Pour évaluer les retombées de la formation financée par l’employeur, les économistes ont plusieurs outils à leur disposition. Le plus courant? Le salaire. Rappelons que la théorie du capital humain stipule que les salaires reflètent la productivité des individus, laquelle dépend de leurs investissements en éducation, en formation et en expérience. Ainsi, toute hausse de rémunération liée à la formation comme investissement en capital humain peut être interprétée comme un gain de productivité.
Cependant, certains chercheurs vont plus loin. Plutôt que de s’arrêter au salaire, elles et ils analysent directement la performance de l’entreprise. En comparant des entreprises qui forment davantage leurs employés et employées à celles qui le font moins, ils examinent si les premières affichent une productivité plus élevée — mesurée concrètement, par exemple, en ventes ou en valeur ajoutée par personne.
Ces dernières recherches sont rendues possibles par la disponibilité de données jusqu’alors très rares, qui fournissent des informations sur un échantillon représentatif d’entreprises concernant leurs pratiques de gestion des ressources humaines, notamment en matière de formation, ainsi que sur leurs résultats, notamment en matière de ventes ou de valeur ajoutée.
Formation : les résultats
- 2,6 % de hausse de salaire en moyenne
Former, c’est payer : un investissement rentable
Former ses employés et employées, c’est bon pour leurs compétences — et pour leur portefeuille. Une synthèse de 38 études menée par Haelermans et Borghans (2012) révèle qu’un épisode de formation est associé à une hausse moyenne de salaire de 2,6 %. Des résultats similaires sont observés au Canada. À partir des données de l’Enquête sur le milieu de travail et les employés (1999–2004) de Statistique Canada, Dostie et Léger (2008) montrent que la formation en classe mène à une augmentation salariale de 3 %, tandis que la formation en cours d’emploi entraîne une hausse de 1 %.
La formation, un levier clair de productivité en entreprise
Plutôt que d’analyser l’effet de la formation sur le plan individuel, certaines études se penchent directement sur les données d’entreprise. L’objectif : savoir la formation de son personnel améliore concrètement la performance globale de l’entreprise — par exemple, en augmentant la valeur ajoutée ou les ventes par travailleur.
Comme il est rare de pouvoir observer la productivité d’un travailleur isolément, les économistes utilisent une méthode indirecte : ils estiment la fonction de production de l’entreprise, en y intégrant les facteurs qui influencent la productivité de l’entreprise (pratiques organisationnelles, capital, technologies, etc.), puis y ajoutent la formation comme un investissement susceptible de renforcer la productivité des salariés. Les résultats sont sans appel : cette littérature arrive unanimement à la conclusion que la formation a un effet positif sur la productivité.
Dès 1995, une étude pionnière de Bartel montrait que les entreprises ayant mis en place des programmes de formation voyaient la productivité de leur main-d’œuvre croître bien plus rapidement. De leur côté, Black et Lynch (1996) constataient que, dans le secteur manufacturier américain, plus le personnel passait de temps en formation formelle à l’extérieur de l’entreprise, plus la productivité progressait.
Plusieurs recherches en Europe confirment que la formation en entreprise est un moteur de productivité. Au Royaume-Uni, Dearden et ses collègues (2006) montrent que les entreprises qui forment davantage leurs employés et employées créent plus de valeur. En Allemagne, Zwick (2006) ainsi que Konings et Vanormelingen (2015) arrivent à la même conclusion : plus la proportion d’employées et employés formés est élevée, plus la productivité de l’entreprise progresse.
Dans une revue de littérature que j’ai réalisée en 2020, je concluais à un consensus fort : la formation a bel et bien un effet positif sur la productivité.
Des effets visibles jusqu’au PIB national
Ces effets positifs ne se limitent pas à l’échelle de l’entreprise, du salarié ou de la salariée. Une étude récente de Ma et al. (2024) a cherché à mesurer l’incidence globale de la formation sur la croissance économique. Leurs résultats sont frappants : jusqu’à 38 % des différences de croissance économique et 12 % des écarts de PIB par habitant entre pays s’expliqueraient par la proportion de travailleurs et travailleuses recevant de la formation parrainée par leur employeur.
Autrement dit, dans les pays les plus riches, Ma et collègues (2024) observent :
- une plus grande part d’entreprises qui investissent dans la formation;
- un plus grand nombre de personnes qui participent à ces formations;
- davantage d’heures de travail consacrées à la formation;
- des dépenses en formation par personne bien plus élevées.
Le message est donc clair : investir dans la formation, c’est aussi investir dans la prospérité collective. Il reste toutefois un angle mort important : quels types ou contenus de formation génèrent le plus de gains? C’est là que la recherche a encore un rôle crucial à jouer.
Conséquences de la formation
- 38 % des différences de croissance économique entre pays
- 12 % des écarts de PIB par habitant entre pays s’expliqueraient par la proportion de travailleurs et travailleuses recevant de la formation parrainée par leur employeur.
Quelle modalité de formation a le plus d’effet sur la productivité?
Toutes les formations ne se valent pas du point de vue de la productivité. Au Canada, une analyse de données de Statistique Canada (1999–2006) montre que la formation en classe est associée à une hausse de productivité de 3,4 %, contre 1,6 % pour la formation en cours d’emploi.
Pourquoi cet écart? Une explication possible est que la formation en classe porte plus souvent sur des contenus structurés à forte valeur ajoutée — comme la formation professionnelle menant à une certification — alors que la formation en cours d’emploi est parfois davantage liée à l’intégration de nouveaux employés ou nouvelles employées, en contexte de roulement de personnel élevé.
En somme, il existe un large consensus scientifique sur les effets positifs de la formation des employés et employées sur les salaires et la productivité. Toutefois, les recherches peinent encore à déterminer précisément quels types ou contenus de formation génèrent les gains les plus importants, en raison du manque de données représentatives et précises sur ces sujets. Mieux comprendre ces mécanismes permettrait aux praticiens et praticiennes des RH d’orienter plus efficacement les investissements en formation.
Références
- Bartel, A. P. (1995). Training, wage growth, and job performance: Evidence from a company database. Journal of Labor Economics, 13(3), 401–425. https://doi.org/10.1086/298380
- Black, S. E., & Lynch, L. M. (1996). Human-capital investments and productivity. The American Economic Review, 86(2), 263–267. https://www.jstor.org/stable/2118138
- Dearden, L., Reed, H., & Van Reenen, J. (2006). The impact of training on productivity and wages: Evidence from British panel data. Oxford Bulletin of Economics and Statistics, 68(4), 397–421. https://doi.org/10.1111/j.1468-0084.2006.00170.x
- Dostie, B. (2020). Who benefits from firm-sponsored training? IZA World of Labor, 145v2. https://wol.iza.org/articles/who-benefits-from-firm-sponsored-training
- Dostie, B., & Léger, P. T. (2008). Les rendements privés de la formation selon l’âge des travailleurs au Québec et comparaison avec l’Ontario (2008s-24, Cahier de recherche scientifique, CIRANO.) https://cirano.qc.ca/files/publications/2008s-24.pdf
- Dostie B. (2013) Estimating the Returns to Firm-Sponsored On-the-Job and Classroom Training, Journal of Human Capital, 7(2) : 162-189. https://www.jstor.org/stable/10.1086/671186
- Haelermans, C., & Borghans, L. (2012). Wage effects of on-the-job training: A meta-analysis. British Journal of Industrial Relations, 50(3), 502–528. https://doi.org/10.1111/j.1467-8543.2011.00854.x
- Konings, J., & Vanormelingen, S. (2015). The impact of training on productivity and wages: Firm-level evidence. The Review of Economics and Statistics, 97(2), 485–497. https://doi.org/10.1162/REST_a_00460
- Ma, X, Nakab, A. & D. Vidard (2024). Human Capital Investment and Development: The Role of On-the-Job Training. Journal of Political Economy Macroeconomics, 2(1): 107-148. https://doi.org/10.1086/728667
- Zwick, T. (2006). The Impact of Training Intensity on Establishment Productivity. Industrial Relations 45(1): 26-46. https://doi.org/10.1111/j.1468-232X.2006.00412.x