Le transfert des apprentissages vers la situation de travail constitue un maillon clé pour assurer à l’organisation les avantages de la formation. Pourtant, alors que les effets des investissements en formation sur la performance organisationnelle sont reconnus, le lien entre les apprentissages en formation et l’amélioration du rendement individuel demeure modeste. Ce constat paradoxal invite les spécialistes de la formation à renouveler leur conception du transfert et leurs pratiques d’évaluation.
Alors que l’accumulation des connaissances passées a permis de préciser et parfaire notre compréhension des leviers essentiels au transfert, les apprentissages réalisés en formation peinent toujours à se généraliser au contexte professionnel et à s’y maintenir dans la durée (Blume et al., 2010). Ce constat est d’autant plus surprenant que les efforts de formation paraissent avoir certains effets sur les indicateurs de performance mesurés à l’échelle de l’organisation (Garavan et al., 2021; Tharenou et al., 2007). Comment expliquer un tel paradoxe si ce n’est en repensant nos façons de définir, d’optimiser et d’évaluer le transfert des apprentissages?
Les transformations en cours dans le monde du travail et celui de l’ingénierie en formation conduisent à la détermination de quatre tendances qui participent à ce renouvellement (voir Figure 1). Globalement, ces tendances marquent le passage d’une conception déterministe, centrée sur les objectifs organisationnels et les facteurs optimisant l’efficacité de la formation, à une conception considérant que la personne est le moteur du processus de transfert qui prend place dans le cadre d’une relation partenariale et réciproque avec l’organisation.
Un transfert aux effets élargis
Traditionnellement, le transfert est mesuré par la reproduction de comportements spécifiques en situation de travail après la formation. Or, les changements que connaît présentement le monde de la formation montrent que celle-ci peut viser des objectifs beaucoup plus larges qu’un transfert de type rapproché (voire proximal). Dans bien des contextes, il s’agit plutôt de développer des compétences dites ouvertes (p.ex. habiletés sociales, créativité) que chaque personne implémentera à sa façon et adaptera selon ses besoins. Cette autre forme de transfert s’évalue d’abord par la capacité à développer de nouvelles solutions à des problèmes peu structurés, dans des contextes difficilement prévisibles et, plus largement, à poursuivre le développement de ses compétences à long terme (Cheung et al., 2022 ; Roussel, 2011).
Un transfert entrelacé avec l’apprentissage
Les technologies contemporaines permettent la construction de parcours de formation plus flexibles, individualisés et autonomes. La formation évolue vers des formats hybrides alliant moments formels et apprentissages informels. Dans ces approches, l’apprentissage et le transfert s’entrelacent en un processus cyclique et continu d’acquisition, de mobilisation et de transformation des compétences (Blume et al., 2019). Les tentatives de transfert et leurs résultats ne sont pas considérés seulement comme des conséquences de l’apprentissage, mais font partie de celui-ci. L’évaluation du transfert et de l’amélioration du rendement individuel s’intègre alors dans cette spirale itérative apprentissage-transfert, en fournissant à la personne des retours utiles à son apprentissage.
Un transfert aux mille et une trajectoires
S’inscrivant dans un processus de développement professionnel continu, le transfert s’envisage alors comme « une série de choix que les personnes apprenantes font dans leur contexte de travail pour écarter, maintenir, appliquer ou modifier les connaissances et aptitudes apprises en formation » (Baldwin et al., 2017). Sachant déjà combien la motivation à apprendre est indispensable au transfert (Chung et al., 2022), l’accent est mis aujourd’hui sur le caractère évolutif et dynamique de cette motivation, laquelle se voit renforcée ou au contraire diminuée par les résultats plus ou moins heureux des tentatives de transfert. Se tracent ainsi, au fil du temps, des trajectoires d’apprentissage et de transfert pouvant varier d’une personne apprenante à l’autre (Huang et al., 2017). Le transfert est un acte sous le contrôle premier de l’individu qui décide, selon ses objectifs personnels, comment tirer parti de la formation suivie (Yelon et al., 2013). Intégrée à un accompagnement personnalisé tenant compte des objectifs de la personne, l’évaluation des effets de la formation peut contribuer à renforcer cette agentivité et l’inscrire sur des temporalités plus longues.
Un transfert inscrit dans une relation à l’organisation
Déjà reconnu comme facteur explicatif de la motivation à apprendre, l’engagement de la personne formée envers son organisation peut s’envisager aussi comme une retombée de la formation (Chung et al., 2022). S’inscrivant dans le cadre d’une relation d’emploi plus large, la formation peut, sous certaines conditions, manifester le soutien de l’employeur à l’égard de son personnel et engendrer en retour une obligation morale de participer au bon fonctionnement de l’organisation. Le transfert est alors conçu comme une forme de redevance qui contribue à consolider la relation d’échange réciproque unissant la personne à son employeur (Tian et al., 2016). Pensés ainsi, les effets de la formation ne se limitent pas qu’au simple usage des compétences acquises, mais peuvent se manifester par davantage d’engagement et de mobilisation au service de l’organisation. Perçue comme une marque de reconnaissance, la formation engendre aussi des comportements innovants, de loyauté et d’altruisme particulièrement utiles au bon fonctionnement de l’organisation.
Un transfert qui demande une nouvelle posture
Pour les spécialistes de la formation, la prise en compte de ces quatre tendances invite à un important changement de posture, comme le résume le tableau 1. De destinataire de la formation sommé de mettre en œuvre les compétences et les comportements attendus par l’employeur, la personne en formation devient l’artisan de son développement professionnel, guidée par des objectifs personnels et dotée d’une marge de manœuvre dans le choix de ses activités et des compétences qu’elle mobilise pour les réaliser. C’est en faisant d’elle un partenaire, y compris dans le processus d’évaluation, que les avantages de la formation sont maximisés.
Tableau 1 - Mise en relief des conceptions classiques et renouvelées du transfert et implications pratiques
Références
- Baldwin, T. T., Ford, J. K., & Blume, B. D. (2017). The state of transfer of training research: Moving toward more consumer-centric inquiry. Human Resource Development Quarterly, 28(1), 17–28.
- Blume, B.D., Ford, J.K., Baldwin, T.T., & Huang, J.L. (2010). Transfer of training: A meta-analytic review. Journal of Management, 36, 1065-1105.
- Blume, B. D., Ford, J. K., Surface, E. A. et Olenick, J. (2019). A dynamic model of training transfer. Human Resource Management Review, 29(2), 270-283.
- Cheung, J. J. H., & Kulasegaram, K. M. (2022). Beyond the tensions within transfer theories: Implications for adaptive expertise in the health professions. Advances in Health Sciences Education, 27(5), 1293–1315.
- Chung, S., Zhan, Y., Noe, R. A. et Jiang, K. (2022). Is it time to update and expand training motivation theory? A meta-analytic review of training motivation research in the 21st century. Journal of Applied Psychology, 107(7), 1150-1179.
- Garavan, T., McCarthy, A., Lai, Y., Murphy, K., Sheehan, M., & Carbery, R. (2021). Training and organizational performance: A meta-analysis of temporal, institutional, and organizational context moderators. Human Resource Management Journal, 31(1), 93-119.
- Huang, J. L., Ford, J. K. et Ryan, A. M. (2017). Ignored no more: within-person variability enables better understanding of training transfer. Personnel Psychology, 70, 557-596.
- Roussel, J. (2011). Le transfert des apprentissages en milieu organisationnel : réflexions, perspectives et nouvelle taxonomie. Travail et Apprentissages, 8, 11-29.
- Tharenou, P., Saks, A., & Moore, C. (2007). A review and critique of research on training and organizational-level outcomes. Human Resource Management Review, 17(3), 251-273.
- Tian, A.W., Cordery, J., & Gamble, J. (2016). Returning the favor: Positive employee responses to supervisor and peer support for training transfer. International Journal of Training and Development, 20, 1-16.
- Yelon, S. L., Ford, J. K. et Golden, S. (2013). Transfer over time: Stories about transfer years after training. Performance Improvement Quarterly, 25(4), 43-66.