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Service essentiel : nouvel éclairage suite à une décision récente du TAT

Dans cet article, l’auteure revient sur une décision récente du Tribunal administratif du travail, un jugement sans précédent dans le domaine des relations de travail, spécifiquement pour les milieux de travail syndiqués.
1 novembre 2023
Emilie Beauchamps St-Onge, CRHA

Dans le domaine des relations de travail, un jugement sans précédent, et qui fera certainement jurisprudence, a été entériné par un juge du Tribunal administratif du travail le 9 juin 2023. Alors que les droits des travailleurs non syndiqués sont notamment défendus par la CNESST, secteur normes du travail, ou par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Charte des droits et libertés de la personne) dans certaines circonstances, la situation diffère dans les milieux de travail syndiqués. Chaque organisation syndiquée a comme devoir d’appliquer la convention collective négociée entre l’employeur, le syndicat affilié, les travailleurs et toutes autres parties prenantes nécessaires au déroulement de la négociation collective. Chaque milieu et parfois chaque secteur d’une organisation peuvent être représentés par une centrale syndicale différente, et la durée ainsi que le contenu des conventions collectives varient irrémédiablement.

Au Québec, le processus de syndicalisation et de négociation ainsi que le droit de grève sont légiférés par le Code du travail qui réglemente les relations de travail entre les syndicats accrédités et les employeurs dans la province. L’une des prémisses, dans les secteurs public et parapublic, est l’obligation de maintenir des services essentiels en cas de grève, et ce, en application du Code du travail[1]. La situation actuelle, présentée au Tribunal administratif du travail (TAT) par le Réseau de transport de la Capitale (RTC) et le Syndicat des employés du Québec Métropolitain inc., soulève l’enjeu des organisations assujetties à l’obligation de maintenir des services essentiels en cas de grève.

Ainsi, dans ce jugement, le juge du TAT applique les modifications introduites par le législateur au Code du travail en 2019[2]. Ces dernières stipulent que c’est désormais au Tribunal qu’est dévolue la compétence d’enquête et de détermination de l’assujettissement à l’obligation de maintenir des services essentiels en cas de grève dans un service public[3]. La nouvelle version de l’article 111.0.17 du Code du travail révisé en 2019 se lit comme suit : 111.0.17. Lorsqu’il est d’avis qu’une grève peut avoir pour effet de mettre en danger la santé ou la sécurité publique, le Tribunal peut, de son propre chef ou à la demande d’un employeur ou d’une association accréditée dans un service public, ordonner à ceux-ci de maintenir des services essentiels en cas de grève. […] À compter de la date de la notification de la décision du Tribunal aux parties, l’exercice du droit de grève est suspendu jusqu’à ce que l’association accréditée en cause se conforme aux exigences des articles 111.0.18 et 111.0.23. À la suite de ce jugement, le RTC, qui offre un service de transport en commun, n’est plus considéré comme un service essentiel comme tel au regard du fait qu’une grève ne met pas en danger la santé ou la sécurité publique, et ce, à l’exception de l’offre de transport adapté.

Par le passé, le gouvernement a appliqué des décrets ordonnant le maintien des services essentiels en cas de grève dans les transports en commun à Québec, à Montréal, à Laval et à Longueuil. En se basant sur la possibilité d’une entrave à la libre circulation des véhicules d’urgence résultant d’une congestion routière, le maintien des services essentiels en cas de grève dans les transports en commun à Québec, à Montréal, à Laval et à Longueuil prévalait. En négociation, le Syndicat a amorcé au printemps 2022 une démarche revendiquant de ne plus être assujetti aux services essentiels, et ce, sans égard à la présente négociation.

La décision rendue par le juge a statué que l’absence de service d’autobus n’aurait pas pour conséquence de mettre en danger la santé ou la sécurité de la population. Ce jugement de 74 pages est sans précédent et aura un impact sur Montréal et les grandes agglomérations telles Longueuil et Laval qui offrent un service de transport en commun.

Ce jugement applique la modification parue lors de la révision du Code du travail en 2019 et redéfinit la notion de services essentiels en mettant de l’avant l’importance de la mise en danger de la santé ou de la sécurité publique.

Cet enjeu, très litigieux, entre le RTC et le Syndicat, aura très certainement un impact sur les organisations publiques ou parapubliques qui devront maintenant prouver qu’elles offrent un service essentiel sans lequel on dénote un danger pour la santé ou la sécurité publique (art. 111.10 du Code du travail).

Référence

Réseau de transport de la Capitale et Syndicat des employés du transport public du Québec Métropolitain inc., 2023 QCTAT2525 (CanLII), https://canlii.ca/t/jxlz7 2023-07-22

Loi modifiant le Code du travail concernant le maintien des services essentiels dans les services publics et les secteurs public et parapublic, L.Q. 2019, c. 20.


Author
Emilie Beauchamps St-Onge, CRHA Candidate au Doctorat en technologie éducative, auxiliaire d'enseignement et de recherche
Membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés depuis 2015. Étudiante au doctorat en technologie éducative à l’Université Laval, titulaire d’un BAC en administration, concentration ressources humaines, d’un MBA en gestion des affaires numériques et d’un certificat d’excellence pour le programme court de 2e cycle en gestion contemporaine.

Source : VigieRT, novembre 2023

1 RLRQ, c. C-27.
2 Loi modifiant le Code du travail concernant le maintien des services essentiels dans les services publics et les secteurs public et parapublic, L.Q. 2019, c. 20.
3 L’ancien article 111.0.17 du Code du travail se lisait comme suit : « 111.0.17. Sur recommandation du ministre, le gouvernement peut, par décret, s’il est d’avis que dans un service public une grève pourra avoir pour effet de mettre en danger la santé ou la sécurité publique, ordonner à un employeur et à une association accréditée de ce service public de maintenir des services essentiels en cas de grève […] ».