Introduction
Beaucoup d’encre a coulé depuis que le législateur a adopté le projet de loi no 68 intitulé Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins[1] (ci-après la « Loi 68»). Il n’est guère étonnant qu’il en soit ainsi : la Loi 68 instituant un encadrement serré du droit de l’employeur d’exiger des certificats médicaux, d’aucuns y voyaient une embûche additionnelle à la gestion, déjà complexe, de l’absentéisme de courte durée.
Toutefois, il ne faut pas agiter l’épouvantail précipitamment : même avant cette réforme législative, la Loi sur les normes du travail[2] (« L.n.t. ») n’autorisait pas l’employeur à exiger d’un salarié, sauf dans certaines circonstances, la production d’un certificat médical pour justifier une absence de courte durée [art. 79.2(1) et 79.7(3) L.n.t.].
L’objectif de cette chronique n’est pas d’examiner dans le menu détail les modifications apportées par la Loi 68; il s’agit plutôt d’offrir aux gestionnaires et aux professionnels des ressources humaines des recommandations pratiques pour favoriser une gestion optimale de l’absentéisme en cette ère post-Loi 68[3]. Pour ce faire, nous ferons d’abord un survol des principales modifications insufflées par la Loi 68. Nous proposerons ensuite quelques recommandations pour favoriser une gestion optimale de l’absentéisme dans le respect des nouvelles obligations légales avec lesquelles les organisations doivent composer.
A. Les principales modifications apportées par la Loi 68
Les absences pour cause de maladie et raisons familiales ou parentales
La Loi 68 est venue modifier les articles 79.2 et 79.7 L.n.t., qui encadrent respectivement les absences pour cause de maladie et celles pour raisons familiales ou parentales. Ces modifications sont en vigueur depuis le 1er janvier 2025.
La Loi 68 impose des balises bien définies en ce qui a trait au droit de l’employeur d’exiger la production d’un certificat médical, ou d’un autre document justificatif, lorsqu’un salarié s’absente pour cause de maladie ou pour les autres motifs énoncés à l’article 79.1 L.n.t.[4]. En effet, bien que le libellé du premier alinéa de l’article 79.2 L.n.t., suivant lequel l’employeur peut « demander à la personne salariée, si les circonstances le justifient eu égard notamment à la durée de l’absence ou au caractère répétitif de celle-ci, de lui fournir un document attestant ces motifs », demeure, la Loi 68 ajoute les balises suivantes :
« Toutefois, l’employeur ne peut demander le document visé au premier alinéa pour les trois premières périodes d’absence d’une durée de trois journées consécutives ou moins prises sur une période de 12 mois. »
Élément capital à garder en tête : un employeur ne jouit pas pour autant d’un droit automatique d’exiger un certificat médical, ou un autre document justificatif, lorsque l’absence excède trois (3) jours consécutifs. Il ne peut le faire que si les circonstances le justifient [art. 79.2(1) L.n.t.], ce qui peut notamment être le cas en présence d’absences répétitives ou prolongées, d’abus ou d’absences où l’employeur peut valablement douter de la véracité du motif invoqué par le salarié.
Dans le cas des absences pour motifs familiaux ou parentaux, le troisième alinéa de l’article 79.7 L.n.t. autorisait l’employeur, avant l’entrée en vigueur de la Loi 68, à demander au salarié « si les circonstances le justifient eu égard notamment à la durée de l’absence, de lui fournir un document attestant des motifs de cette absence ». La Loi 68 est venue promulguer une interdiction d’exiger un certificat médical pour justifier la prise de l’un ou de l’autre des dix (10) jours d’absence pour raisons familiales ou parentales accordés aux salariés par l’article 79.7 L.n.t. Un employeur peut toujours, si les circonstances le justifient, exiger un document justificatif autre qu’un certificat médical.
Encadrement des assureurs et des administrateurs de régimes d’avantages sociaux
La Loi 68 impose certaines limites aux assureurs au sens de la Loi sur les assureurs[5] ainsi qu’aux administrateurs de régime d’avantages sociaux dans leur gestion médicale de dossiers d’invalidité. Les dispositions pertinentes de la Loi 68 ne sont pas encore en vigueur.
La Loi 68 définit un régime d’avantages sociaux comme étant un régime « non assurés, doté ou non d’un fonds, et qui accorde à l’égard d’un risque une protection qui pourrait être autrement obtenue en souscrivant une assurance de personnes » (art. 4 de la Loi 68).
Il arrive souvent que des employeurs offrent un programme d’assurance-invalidité autoassuré. La gestion du programme peut relever de l’employeur ou d’une tierce partie qu’il a mandatée. Les employeurs qui administrent leur régime d’assurance-invalidité sont ainsi visés par les nouvelles dispositions de la Loi 68.
Parmi les limites imposées par la Loi 68, nous retrouvons notamment celle qui promulgue l’interdiction pour un administrateur d’un régime d’avantages sociaux d’exiger, aux fins de maintenir le versement d’une prestation d’invalidité, que l’individu couvert « reçoive un service médical à une fréquence prédéterminée différente de celle jugée appropriée par son médecin traitant ».
B. Pot-pourri de recommandations
Tout d’abord, est-ce que la Loi 68 constitue un obstacle insurmontable pour les organisations souhaitant maintenir une gestion étroite de l’absentéisme de courte durée? À notre avis, une réponse négative s’impose[6].
Certes, l’employeur ne peut exiger la production d’un certificat médical ou d’un autre document justificatif dans certaines circonstances. Toujours est-il qu’un salarié doit néanmoins justifier son absence du travail. L’article 79.2(1) L.n.t. énonce expressément cette exigence : « La personne salariée doit aviser l’employeur le plus tôt possible de son absence et des motifs de celle-ci » [nos soulignements]. L’article 79.7 L.n.t. ne précise pas expressément que le salarié doit aviser l’employeur « des motifs » de son absence. Il coule de source qu’il doive le faire, ne serait-ce que pour permettre à l’employeur d’identifier la disposition législative ou celle de la convention collective sur laquelle son absence repose.
Dans un objectif d’instaurer un système de gestion de l’absentéisme cohérent et rigoureux lorsque les besoins de leur organisation le justifient, les entreprises peuvent, à notre avis et sous réserve des limites ci-après exposées, exiger que leurs salariés remplissent un formulaire écrit. Ils doivent notamment et, selon le cas, indiquer le motif de leur absence, sa durée prévue, la nature des symptômes les empêchant de se présenter au travail, etc. Les motifs étayant cette position sont expliqués ci-dessous.
Tout d’abord, nous sommes d’avis que la Loi 68 prohibe la production de documents, comme un certificat médical émanant d’une tierce partie (principalement les professionnels de la santé), mais certainement pas la production d’un document justificatif provenant du salarié lui-même. Le titre de la Loi 68 est révélateur à ce sujet : Loi visant principalement à réduire la charge administrative des médecins. Les débats parlementaires au sujet de ce projet de loi corroborent cette compréhension.
Deuxièmement, le principe, fort simple, suivant lequel un salarié doit justifier son absence étaye cette position. D’ailleurs, l’article 79.2(1) L.n.t. énonce expressément ce principe.
Troisièmement, les obligations de l’employeur en matière de santé et de sécurité du travail peuvent également constituer, dans une certaine mesure, une assise pour une telle exigence de justification. En effet, un employé qui s’absente de manière récurrente peut présenter une condition médicale qui compromet sa santé et sa sécurité ainsi que celles d’autrui, justifiant dès lors une intervention patronale.
Cette exigence de justification doit évidemment être mise en œuvre dans le respect de la loi, des dispositions du contrat individuel de travail ou de la convention collective et des lois régissant le droit à la vie privée. Par ailleurs, les employeurs seront bien avisés de préserver la confidentialité des renseignements contenus dans le document justificatif, notamment en demandant aux membres de leur personnel de le transmettre à une ou à des personnes désignées au sein du service des ressources humaines.
Enfin, avant qu’une absence excède trois (3) jours, nous ne croyons pas que la demande d’un certificat médical par un employeur, agissant en sa capacité d’administrateur d’un régime autoassuré d’assurance-invalidité de courte durée, constitue une contravention à la Loi 68. En effet, cette loi vise à prohiber la production de certains documents justificatifs par les salariés en vue de justifier une absence de courte durée. Or, la Loi 68 reconnaît que l’employeur peut jouer un rôle bicéphale : être un employeur au sens classique du droit de l’emploi et du travail ainsi qu’un administrateur de régime d’avantages sociaux. Les interdictions prévues aux articles 79.2 et 79.7 L.n.t. s’appliquent aux employeurs et non pas aux administrateurs d’avantages sociaux, ce qui devrait comprendre un employeur agissant en tant qu’administrateur de régime d’avantages sociaux. Quoi qu’il en soit, la question demeure, du moins en partie, théorique, plusieurs régimes autoassurés prévoyant une période de carence de plus de trois (3) jours.
Conclusion
La Loi 68 vise un objectif on ne peut plus louable : alléger le fardeau administratif de nos médecins. Elle limite, certes, le champ de liberté des employeurs dans la gestion de l’absentéisme de courte durée. Toutefois, cette interférence demeure minime et n’est pas débilitante.
La Loi 68 ne constitue pas un obstacle à la mise sur pied d’un système de gestion de l’absentéisme rigoureux par les organisations dans le respect de leurs obligations légales et contractuelles. L’exigence selon laquelle un salarié qui s’absente remplit un document justificatif peut constituer un aspect de l’exercice de gestion de l’absentéisme de courte durée. Elle permet d’ailleurs de répondre aux préoccupations des organisations confrontées à des taux élevés d’absentéisme ou d’absences abusives : les salariés peu scrupuleux devraient, du moins en principe, être moins enclins à fausser la réalité s’ils doivent le faire par écrit.
Pour les irréductibles absentéistes et retardataires enclins à berner leur employeur, une intervention disciplinaire peut alors s’imposer. L’employeur pourra trouver réconfort dans son intervention en se rappelant les judicieux propos de l’honorable Mark Philips de la Cour supérieure :
« [21] Dans le monde du travail, l’honnêteté et l’intégrité sont des valeurs non négociables. Elles ne sont pas à géométrie variable au gré des circonstances. Aucun facteur extrinsèque ne peut ni justifier ni atténuer une telle malhonnêteté, laquelle contrevient non seulement à l’obligation de loyauté de l’employé, mais aussi à son obligation d’honnêteté, sans oublier celle d’exécuter sa prestation de travail.
[22] On a tort de banaliser et de relativiser la malhonnêteté. L’honnêteté est le ciment de la société. La société malhonnête d’aujourd’hui est la société corrompue de demain. »[7]
La pièce maîtresse du régime civil québécois, le Code civil du Québec, codifie expressément cette obligation de loyauté et d’honnêteté (art. 2088 C.c.Q.), laquelle est une manifestation particularisée du principe de bonne foi (art. 6, 7 et 1375 C.c.Q.)[8]. Les organisations ne devraient jamais être réticentes à réprimander un manquement à cette obligation fondamentale, y compris, selon les circonstances, par la peine capitale en droit de l’emploi et du travail : le congédiement.
| 1 | P.L. 68, 1re session, 43e lég., 2024 (sanctionné le 9 octobre 2024), L.Q. 2024, c. 29. |
| 2 | RLRQ, c. N-1.1. |
| 3 | Les propos contenus dans la présente chronique sont fournis à titre purement informatif et ne constituent en aucun cas un avis juridique. Ces propos ne peuvent pas se substituer aux conseils d’un professionnel du droit. L’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés et l’auteur de cette chronique déclinent toute responsabilité quant à l’utilisation ou à l’interprétation qui pourrait être faite de ces propos, de même que pour toute décision ou toute action qui en découlerait. Nous vous recommandons de consulter un professionnel pour obtenir des conseils adaptés à votre situation. |
| 4 | Ces autres motifs sont les suivants : don d’organe ou de tissus, accident, violence conjugale, violence à caractère sexuel ou acte criminel. |
| 5 | RLRQ, c. A-32.1. |
| 6 | Nos recherches en date du 7 novembre dernier n’ont révélé aucune décision pertinente concernant les thèmes abordés dans la présente chronique. |
| 7 | Hydro-Québec c. Roy, 2024 QCCS 687. |
| 8 | Frédéric Desmarais, Le contrat de travail, 2e éd., Yvon Blais, Cowansville, 2021 à la p. 200. |
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