Après dix ans de carrière sur le continent asiatique et dix-sept autres au sein de la division vaccin d’une grande multinationale française — dans diverses fonctions, en France et aux États-Unis —, Céline Schillinger a fondé We Need Social, spécialisée dans l’activisme d’engagement et le leadership relationnel. Alors qu’elle publie Dare to Un-Lead — The Art of Relational Leadership in a Fragmented World, elle était l’invitée de Htag le 24 mai dernier pour un cours magistral inaugurant la nouvelle Communauté belge d’inspiration sur l’humain au travail.
Le livre ne présente pas un énième cadre ou modèle de leadership sur lequel apposer un copyright, lance-t-elle d’emblée. « Il s’agit pour moi d’une étape de carrière par laquelle je partage une analyse du leadership actuel, issue de mon expérience de terrain, et j’émets des propositions pour réinventer la performance collective. Souvent, en essayant d’atteindre l’efficacité, les organisations cherchent l’harmonie et amènent l’homogénéisation, ce qui réduit les potentiels à une espèce de norme un peu moyenne, où les gens sont interchangeables. Mais le monde a changé. Ce mode d’action, qui auparavant fonctionnait, est désormais dépassé. Et il ne faut pas être jeune pour ne pas s’y reconnaître. Malheureusement, les entreprises n’ont pas changé. Et elles, c’est nous! Nous avons conservé des réflexes désuets, en particulier en matière de leadership. »
Le leadership demeure attendu d’une personne : cette personne — plutôt un homme — très charismatique, souvent le plus assertif, quelque peu héroïsé. « On se retrouve alors avec des leaders à l’ego surdimensionné, qui n’écoutent personne et entraînent tout le monde vers la chute. Et l'on en recherche alors un autre… pareil. Ce qui est finalement pratique et assez confortable. Car, au fond, si l’on se cherche un leader exceptionnel, et qu’il se plante, on peut dire que c’est sa faute. Ce qui nous exonère de notre responsabilité individuelle. »
Pour réinventer le leadership afin qu’il soit plus respectueux des intérêts de l’entreprise et de ceux des personnes, Céline Schillinger propose trois chemins, chacun incarné dans une valeur. La liberté, tout d’abord : « La liberté permet aux gens d’exercer leur jugement, de développer leur pouvoir d’action, explique-t-elle. La liberté collective commence par un processus d’émancipation individuelle. Être un agent de changement implique certaines conditions et conséquences dont il faut être conscient. Pour étendre la liberté à grande échelle, un autre type de leadership est nécessaire : le leadership émancipateur, qui place des principes nouveaux, parfois contre-intuitifs, au cœur des pratiques managériales. »
Exemples? Peut-on encore considérer que la personne en haut de la hiérarchie sait mieux que celle qui est en bas? « Elle sait autrement, différemment, mais pas mieux. Chacun est expert dans son propre contexte. Ce qui fait le savoir, aujourd’hui, c’est la connexion entre les perspectives. » Peut-on encore gérer la performance de façon classique, individuelle? « Non, car elle contrevient à l’amélioration du système. Au contraire, il faut faire en sorte que les gens soient unis, soudés dans la co-construction de l’amélioration continue du système. » Dès lors, sortons des réflexes établis et observons les systèmes pour changer les dynamiques d’interaction.
Le vrai travail
Pour mener ce travail d’autoémancipation, Céline Schillinger se fonde sur les travaux de Myron Rogers qui considère que les organisations, en tant que systèmes humains, ne doivent pas être traitées comme des machines, mais bien comme des écosystèmes. Donc en respectant les lois des écosystèmes, qui se résument en six maximes. Un : People own what they help create — Ce qu’on crée nous appartient. « Au lieu de penser qu’on a le savoir et qu’il faut le pousser vers des gens qu’il faut convaincre, créons l’espace pour les faire intervenir dans la cocréation du savoir. De cette façon, nous aurons des perspectives différentes, de la diversité, ce travail d’appropriation et le fait d’être un moteur. La question : que pouvons-nous faire ensemble? »
Deux : Real change happens in real work — Le vrai changement s’opère dans le vrai travail. « Pas dans un workshop, ni dans un team building. Le vrai changement se fait dans le vrai travail, réalisé différemment. » Trois : Those who do the work, do the change — Ceux qui font le travail font le changement. « Le changement ne vient pas des change managers, ni des experts, mais des ouvriers en usine, des gestionnaires, des collaborateurs eux-mêmes. » Quatre : Connect the system to more of itself — Il faut multiplier en permanence les connexions internes. « Le savoir vient de partout et il faut le connecter à plus de lui-même, de différentes façons : développez le capital humain, les réseaux transverses, réunissez des personnes sous des modalités diverses, créez de la confiance par le travail en commun à travers les silos. »
Cinq : Start anywhere, follow it everywhere — Commencez n’importe où, mais poursuivez partout. « Dans un système vivant, il n’est pas nécessaire que le changement vienne du palier supérieur. Il peut émerger de n’importe où, là où existe l’énergie du changement. Il importe ensuite de le faire grandir, de le faciliter, de le valoriser et de le diffuser par capillarité. On n’en est plus à des logiques de cascade. » Enfin, six : The way you get the future is the future you get — La façon dont on arrive au futur est le futur auquel on arrive. « Si vous allez vers le futur de façon cascadée, du haut vers le bas avec l’aide de consultants, vous aurez des collaborateurs qui attendent qu’on leur dise quoi faire. Si vous coconstruisez en créant de l’autonomie et du réseau, vous aurez ce futur-là. »
Les deux autres chemins proposés par Céline Schillinger? L’égalité : grâce à un fonctionnement en réseaux permettant de nouvelles pratiques efficaces de travail collectif et un leadership entre pairs. La fraternité : par le biais d’un activisme d’entreprise qui permet la formation de communautés d’intention et d’impact, autour d’un engagement partagé pour une cause commune dans un mouvement militant. Ces deux chemins sont largement décrits dans le livre, toujours dans cette idée d’un leadership non pas centré sur des compétences individuelles, mais comme capacité collective. Ce qui le favorise ? « Les capacités relationnelles, et donc aussi émotionnelles. Bref, tout ce qu’on essaie de réprimer dans le milieu du travail! ».
RÉFÉRENCE
- Auteur Céline Schillinger Dare to Un- Lead – The Art of Relational Leadership in a Fragmented World
- Date de parution juin 2022
- Pages 316 pages
- ISBN 9781773271828