple tiré de la pratique : l'entreprise X qui cotisait annuellement 180 000 $ à la CSST; pour une masse salariale égale, après avoir mis en place différents moyens de gestion, son taux de cotisation a chuté à 93 000 $ après un cycle de quatre ans. Une économie se chiffrant à près de 100 000 $ !

Pour diminuer ainsi la cotisation de l'entreprise, les investissements financiers requis, sans compter les autres types d'investissement non financier, sont d'environ 5 000 $ à 10 000 $ annuellement. Ces sommes sont consacrées à des services externes de consultants, tels que la prévention, la gestion de dossiers, les expertises médicales et, bien sûr, l'ergonomie du travail.

Les grandes entreprises

Mentionnons par ailleurs que, pour les très grosses entreprises, c'est-à-dire celles dont la cotisation annuelle s'élève à plus de 260 000 $ à la CSST, le régime de tarification est rétrospectif. C'est-à-dire que le taux de cotisation est totalement influencé par la limite par réclamation choisie par ces entreprises. En effet, ces entreprises peuvent choisir d'assumer de un à dix fois le salaire assurable de la CSST qui se chiffre annuellement plus ou moins à 50 000 $. C'est le système le plus réactif, mais il s'adresse à une clientèle sélecte vu l'influence importante sur le taux de cotisation.

Donc, ces grandes entreprises assumeront directement les coûts des lésions professionnelles se situant entre 50 000 $ et 500 000 $. Ce qui caractérise ce groupe d'entreprises, soulignons-le, c'est le fait qu'elles sont peu nombreuses au Québec (grande corporations, alumineries, mines, papetières, etc.).

Pour ces entreprises aussi, la prévention par l'ergonomie représente la solution idéale à la diminution ou au maintien de leurs coûts de cotisation à la CSST.

En conclusion, que l'entreprise à laquelle on fait référence soit de petite ou de grande taille, l'instauration, par la CSST, d'un nouveau système de calcul de la cotisation a permis à l'ergonomie au travail de devenir l'un des moyens par excellence pour atteindre les objectifs visés. De nombreux effets positifs de l'application de l'ergonomie dans la prévention au travail ne cessent d'être constatés et particulièrement en ce qui a trait à la cotisation des employeurs à la CSST.

En instaurant ce changement dans la tarification, la CSST a réussi à concilier les travailleurs et les employeurs sur un même terrain, malgré leurs objectifs différents.

Disons en terminant que les employeurs ont sous la main une solution à plusieurs des problèmes rencontrés dans leurs entreprises, dont le taux de leur cotisation à la CSST. Il s'agit maintenant de savoir combien de ces entreprises sauront mettre à profit la prévention par l'ergonomie.

Joël Ross, CRIA, est conseiller en santé et sécurité du travail et Brigitte Thériault, CRIA, est conseillère, santé et sécurité, Ressources P.M.E. inc.

Source : Effectif, volume 5, numéro 4, septembre / octobre 2002.


Joël Ross, CRIA et Brigitte Thériault, CRIA