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Concilier les aspects humains avec la performance des organisations : adopter le bion état d'esprit

Afin de concilier la performance de l’organisation avec les considérations humaines telles que le bien-être et le développement des personnes, les CRHA | CRIA ont avantage à adopter le bon état d’esprit.
14 novembre 2025
Nicolas Turcotte-Légaré, CRHA, doctorant

« Les professionnelles et professionnels en ressources humaines et relations industrielles agréés détiennent une posture unique en tenant compte à la fois des considérations humaines et d’affaires. »

Reconnaissez-vous cette phrase? Il s’agit de la toute première phrase du Code de déontologie des CRHA | CRIA.

C’est cette phrase qui m’a inspiré deux aspects importants de mon projet de thèse, à savoir :

  1. identifier les systèmes de pratiques RH que les organisations peuvent mettre en place pour favoriser à la fois le bien-être et le développement des personnes et la performance organisationnelle.
  2. Comprendre le rôle que les professionnelles et professionnels RH | RI, ainsi que les équipes RH | RI peuvent jouer pour favoriser la mise en œuvre de telles pratiques dans leurs organisations.

Dans cet article, je partage avec vous un premier élément de réponse issu de recherches passées en gestion et en GRH : les CRHA | CRIA peuvent améliorer leur réponse à cette tension, en adoptant le bon état d’esprit, celui qui est favorable aux paradoxes (paradox mindset; Miron-Spektor et al., 2018).

Les paradoxes

La recherche en gestion définit les paradoxes comme étant l’ensemble des éléments contradictoires, mais interdépendants, qui existent simultanément et persistent dans le temps (Smith et Lewis, 2011; Schad et al., 2016). La tension qui existe entre le bien-être des personnes et la performance des organisations est régulièrement présentée comme l’un des paradoxes importants de la GRH (p. ex. Ho et Kuvaas, 2020; Keegan et al., 2019). Ce paradoxe est d’autant plus important que les concepts de bien-être et de performance sont sujets à équivoque. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le bien-être est à la fois physique, psychologique et social (OMS, 1946) et les chercheurs ont démontré que certaines pratiques de gestion favorisent parfois une de ces dimensions au détriment d’une autre (Grant, 2007). Définir la performance des organisations est également un casse-tête pour les chercheurs depuis des décennies (Cameron, 1986).

Quels sont les outils à notre disposition pour faire face à toute cette complexité? La recherche montre qu’en adoptant le bon état d’esprit (Miron-Spektor et al., 2018), les leaders sont capables de mieux faire face aux paradoxes. Les personnes dotées d’un état d’esprit favorable aux paradoxes valorisent, acceptent et se sentent davantage à l’aise avec les tensions (Miron-Spektor et al., 2018). En effet, la perspective des paradoxes en gestion fait la différence entre trois concepts (Smith et Lewis, 2011; Smith et al., 2016) : les dilemmes, les compromis et les paradoxes (voir la figure 1). Ainsi, lorsque l’on perçoit une situation comme un dilemme ou comme nécessitant des compromis, on peut se retrouver à faire un choix entre deux options qui n'en nécessitent pas.

 Il n’est pas nécessaire de choisir entre le bien-être et la performance, car il est non seulement possible de concilier les deux, mais ils s’alimentent également mutuellement.

Plusieurs études longitudinales ont en effet démontré la relation réciproque entre les indicateurs de bien-être au travail (satisfaction, engagement, etc.) et les résultats organisationnels (résultats financiers, satisfaction de la clientèle, etc.) (Judge et al., 2017). De plus, la recherche fait état de plusieurs pratiques RH qui favorisent à la fois le bien-être au travail et les résultats organisationnels (p. ex. Peccei et Van de Voorde, 2019).

Une organisation doit disposer de ressources :

  1. Valorisées sur le marché
  2. Rares
  3. Difficilement reproductibles par d’autres organisations
  4. Non substituables par d’autres moyens

Il est possible de changer notre état d’esprit

Est-ce qu’un état d’esprit favorable aux paradoxes, ça se travaille? A priori, oui. Une étude expérimentale a montré que lorsque l’on amène des participants et participantes à considérer non seulement deux facettes d’un problème, mais également la relation entre ces deux facettes, ces personnes trouvent des solutions plus créatives pour résoudre un paradoxe (Miron-Spektor et al., 2022). Pour tirer parti des synergies dans les paradoxes, il faut donc considérer chaque élément individuellement, puis les considérer conjointement.

Le principe de la séparation et de l’intégration

Le premier principe issu des recherches sur la gestion des paradoxes est donc l’adoption de stratégies de séparation et d’intégration. Il est important de prendre chaque élément en considération et d’y consacrer des ressources (et de faire appel à l’expertise au besoin); c’est le principe de séparation. Il peut s’agir d’une personne ou d’une équipe dédiée à chaque élément, ou si vous êtes CRHA | CRIA dans votre organisation, de temps et d’un plan consacrés à chacun. Il faut également des rôles et des processus dédiés à l’intégration, par exemple des rencontres d’équipe pour intégrer les deux stratégies.

Au-delà de ce principe central, la recherche met en évidence l’importance d’au moins deux autres principes clés pour gérer les paradoxes (Smith et al., 2016; Lewis et al., 2014). Tout d'abord, il faut développer et communiquer en continu une vision globale des ressources humaines qui intègre ces deux aspects. Enfin, adoptez une approche proactive en abordant les enjeux avant même leur émergence.

« Le signe d’une intelligence exceptionnelle est la capacité de garder à l’esprit deux idées opposées et de pouvoir continuer de penser et d’agir clairement. » — F. Scott Fitzgerald, écrivain américain.

La suite de mes recherches

Adopter le bon état d’esprit n’est pas une panacée. Encore faut-il, comme professionnels et professionnelles RH  RI avoir les compétences pour intervenir, ainsi que la latitude décisionnelle ou le pouvoir d’influence au sein de notre organisation pour faire avancer les solutions qu’on propose. Il y a également tout un travail de mise en œuvre des pratiques en partenariat avec les gestionnaires qui sont plus près du terrain. Ce sont quelques éléments sur lesquels la recherche doit encore progresser, et c'est précisément ce à quoi je m'intéresse en ce moment.

Références

  • Cameron, K. S. (1986). Effectiveness as paradox: Consensus and conflict in conceptions of organizational effectiveness. Management Science, 32(5), 539–553. https://doi.org/10.1287/mnsc.32.5.539
  • Grant, A. M., Christianson, M. K., & Price, R. H. (2007). Happiness, health, or relationships? Managerial practices and employee well-being tradeoffs. Academy of Management Perspectives, 21(3), 51–63. https://doi.org/10.5465/amp.2007.26421238
  • Ho, H., et Kuvaas, B. (2020). Human resource management systems, employee well-being, and firm performance from the mutual gains and critical perspectives: The well-being paradox. Human Resource Management, 59(3), 235–253. https://doi.org/10.1002/hrm.21990
  • Judge, T. A., Weiss, H. M., Kammeyer-Mueller, J. D. et Hulin, C. L. (2017). Job attitudes, job satisfaction, and job affect: A century of continuity and of change. Journal of Applied Psychology, 102(3), 356–374. https://doi.org/10.1037/apl0000181 
  • Keegan, A., Brandl, J., et Aust, I. (2019a). Handling tensions in human resource management: Insights from paradox theory. German Journal of Human Resource Management, 33(2), 79–95. https://doi.org/10.1177/2397002218810312
  • Lewis, M. W., Andriopoulos, C., et Smith, W. K. (2014). Paradoxical leadership to enable strategic agility. California Management Review, 56(3), 58–77. https://doi.org/10.1525/cmr.2014.56.3.58
  • Miron-Spektor, E., Emich, K. J., Argote, L., et Smith, W. K. (2022). Conceiving opposites together: Cultivating paradoxical frames and epistemic motivation fosters team creativity. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 171, 104153. https://doi.org/10.1016/j.obhdp.2022.104153
  • Miron-Spektor, E., Ingram, A., Keller, J., Smith, W. K., et Lewis, M. W. (2018). Microfoundations of organizational paradox: The problem is how we think about the problem. Academy of Management Journal, 61(1), 26–45. https://doi.org/10.5465/amj.2016.0594
  • Ordre des CRHA (s.d.) Code de déontologie. https://carrefourrh.org/ressources/deontologie-et-ethique/code-de-deontologie 
  • Organisation mondiale de la santé [OMS]. (1946). Préambule à la constitution. Conférence internationale sur la santé, New York, 19-22 juin
  • Peccei, R., et Van De Voorde, K. (2019). Human resource management–well-being–performance research revisited: Past, present, and future. Human Resource Management Journal, 29(4), 539–563. https://doi.org/10.1111/1748-8583.12254
  • Schad, J., Lewis, M. W., Raisch, S., et Smith, W. K. (2016). Paradox research in management science: Looking back to move forward. Academy of Management Annals, 10(1), 5–64. https://doi.org/10.5465/19416520.2016.1162422
  • Smith, W. K., et Lewis, M. W. (2011). Toward a theory of paradox: A dynamic equilibrium model of organizing. Academy of Management Review, 36(2), 381–403. https://doi.org/10.5465/amr.2009.0223
  • Smith, W. K., Lewis, M. W., et Tushman, M. L. (2016, May). ‘Both/and’ leadership. Harvard Business Review, 94(5), 62–70.

Author
Nicolas Turcotte-Légaré, CRHA, doctorant HEC Montréal

Source : Revue RH, volume 28, numéro 4 ─ Octobre/Novembre/Décembre 2025