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L’apprenant en série : Comment construire un écosystème d’apprenance

Face à l’accélération des transformations et au besoin croissant d’agilité, les organisations doivent construire un écosystème d’apprenance pour faire de ses collaborateurs des « apprenants en série » (serial learners) afin de les aider à développer leurs compétences et donc à assurer une employabilité durable.
20 octobre 2023
Jean Marie Peretti

L’apprenant en série possède la capacité de se former et d’apprendre en permanence. Il est attentif aux évolutions qui affectent son métier et anticipe les nouvelles compétences à développer. Il est acteur du développement de son employabilité.

Pour construire un écosystème d’apprenance permettant à chaque collaborateur d’acquérir de façon continue les nouvelles compétences pertinentes, l’organisation doit s’appuyer sur des modèles qui prennent en compte l'environnement ainsi que l'appétence des salariés pour la formation.

Les formations en situation de travail et la formation-action, au croisement des formes anciennes d’apprentissage sur le tas, insèrent peu à peu l’idée de développement des compétences dans la trame du travail quotidien.

L’ère de l’apprenance

Le terme d’apprenance se définit par la place et le rôle dévolus aux usagers dans le pilotage des processus et par la nature radicalement inversée - centré sur l'apprenant - du postulat d’apprenance. La notion d'apprenance développée par Carré (2018) correspond à l’ensemble de dispositions favorables à l'action d'apprendre dans toutes les situations, formelles ou informelles, de façon expérientielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite.

L'apprenance repose sur l’idée de l’apprentissage tout au long de la vie en mettant en avant le rôle du « sujet social apprenant » dans le développement des compétences individuelles et collectives (Carré, 2018).

L’apprenance rapproche la formation et le travail, jusqu’à les fusionner. Les formations en situation de travail insèrent l’idée de développement des compétences dans la trame du travail quotidien.

Apprendre ou mourir

Apprendre plus vite que la concurrence est indispensable pour demeurer compétitif. Dans une organisation apprenante, tous les membres apprennent les uns des autres. Les apprentissages des uns favorisent ceux des autres. Les personnes, comme le collectif, sont invitées à apprendre à apprendre. L’essentiel est de créer les conditions pour que chacun apprenne. La question n’est plus de savoir quoi apprendre, mais comment susciter une dynamique d’apprentissage permanent. Comment faire pour que chaque situation de travail devienne apprenante?

L’organisation doit créer les conditions de l’apprenance pour favoriser les apprentissages à partir d’interactions systémiques. Le collaborateur est considéré comme un sujet potentiellement proactif et responsable de ses apprentissages plutôt que comme acteur réactif aux intentions de formation d’autrui, comme « apprenant » plutôt que comme « formé ».

La motivation des apprenants, la proposition de méthodes d'autoformation pour recenser les données nécessaires et l'environnement qui met les salariés en situation d'apprendre sont les piliers de l’apprenance. Les notions de confiance, de responsabilisation, d’accompagnement au développement professionnel des collaborateurs, de réflexion sur les problèmes rencontrés dans le travail, de droit à l’erreur, de valorisation et de reconnaissance, de prise d’initiative, d’autonomie sont des notions valorisées et l’entreprise apprenante les développe.

De la qualification à l’apprenance : du « face-à-face » au « côte-à-côte ».

L’organisation qualifiante développe les compétences individuelles et collectives par des actions de formation classiques (séminaires, conférences, etc.). L’organisation apprenante se démarque d’une logique de qualification et repose sur la dimension formatrice du travail par des démarches expérientielles et les ressources locales (retours d’expériences, tutorat, coaching, etc.). Les personnes se forment dans les situations variées où elles sont, pour trouver des réponses à leurs questions, leurs problèmes, leurs enjeux. Le formateur-tuteur a un rôle de facilitateur d’apprenance, chargé de l’accompagnement de projets au triple plan du contenu, de la méthode et de la relation. Le formateur-tuteur passe du « face-à-face » au « côte-à-côte » avec l’apprenant.

L’apprentissage en série pour une employabilité durable

Dans le cadre d’une politique de développement professionnel continu, l’organisation modifie en profondeur le modèle de formation pour développer les capacités à apprendre de chaque collaborateur. Elle adopte l’apprentissage en série qui repose sur la proactivité des apprenants et le partage de la fonction formation. L’enjeu est la transformation des collaborateurs dans leur rapport quotidien à leur activité professionnelle, à la connaissance et à la révision continue de leurs compétences. 

L’apprentissage en série contribue à renforcer la flexibilité, la capacité d’adaptation et d’innovation grâce à son incidence sur toute la chaîne de valeur de la formation (la détermination du besoin, l’élaboration d’un dispositif de montée en compétences, la mise en œuvre et enfin l’évaluation des acquis). 

L’apprentissage en série implique l'envie d'apprendre, au quotidien. La formation au quotidien devient un mot d’ordre, à savoir un apprentissage par jour . La formation ne se planifie plus ; elle est intégrée au travail quotidien. Faire de ses collaborateurs des apprenants en série, c’est les aider à développer leurs compétences et donc à assurer une employabilité durable. L’apprentissage devient continu, collaboratif, informel. L’apprentissage en série agit sur les trois formes d'apprentissage : l'apprentissage par l'expérience, par le travail collaboratif et enfin les formations formelles. Il permet à l’organisation de répondre de façon beaucoup plus efficiente aux défis de son environnement et de ses marchés.

Faire de l’organisation un écosystème d’apprenance

Pour créer un véritable écosystème d’apprenance, l’organisation développe systématiquement certaines approches. Elle s’appuie, entre autres, sur le partage de compétences, les formations expérientielles, crée des communautés d’apprentissage et met en place des ateliers de codéveloppement. Elle utilise les MOOC (formations en ligne ouvertes à tous), optimise le tutorat, le mentorat et le coaching. Enfin, elle veille à certifier les compétences acquises et à les mettre en œuvre.

L’organisation devient ainsi une fabrique de talent d’apprenants en série, gage d’amélioration continue, d’excellence opérationnelle et de pérennité (Frimousse & Peretti, 2019).

Bibliographie

  • Autissier D., Besseyre des Horts C.-H. Peretti J.-M (2022), Les nouvelles organisations hybrides : Organisation et travail en mode hybride, MA édition.
  • Benavent C., (2023), « Comment l’apprentissage artificiel change notre monde », Pouvoirs (N° 185), pages 39 à 50.
  • Carré P. (2018), « Apprenance : Sens, Contresens, Performance ? » in Frimousse S., Peretti J.M., L’apprenance au service de la performance, EMS.
  • Frimousse, S. Peretti, J. (2022). Travail et organisation hybrides en question(s). in Question(s) de management, 40, 121-152.
  • Frimousse S., Peretti J.M. (2018), L’apprenance au service de la performance, EMS.
  • Frimousse S., Peretti J.M. (2019), « serial learner : un talent à développer » in MagRH, N°5, mars 2019, page 15-19
  • McCall M., Eichinger R., Lombardo M. (1996), “The career architect development planner” Lominger Limited.
  • Véro J. et B. Zimmermann. (2018). « À la recherche de l’organisation capacitante : quelle part de liberté dans le travail salarié ? », Savoirs 2018/2 (N° 47), p. 131-150. 

Author
Jean Marie Peretti Professeur ESSEC Business School

Source : Revue RH, volume 26, numéro 4  ─ SEPTEMBRE OCTOBRE 2023