Alors que des éléments de contexte déterminants, autrefois marginaux, comme la forte inflation, la pénurie de main-d’œuvre et la multiplication de modes d’organisation du travail sont le propre de notre ère postpandémique, il est évident que le rapport de force s’est déplacé en faveur des personnes salariées au cours des dernières années. Dès lors, la survenance en plus grand nombre de conflits de travail n’a rien de surprenant ou de choquant. De fait, plusieurs directions syndicales font le constat d’un moment propice unique afin d’améliorer de façon significative les conditions de travail de leurs membres. Pour leur part, plusieurs CRHA et CRIA doivent jongler avec des impératifs traditionnels de productivité, d’efficacité et d’efficience tout en soutenant pleinement des valeurs de bienveillance organisationnelle et celles associées à la mouvance EDI. Se pose également le défi d’adapter les conventions collectives afin de les actualiser avec les défis contemporains; mais cela n’a-t-il pas toujours été le cas?
Or, au-delà des phénomènes concrets qui meublent l’actualité médiatique et les préoccupations des parties prenantes en matière de relations de travail, il existe également des sujets qui suscitent au mieux des questionnements fugaces, au pis des préoccupations bien senties. De façon non limitative, on peut penser à la dynamique du marché du travail, à l’efficacité des méthodes de résolution des conflits, aux nouvelles obligations législatives pour les employeurs en matière de harcèlement psychologique, sexuel et de violence au travail, à l’utilisation judicieuse de l’intelligence artificielle, à la préservation de la santé physique et mentale au travail, etc. De même, les actrices et acteurs du monde du travail doivent également tenir compte d’un changement de paradigme en matière de commerce et de production. En effet, si l’accentuation de l’ouverture des marchés était caractéristique des décennies de la fin du 20e siècle, des réflexes protectionnistes émergent de plus en plus dans le discours des leaders au 21e siècle.
Il n’est donc pas étonnant que ces réalités incitent les législateurs à prendre un pas de recul afin de s’interroger sur le cadre actuel de nos régimes de relations de travail, comme c’est notamment le cas actuellement au Québec avec les initiatives des ministres Lebel et Boulet, mais aussi au fédéral alors que dans les derniers mois, un article méconnu du Code canadien du travail, l’article 107[1],i s’est retrouvé au cœur des discussions et des décisions ministérielles pour la résolution (?) de conflits de travail ayant eu une incidence sur l’ensemble de la société canadienne. Il y a donc fort à parier que cet article n’a pas fini de faire la manchette!
Si l’ampleur des remous dans le monde des relations de travail est incontestable, l’effet de ceux-ci afin de façonner l’avenir demeure sujet à hypothèses et prospectives. Le présent numéro se veut une contribution utile à cet effet. À l’instar des profonds changements qui ont affecté la société industrielle nord-américaine à certains moments de son histoire, se pose également la même question que par le passé : les changements d’aujourd’hui seront-ils pérennes ou éphémères? Plus fondamentalement, est-ce que les préoccupations contemporaines en matière de relations de travail, qui sont notamment évoquées dans les différents articles de ce numéro, seront conjoncturelles ou auront plutôt un effet structurel sur notre système de relations industrielles? Bonne lecture, mais surtout bonne réflexion!
- 107 Le ministre peut prendre les mesures qu’il estime de nature à favoriser la bonne entente dans le monde du travail et à susciter des conditions favorables au règlement des désaccords ou différends qui y surgissent ; à ces fins, il peut déférer au Conseil toute question ou lui ordonner de prendre les mesures qu’il juge nécessaires. L.R. (1985), ch. L-2, art. 107, 1999, ch. 31, art. 160(A) Code canadien du travail