Cet article rédigé en 2015 a été mis à jour en septembre 2025
De nouveaux règlements restrictifs en matière d’immigration sont à l’horizon, tant au niveau fédéral qu'au Québec. Ces dernières années, les politiques et les procédures d’immigration se sont déjà complexifiées, alourdissant le fardeau administratif des employeurs, et alimentant toute une industrie de services-conseils en recrutement et en immigration de travailleurs étrangers temporaires. Pourtant, plusieurs professionnelles et professionnels en ressources humaines parviennent à bien naviguer et de façon autonome dans cet environnement réglementaire, grâce à une planification et une gestion rigoureuses de l’immigration.
Les « intempéries » de l’immigration
Ces deux dernières années ont été marquées par des perturbations importantes en matière d’immigration : modifications des critères de sélection de plus en plus restrictifs pour réduire le nombre de travailleurs étrangers temporaires; délais de traitement et taux de refus inusités de permis de travail; réduction brusque du nombre d’étudiants internationaux et leur autorisation de travailler au Canada; croissance aiguë de demandes d’asiles; resserrement des critères de sélection et compressions dans les programmes économiques du Canada et du Québec; et une multiplication d’obstacles bureaucratiques et technologiques qui conduisent souvent à des expériences kafkaïennes.
Croissance exponentielle du fardeau administratif
L’impression que l’immigration devient de plus en plus compliquée est loin d’être illusoire. En dépit du Plan d’action pour la réduction du fardeau administratif du gouvernement fédéral, qui vise à mesurer et à réduire les exigences réglementaires imposées aux entreprises, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a réussi à gonfler ce fardeau administratif de 328 % en dix ans. Ce fardeau est mesuré en comptant le total des exigences réglementaires imposées aux entreprises. Pour IRCC, ce dénombrement est passé de 14 en 2014 à 60 en 2024.
Au Québec, contrairement à la pratique fédérale, la politique gouvernementale sur l’allègement réglementaire et administratif n’a aucune formule pour mesurer et juger les conséquences de ses règlements sur les entreprises. Le ministère de l’Immigration, de la Francisation, et de l’Intégration (MIFI) se contente de déclarer que les initiatives d’informatiser les formulaires en soi représentent une diminution du fardeau administratif, ce qui est loin d’être évident.
Un régime fédéral plus rigoureux
Au niveau fédéral, bureaucratie à part, les difficultés persistantes à adapter les politiques et procédures d’immigration aux flux migratoires réguliers et irréguliers ont conduit le gouvernement à déposer son projet de Loi visant une sécurité rigoureuse à la frontière.
Cette loi donnera des pouvoirs additionnels au gouvernement fédéral lui permettant de désigner rapidement des « classes » ou « catégories » de personnes susceptibles d’être assujetties à des procédures restrictives, voire rétroactives — notamment la suspension ou la révocation collective de statuts de résidence temporaire et permanente, ainsi que le blocage préventif de nouvelles demandes.
De tels pouvoirs risquent d’amplifier les incertitudes et les efforts liés au statut des étrangers, qui pourraient basculer rapidement en fonction des urgences liées à l’immigration au Canada, ainsi que des crises à notre frontière avec les États-Unis et ailleurs dans le monde.
Le Québec serre les vis aux immigrants
Du côté du Québec, la planification pluriannuelle en cours pour les années 2026-2029 prévoit une réduction d’entre 25 à 50 % des demandes de résidence permanente et de 13 % pour les demandes de résidence temporaire, par rapport à 2024.
De plus, un nouveau projet d’amendement du règlement d’immigration du Québec ajoutera entre autres des critères d’admissibilité au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) y compris des motifs additionnels de refus de traitement de dossier si l’employeur est sous le coup d’une sanction de l’Office québécoise de la langue française (OQLF) ou si le TET n’a pas un niveau 4 en français au moment d’une demande de renouvellement de permis de travail.
L’effet de ces réductions et de ces nouveaux critères risque d’alourdir les efforts des employeurs à embaucher la main-d’œuvre étrangère.
Travailleurs étrangers temporaires : faits étonnants
Lors de son lancement il y a dix ans, l’un des buts explicites du PTET était de décourager le recours à la main-d’œuvre étrangère en multipliant les exigences, en créant des conditions de plus en plus contraignantes, en se dotant d’un droit d’inspection sans mandat, et en imposant de lourdes sanctions aux employeurs non conformes.
Ce qui est étonnant, c’est que malgré l’alourdissement de la charge administrative, le PTET a connu une croissance aiguë au cours des dix dernières années, passant de 93 114 postes demandés dans des Études d’impact sur le marché du travail (EIMT) en 2015 à 246 126 postes demandés en 2024, soit une augmentation de 164 % en dix ans. En d’autres mots, les efforts du gouvernement fédéral pour réduire la dépendance au PTET en multipliant les obstacles ont eu l’effet inverse. De plus, le taux d’approbation des demandes d’EIMT est passé de 88,8 % en 2015 à 96,7 % en 2024.
Les détours autorisés
En dépit de tous ces obstacles liés au PTET, le gouvernement fédéral a mis en place un régime à part comme pour contourner le problème : création de volets spécialisés dans le PTET, assouplissement des critères pour attirer des talents considérés comme prioritaires, surtout pour des professions dans les secteurs des STIM et de la santé, et élargissement des exemptions d’EIMT dans le cadre du Programme de la mobilité internationale (PMI) ce qui a créé des possibilités additionnelles pour les employeurs cherchant à embaucher des travailleurs étrangers temporaires sans passer par le PTET.
Programme de la mobilité internationale (PMI)
Le nombre de permis de travail émis dans le cadre du PTET ne représente qu’environ 16 % de l’ensemble des permis de travail émis chaque année. La majorité des permis de travail sont en effet émis dans le cadre du PMI, ce qui permet d’obtenir un permis avec dispense d’EIMT.
Même avec tous ses prétendus allègements et un taux d’approbation assez élevé, IRCC a reconnu dans son rapport sur le Programme de la mobilité internationale en 2024 qu’il existait d’importantes lacunes notamment en raison du « (...) traitement inopportun des demandes, [et] le manque de compréhension par les intervenants des différentes dispenses de l’EIMT. »
En 2024, le Canada a traité 1 057 925 demandes de permis de travail dans le cadre du PMI, dont 950 250, soit 89 %, ont été approuvées. La très grande majorité était des permis de travail ouverts, c’est-à-dire non liés à un employeur.
Décortiquer les possibilités
Avec les réductions et les resserrements dans le PTET (augmentation des salaires médians, moratoires sur les postes à bas salaire), et avec une décroissance importante dans le nombre de permis de travail ouverts dans le PMI (surtout pour les étudiants internationaux), les employeurs doivent adopter une approche plus stratégique pour recruter des travailleurs étrangers. Voici quelques-unes de ces stratégies :
Adaptation du recrutement en fonction des dispenses d’EIMT
Le PMI compte une cinquantaine de dispenses d’EIMT. Tout employeur devrait se familiariser avec ces dispenses, qui pourraient faciliter le recrutement ou le transfert de travailleurs étrangers. Il est conseillé de cibler le recrutement en fonction des pays de citoyenneté dont le taux de refus des demandes de permis de travail est faible.
Dispense de l’EIMT, emploi réciproque (PMI, code C20)
Les employeurs ayant des activités à l’international pourront faire venir au Canada un certain nombre de leurs employés étrangers grâce au principe de l’emploi réciproque. Par exemple, une entreprise qui compte une dizaine d'employés canadiens en poste à l'étranger pourrait faire entrer un nombre similaire d'employés étrangers.
Dispense de l’EIMT, mobilité francophone à l’extérieur du Québec (PMI, code C16)
Pour les employeurs ayant des activités hors Québec, mais ailleurs au Canada, la dispense C16 permet d’embaucher un étranger seulement sur la base de sa connaissance du français (niveau 5 sur l’échelle des niveaux de compétence linguistique canadiens [NCLC]). Le nombre de permis de travail émis avec cette dispense a connu une croissance importante ailleurs au Canada.
Programme de l’expérience internationale du Canada (EIC)
Ce programme offre à des jeunes d’une trentaine de pays la possibilité de travailler avec un permis ouvert ou fermé, selon la catégorie. Les employeurs ont tout intérêt à profiter de la catégorie « Jeunes professionnels ». Le programme est soumis à un quota, mais celui-ci n’est pas souvent rempli et les critères d’admissibilité sont souples.
Programmes de résidence permanente
Le Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ) du Québec, et les différents programmes d’immigration économique des provinces et du gouvernement fédéral peuvent également faciliter l’embauche de travailleurs étrangers.
Le procéduralisme et les risques de refus
Les efforts du gouvernement pour réduire le nombre de résidents temporaires au Canada, y compris les travailleurs étrangers temporaires, ont conduit à une instrumentalisation accrue du procéduralisme. Les fonctionnaires utilisent les erreurs dans les formulaires et les documents pour rejeter les demandes, même si ces erreurs sont anodines.
Le pari d’IRCC est que malgré une hausse importante de refus, la très grande majorité de demandeurs n’aura pas recours aux tribunaux pour contester une décision négative. Pourtant, IRCC règle environ 90 % des demandes de contrôle judiciaire pour éviter de justifier ses mauvaises décisions devant la Cour fédérale.
Pour minimiser ces risques, il suffit d’avoir une bonne compréhension des exigences en matière de documentation et d’information.
Comment réduire vos coûts d’immigration
Il n’existe pas de solution unique ou simple à la gestion de l’immigration, mais tous les employeurs qui maîtrisent bien les risques et les coûts ont en commun la planification et la formation de leurs conseillères ou conseillers en ressources humaines.
La mise en place d'un système de gestion de l'immigration maison peut se faire à l'aide d'outils informatiques déjà en place, à faible coût. Un tel système permettra aux responsables des ressources humaines de mieux contrôler le traitement des dossiers et de suivre les échéances, tout en atténuant les risques.
Les éléments de base, comme la documentation à l’appui d’une demande, changent rarement. Le fait que des éléments comme les critères de sélection ou les processus puissent changer ne signifie pas dire que les employeurs doivent être à la merci des autorités.
L’avenir
L’antidote aux incertitudes en matière d’immigration est la planification stratégique. Les employeurs ont tout intérêt de préparer des plans stratégiques pour reconnaître les catégories du PMI et du PTET qui représentent les meilleures possibilités d’embaucher la main-d’œuvre étrangère, même si ces possibilités peuvent varier selon le secteur d’activité de l’employeur et selon les postes à combler. Malgré une certaine complexité avec les programmes d’immigration, beaucoup d’employeurs réussissent à réaliser des économies et un meilleur contrôle de leurs activités grâce à l’implantation de processus internes d’une gestion simple, mais saine.
10 pièges coûteux
- Ne pas avoir un plan d’immigration clair et détaillé avec échéanciers à court et long terme.
- Se laisser diriger par un fournisseur de services en immigration au lieu de gérer proactivement le fournisseur.
- Mal arrimer une demande d’EIMT ou une offre d’emploi PMI avec les qualifications du travailleur étranger temporaire.
- Modifier les conditions d’emploi (responsabilités principales, heures de travail, lieu de travail, salaire) après l’octroi du permis de travail, sans autorisation préalable.
- Mal documenter le processus de recrutement dans le cadre d’une demande d’EIMT.
- Ne pas donner suite à un plan de transition pour les postes à haut salaire.
- Croire que les infractions à la Loi sur les normes du travail ne peuvent pas avoir d’incidence sur l’accès aux programmes des travailleurs étrangers temporaires.
- Ne pas communiquer clairement les responsabilités en matière d’immigration aux gestionnaires qui supervisent des travailleurs étrangers temporaires.
- Fournir des conseils en matière d'immigration sans être autorisé par la loi à le faire.
- Ne pas s’assurer que le travailleur étranger temporaire ne compromet pas involontairement son statut au Canada.
5 recommandations pour minimiser les risques
- Mettez à jour vos politiques internes en matière d’immigration et de gouvernance.
- Adoptez une politique de mobilité internationale si vous avez des activités à l’international.
- Préparez des présentations d’immigration de type « PowerShot » (2 à 3 minutes), adaptées aux besoins des RH, des gestionnaires et des travailleurs étrangers.
- Standardisez vos outils de communication : gabarits (instructions, lettres types, biographies corporatives, etc.), listes de contrôle, échéanciers.
- Développez des processus adaptés à des scénarios précis : visites d’affaires, mutations intracompagnie, recrutement international, etc.
Que fait la concurrence?
Pour le savoir, consultez les demandes d’EIMT et le nombre de décisions positives et négatives par employeur sur https://ouvert.canada.ca (recherche : Programme des travailleurs étrangers temporaires [PTET] : employeurs ayant obtenu une étude d’impact sur le marché du travail [EIMT] positive – ou négative). Disponible pour le PTET seulement.
Timothy Morson, CRHA est consultant réglementé en immigration canadienne (CRIC) et un ancien directeur de l’immigration du Cirque du Soleil. Il a également travaillé comme gestionnaire à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ainsi qu’à Affaires mondiales Canada.
Sigles
PTET - Programme des travailleurs étrangers temporaires
EIMT- Étude d’impact sur le marché du travail
PMI - Programme de mobilité internationale
TET - Travailleur étranger temporaire
EDSC - Emploi et Développement social Canada
IRCC - Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada
ASFC - Agence des services frontaliers du Canada
MIFI - Ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec
2024 - Les 15 pays les plus importants
PMI Permis fermés :
16 455PMI Permis fermés :
8560PMI Permis fermés :
7120PMI Permis fermés :
3465PMI Permis fermés :
3005PMI Permis fermés :
2675PMI Permis fermés :
1630PMI Permis fermés :
1365PMI Permis fermés :
1355PMI Permis fermés :
1205PMI Permis fermés :
1130PMI Permis fermés :
995PMI Permis fermés :
940PMI Permis fermés :
890PMI Permis fermés :
755PTET Permis fermés :
41 875PTET Permis fermés :
22 980PTET Permis fermés :
21 420PTET Permis fermés :
12 750PTET Permis fermés :
9825PTET Permis fermés :
3475PTET Permis fermés :
2730PTET Permis fermés :
2530PTET Permis fermés :
2380PTET Permis fermés :
2245PTET Permis fermés :
1735PTET Permis fermés :
1500PTET Permis fermés :
1495PTET Permis fermés :
1140PTET Permis fermés :
980*Source : IRCC, Statistiques 2024
*Source : IRCC, Statistiques 2024
EIMTs par catégorie et nombre de positions, trimestre 2024 vs 2025
*Source : Gouvernement ouvert, Statistiques du PTET, EIMT Positives 2024T1-2025T1
Le Québec domine le Programme des travailleurs étrangers temporaires, malgré les restrictions imposées aux employeurs de Montréal et de Laval, mais il a perdu sa position dominante dans le cadre du Programme des talents mondiaux.
Avis - Ce contenu relève de la responsabilité de son auteur et ne reflète pas nécessairement la position officielle de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.