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Télétravail : distinguer le droit de gérance et le harcèlement psychologique en contexte de télétravail

Quelles sont les considérations juridiques et pratiques à respecter dans ce cadre? Comment distinguer le droit de gérance et le harcèlement en contexte de télétravail? En mode télétravail, tout comme sur les lieux du travail, il faut savoir faire la distinction entre les deux.

Pour de nombreux travailleurs, la pandémie mondiale de la COVID-19 a radicalement changé la façon d’exécuter la prestation de travail. Chaque jour apporte son lot de changements et de défis. Dans ce contexte ne semblant pas s’achever à court terme, il y a plusieurs considérations juridiques et pratiques à respecter dans le cadre du harcèlement psychologique en mode télétravail. 

Il est bien établi que les moyens raisonnables, que tout employeur est tenu de prendre pour satisfaire aux devoirs que lui imposent les dispositions de la loi, doivent s’adapter en fonction des circonstances dans lesquelles la prestation de travail évolue, notamment le télétravail. 

Ainsi, il y a plusieurs considérations juridiques et pratiques à respecter dans ce cadre. Dans les faits, les obligations de tout employeur en cette matière comportent essentiellement deux volets. 

D’abord, l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique.

Ensuite, l’employeur doit prendre les moyens raisonnables pour faire cesser toute conduite constituant du harcèlement psychologique, lorsque « portée à sa connaissance ». Il faut bien comprendre qu’en mode télétravail, les mêmes obligations s’appliquent à l’employeur que si les travailleurs étaient physiquement au travail. 

Finalement, l’employeur doit adopter et rendre accessible pour ses personnes salariées une politique de prévention du harcèlement psychologique ou sexuel et de traitement des plaintes.Le télétravail implique aussi un questionnement quant à la cyberintimidation et le cyberharcèlement, soit l’utilisation des technologies de communication telles que les sites Internet, les sites de réseautage social, le courriel, la messagerie texte, la messagerie instantanée, ou tout autre moyen de communication électronique, pour harceler ou intimider une personne. Tout employeur devrait avoir prévu cet aspect dans sa politique pour enrayer cette possibilité. Il lui incombe d’être proactif, afin de prévenir tout comportement qui constituerait du harcèlement.

L’exercice du pouvoir de direction et le harcèlement psychologique

Le travail à distance, l’absence de supervision directe, l’absence de travail et de réunions en présentiel, les courriels, messages textes, etc. peuvent générer des conflits entre le salarié et son gestionnaire. 

Les dispositions de la Loi sur les normes du travail relatives au harcèlement psychologique, ont modifié la façon de vérifier si l’employeur exerce son pouvoir de direction conformément aux règles du droit du travail disciplinaire collectif.

Avant la mise en vigueur des dispositions, le contenu de l’obligation de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique variait selon les circonstances. En règle générale, une plainte de harcèlement psychologique était rejetée si l’employeur démontrait qu’il exerçait son pouvoir de gérance uniformément à l’égard de l’ensemble des salariés sans faire aucune distinction entre eux.

Les dispositions relatives au harcèlement psychologique modifient ce point de vue. La plainte de harcèlement psychologique s’examine en fonction de celui qui se plaint et non pas en fonction de l’exercice du droit de gérance sur les salariés. Le droit à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique a changé de base. Ce droit, qui était plus collectif au début, s’est individualisé.

Par voie de conséquence, le décideur saisi d’une plainte basée sur le droit du salarié à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique ne doit pas se limiter à vérifier si l’employeur a exercé son pouvoir de gérance de façon raisonnable par rapport aux gestes qu’il pose à l’égard de l’ensemble des salariés, mais il doit plutôt vérifier si ce pouvoir est exercé sans harcèlement psychologique, et ce, au regard du salarié concerné. La même norme s’applique aussi en mode télétravail.

Le droit de gestion en mode télétravail

Il est reconnu que la notion de harcèlement psychologique ne vise pas toutes les interventions faites par un représentant de l’employeur auprès d’un salarié. Toutefois, parfois la frontière peut être mince. Aussi, un représentant de l’employeur est en droit d’exercer son rôle qui est de s’assurer que les salariés respectent les règles et usages en vigueur dans le milieu de travail et qu’ils fournissent une prestation de travail acceptable. Que ceux-ci soient en mode télétravail ou non.

Ainsi, le fait de signaler au salarié en mode télétravail, pendant de nombreux mois, les erreurs et omissions qu’il a commises et de lui indiquer les directives à suivre afin de se corriger ne constitue pas du harcèlement psychologique.

La notion de harcèlement psychologique ne doit pas être étendue à toute situation dans laquelle un employeur peut légitimement intervenir, conformément à ses droits de gérance, dans la mesure où cette intervention vise le bien-être de l’organisation ou amène un salarié à agir correctement.

L’exercice discrétionnaire du droit de gérance de l’employeur ne peut constituer un mauvais traitement que s’il est exercé de manière déraisonnable, et ce mauvais traitement ne peut constituer du harcèlement psychologique que s’il satisfait à tous les éléments essentiels de la définition prévue à la loi.

Le droit de gérance de tout employeur ne s’est pas estompé par l’adoption des dispositions concernant le harcèlement psychologique. Ainsi, lorsque ce pouvoir s’exerce correctement selon des règles bien définies, on ne peut pas le qualifier de harcèlement psychologique.

L’employeur possède un large pouvoir discrétionnaire lorsqu’il est question d’établir et de faire respecter toutes les procédures de travail, les règles et les usages du milieu de travail ainsi que d’évaluer le rendement des salariés. Il en va de même pour la vérification de la qualité du travail qui est effectué y compris en mode télétravail.

En définitive, la loi n’a pas été adoptée pour empêcher un employeur de superviser et gérer un employé offrant un rendement insatisfaisant au travail, ayant un taux d’absentéisme élevé ou qui fait fi des règles de l’entreprise pour l’exécution du travail en mode télétravail. La loi sanctionne plutôt des comportements qui vont au-delà de l’exercice du pouvoir de contrôle et de direction que détient l’employeur pour cibler des comportements arbitraires, abusifs et discriminatoires.

Auteur

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Me Charles Caza, CRIA, LLB, associé et co-fondateur chez Astell Caza De Sua, Avocats

Source : Revue RH, volume 24, numéro 1 ─ JANVIER FÉVRIER 2021