Révolution dans le monde du travail : la proactivité est de mise
C’est aujourd’hui qu’il faut repenser le monde du travail de demain, déjà en voie d’être bouleversé par les balbutiements de l’intelligence artificielle générative. Devant les avancées fulgurantes de la technologie qui soutiendront ou transformeront profondément la tâche de millions de travailleuses et travailleurs, les organisations et les directions des ressources humaines ont un rôle crucial à jouer pour assurer une transition harmonieuse et sans heurts. C’est ce qui ressort d’un panel-conférence tenu dans le cadre du plus récent Rendez-vous Développement des talents de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.
« Il faut dès maintenant repenser l’avenir de certains postes, avance Pierre Graff, président-directeur général du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec. Il y a bien des choses qu’on ne peut pas anticiper, mais nous avons le contrôle sur la posture à adopter pour limiter les effets négatifs sur les personnes dont l’emploi est potentiellement menacé. »
« Soit on a anticipé et on limite le risque en offrant des formations qui permettront une transition en douceur, soit on s’engage dans un processus pur et dur de requalification pour replacer les personnes dont les emplois vont disparaître », ajoute-t-il.
« La révolution numérique et l’avènement de l’intelligence artificielle ne doivent toutefois pas effrayer les gestionnaires ou les travailleurs », mentionne Anne Nguyen, directrice de l’intelligence artificielle au Conseil de l’innovation du Québec.
« Nous avons déjà traversé la révolution industrielle, ce qui montre que l’apparition et la disparition de métiers ne sont pas nouvelles dans notre société, souligne-t-elle. Il est essentiel de prendre du recul et de cerner les compétences qui forment un cadre complet permettant d’évaluer et de développer les capacités nécessaires pour répondre aux exigences actuelles et futures du marché du travail. Ce recul est indispensable pour progresser dans la bonne direction. »
La directrice d’ÉTS Formation, Geneviève Brouillette, CRHA, est du même avis. « Rappelons-nous que nous avons vécu l’arrivée d’Internet dans les années 1990, affirme-t-elle. Cela avait entraîné des changements majeurs dans le domaine de la recherche et de la transmission de l’information. On revient aux mêmes compétences de communication, de pensée analytique, de créativité et d’apprentissage de l’apprentissage. »
Des travailleuses et travailleurs plus affectés que d’autres
Bon nombre d’emplois subiront une métamorphose entraînée par le développement rapide et étendu de l’intelligence artificielle, affectant davantage certains métiers.
Les femmes, plus que les hommes, ainsi que les nouveaux arrivants et les membres des minorités visibles, font partie des groupes qui souffriront le plus fortement la transition.
« Nos recherches laissent entendre que de 12 % à 15 % des emplois seront fortement touchés par l’intelligence artificielle dans les prochaines années, aussi bien positivement que négativement », souligne Alexander Stephens, directeur adjoint, Recherche et évaluation, au Centre des Compétences futures.
On pourrait croire qu’en étant moins familiers ou à l’aise avec les technologies, les travailleuses et travailleurs âgés seront ceux qui pâtiront le plus de la révolution numérique, mais ce personnel d’expérience sera au contraire indispensable dans les prochaines années, indique Alexander Stephens. « On peut les former en milieu de travail pour les soutenir dans la transition », dit-il.
Anne Nguyen abonde en ce sens. « Bien que l’intelligence artificielle puisse imiter le cerveau humain, il est primordial de vérifier les résultats des algorithmes. C'est ici que l'expérience humaine devient précieuse, car ceux qui ont traversé ces processus et peuvent apporter du contexte offrent une expertise irremplaçable. »
Vers une meilleure productivité
Même si l’intelligence artificielle permettra d’augmenter la productivité des entreprises, elle aura aussi pour effet de favoriser une meilleure conciliation des vies professionnelle et personnelle, ce que priorisent désormais les jeunes générations, souligne Pierre Graff.
« Avec l’intelligence artificielle, quelque chose qui pouvait prendre une demi-journée pourra maintenant prendre quelques minutes à peine, note-t-il. La technologie représente peut-être le lien entre ce besoin d’être plus efficace et la volonté de privilégier sa vie personnelle. On a peut-être là un outil qui va régler des enjeux sur le marché du travail et qui va dans le sens d’une volonté sociale qui révolutionne la manière de travailler. »
Les compétences incontournables de demain
Le maintien des compétences et de l’expertise doit toutefois demeurer une priorité des organisations et de la main-d’œuvre, qui ne doit pas déléguer entièrement sa tâche à l’intelligence artificielle.
Le sens critique et le réflexe de vérifier l’acceptabilité et la fiabilité des résultats produits par l’intelligence artificielle font partie des compétences essentielles pour tirer son épingle du jeu.
« La pensée analytique est importante, mentionne Geneviève Brouillette. Dans notre quotidien, comme employé, on vit avec une abondance d’information et de mésinformation. C’est important, le jugement, pour distinguer le vrai du faux, et plus ça va, plus cette compétence-là devient essentielle. »
Rappelons également qu’une machine pourra remplacer un être humain pour certaines tâches, mais qu’elle ne sera jamais elle-même humaine.
« Certaines compétences transversales, les connaissances générales et les capacités humaines, telles que la créativité, l’esprit novateur, la communication ou la capacité de résoudre des problèmes et des conflits, seront toujours utiles et nécessaires », croit Anne Nguyen.
Comme elle est produite par un robot, l’intelligence artificielle est dénuée d’empathie et ne parvient pas à contextualiser certaines informations ou à déceler le ton des messages.
« Il est donc essentiel de concentrer nos efforts sur la contextualisation, car c'est là que l'éducation et la culture générale jouent un rôle capital. Bien que l’intelligence artificielle soit capable de relier plusieurs éléments pour créer de nouveaux produits, elle peut aussi générer des hallucinations », explique Anne Nguyen. Elle donne l'exemple fictif d'une image montrant un président américain afrodescendant dans les années 1930, ce qui est historiquement impossible. Il y a eu confusion temporelle de la part de l’intelligence artificielle.
Privilégier la quête de sens
Pour Geneviève Brouillette, la culture d’entreprise doit être sensible aux valeurs des employées et employés en arrimant les besoins des organisations avec les aspirations de ces derniers.
« On est tous en quête de sens et, aujourd’hui, les jeunes ont un choix, signale-t-elle. Il faut, comme entreprise, miser sur la culture, les valeurs et les façons de faire. C’est avec les compétences humaines qu’on établira un pont entre les anciens et les nouveaux paradigmes dans le développement continu des compétences. »
À ses yeux, les compétences humaines primeront sur les compétences techniques, qui pourront être complémentées par la technologie. « Il n’est plus nécessaire d’embaucher quelqu’un qui correspond à la description de tâches, poursuit Geneviève Brouillette. On privilégie l’attitude et le potentiel de la personne à s’accomplir dans ses fonctions actuelles et futures. Cela nécessite de revoir nos modèles d’accueil et d’intégration de la main-d’œuvre, de planifier une formation et de laisser de la place pour l’expérimentation. » Car les essais et erreurs demeureront d’une importance fondamentale dans le marché de demain.
Tous s’entendent pour dire que l’implantation de l’intelligence artificielle dans une pléthore de marchés, d’industries et d’organisations est inévitable. Mais celle-ci ne doit pas survenir coûte que coûte ou pour suivre une tendance.
« Il faut toujours penser à la raison d’être d’une entreprise avant d’aller vers l’intelligence artificielle, rappelle Anne Nguyen. Est-ce que cette technologie crée réellement de la valeur pour l'entreprise? Contribue-t-elle à améliorer l'efficacité opérationnelle, à offrir un meilleur service à la clientèle ou à fournir un environnement de travail plus enrichissant pour le personnel? Il est essentiel de ne pas implémenter l'intelligence artificielle simplement pour suivre une tendance technologique. Chaque initiative en matière d'IA doit être harmonisée avec les objectifs stratégiques de l'entreprise et apporter des avantages concrets et mesurables. En somme, l'intelligence artificielle doit être un outil au service de la vision et des missions de l'entreprise, et non une fin en soi. ».
Dans les prochaines années :
- 12 % À 15 % des emplois seront fortement touchés par l’intelligence artificielle