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La gouvernance d’un projet de transformation numérique : Une place stratégique pour le professionnel RH

Pour réussir un projet de transformation numérique et assurer sa pérennité, il est impératif prendre charge deux volets indissociables : la technologie et l’environnement d’affaire. La fonction RH s’impose comme une alliée incontournable dans la gouvernance d’un tel projet.
10 mars 2023

Le choix de la gouvernance d’un projet de transformation numérique est critique pour sa réussite. Cet article propose une réflexion sur la vision à adopter autour du leadership d’un projet d’envergure qui met en jeu la stabilité financière, voire la pérennité de l’entreprise ainsi que sur la place particulière de la fonction RH dans l’équipe de gouvernance.

Un projet de transformation numérique est-il un projet TI?

Les projets de transformation numérique sont souvent complexes et touchent l’ensemble de l’organisation. La composition et le rôle d’une équipe de gouvernance sont donc hautement stratégiques. D’emblée, bon nombre d’organisations délèguent le leadership de la gouvernance vers ceux qui ont à développer ou à superviser le développement de la technologie, soit le secteur des TI. L’équipe projet place alors la solution technologique au cœur du projet et mise sur sa qualité pour atteindre les objectifs d’affaires.

Cette approche est incomplète puisqu’elle démontre que trop souvent, seuls les sujets liés au développement et à l’implantation de la solution sont traités et que les effets sur l’organisation et le fonctionnement des équipes sont relégués au second plan ou se retrouvent carrément exclus du projet. Les secteurs d’affaires, futurs propriétaires et utilisateurs de la technologie sont consultés sur des éléments fonctionnels. De la même façon, le budget et les échéanciers sont établis en fonction des besoins en TI, souvent sans égard aux besoins d’affaires.

Pourtant, un projet de transformation numérique n’est pas un projet TI. C’est plutôt un projet corporatif visant à atteindre un objectif d’affaire, soutenu par une technologie dont le développement et l’implantation sont en partie assurés par les TI.

La vision de l’équipe de gouvernance doit considérer à parts égales les besoins liés à la solution technologique et les besoins du secteur d’affaire dans l’évaluation de la portée, du budget et des échéanciers du projet et que les enjeux et les effets sur les secteurs d’affaires soient pris en compte au même titre que les enjeux et les effets techniques ou technologiques (voir Figure 1). L’aboutissement d’un projet doit alors être vu à long terme puisqu’il repose sur l’obtention de bénéfices (retour sur capital investi) et non simplement sur une implantation technologique réussie.

Diagramme illustrant la place de la gouvernance dans un projet de transformation numérique

Figure 1 : Diagramme illustrant la place de la gouvernance dans un projet de transformation numérique

(Source : Isabelle Marchand, inspiré de Brio, 2009)

Cette vision à long terme amène à affirmer que la composition minimalement viable d’un comité de gouvernance comporte, outre les TI, un représentant décisionnel de chaque secteur concerné par le projet qui verra à la fois à gérer les incidences et les risques pour son secteur et s’assurer que la solution développée réponde à son besoin. Le leadership de ce comité revient alors à l’utilisateur principal de la technologie.

Prenons l’exemple de l’implantation d’un système de gestion des achats. Ce système remplacera un ensemble de fichiers Excel développés par les employés au fil du temps. Bien que ces outils permettent d’effectuer le travail, des enjeux de sécurité et de confidentialité des données, combinés à une perte de performance due aux nombreuses manipulations requises, ont mené l’entreprise à prioriser l’implantation d’un logiciel robuste et efficient dédié au contrôle des achats. Ainsi, le leadership du projet sera attribué au secteur des achats, qui communiquera ses besoins d’affaires et orientera les TI dans la conception de l’outil. Le système touchera également d’autres secteurs d’affaires : les ventes et le service à la clientèle. Ces secteurs devront également être représentés dans l’équipe de gouvernance du projet en raison de leur interdépendance avec le secteur principal.

Le rôle de la fonction RH dans la gouvernance d’un projet

Qu’en est-il du rôle de la fonction RH dans ce type de projet? Malheureusement, la fonction RH est rarement représentée dans une équipe de gouvernance. Pourtant, elle s’impose comme une alliée incontournable dans l’équipe de gouvernance et ce, sous bien des aspects.

En effet, la représentation de la fonction RH autour de la table des décideurs permettra d’abord d’influencer la définition même du projet, sa vision, sa cible, sa portée, son budget et ses échéanciers puisqu’elle tiendra compte des éléments humains du changement et non seulement des éléments techniques ou procéduraux.

Ensuite, le professionnel RH sera en position d’anticiper les enjeux possibles avant même le lancement des travaux et de mieux faire valoir les risques que comportent un manque d’adhésion et de mobilisation. Il verra à déployer très tôt dans le processus les efforts nécessaires pour évaluer les incidences du changement sur les gestionnaires et les employés, recenser les enjeux et guider les actions visant à les résorber.

Enfin, il aura pour mission d’accompagner l’équipe de de gouvernance et le parrain du projet dans leur rôle d’agents mobilisateurs et promoteurs du projet.

Nous savons déjà que l’adhésion des parties prenantes au changement est essentielle à la réussite d’un projet. Une technologie qui fonctionne, mais qui n'est pas utilisée adéquatement ou carrément rejetée ne génèrera pas de changement durable et l’organisation ne pourra pas espérer en retirer des bénéfices. Aussi, permettre aux parties prenantes de traverser la période de transition et de s’adapter au changement graduellement et de façon durable aura des retombées sur la durée, le coût et la réussite du projet. Selon Prosci (2021), une gestion du changement structurée et efficace augmente la vitesse d’adoption du changement, permettant au projet d’atteindre sa cible d’affaire deux fois plus rapidement. Elle serait même, selon Prosci (2021), la raison principale de l’échec des projets de transformation.

Échecs des projets de transformation numérique

  • 70 % des projets ont tendance à échouer (encore aujourd’hui)
  • 50 % d’échecs dans les projets dépassant un millionnbsp;US $

Source : sondage du Project Management Institute (2017) menée auprès de milliers d’entreprises à travers le monde

Structure et gouvernance : un équilibre à atteindre

Trois messages sont à retenir de cet article. Premièrement, pour réussir un projet de transformation numérique et assurer sa pérennité, il est impératif prendre charge ces deux volets indissociables : la technologie et l’environnement d’affaire. Une gouvernance négligeant ou omettant un volet se place sur la voie de l’échec. 

Deuxièmement, le secteur le mieux placé pour assumer le leadership de la gouvernance et être au centre des décisions est le principal secteur d’affaire concerné, en étroite collaboration avec les autres secteurs touchés par le changement ainsi qu’une équipe TI prenant en charge le développement et l’implantation d’une solution technologique.

Enfin, une équipe de gouvernance dotée d’une fonction RH apte à assurer une démarche de gestion du changement structurée et propice à la mobilisation pour un changement rapide et durable vers la nouvelle technologie mettra toutes ses chances de réussite de son côté, sachant que l’indisposition des parties prenantes à changer est la cause principale de l’échec d’un projet. 

Encore aujourd’hui, les demandes de soutien en gestion du changement arrivent souvent tard dans le projet, alors que la réflexion stratégique est terminée et que le projet est amorcé. La portée des actions du professionnel RH en est affecté puisqu’il doit composer avec les décisions clés qui ne tiennent pas toujours compte de l’élément humain du changement qui, rappelons-le, est la principale cause de l’échec des initiatives de changement. Il est donc grand temps de positionner la fonction RH en amont des projets, dans un rôle décisionnel prépondérant. Cela évitera l’apparition de nombreux problèmes en cours de projet.