Le télétravail, largement favorisé par la pandémie de COVID-19, semble depuis quelque temps perdre des adeptes chez plusieurs employeurs. Bien qu’il ait apporté de la flexibilité et de nouvelles possibilités, le télétravail présente toutefois son lot de défis pour les employeurs dans la gestion et l’organisation de leur entreprise, dont les ressources humaines. En ce sens, bon nombre d’employeurs ont adopté dernièrement des politiques afin de restreindre la possibilité d’effectuer du télétravail et d’encourager un retour au bureau plusieurs jours par semaine.
Qu’en est-il alors des personnes salariées récalcitrantes qui refusent le retour au travail en présentiel? Comme nous le verrons, la détermination du lieu de travail relève du droit de gestion de l’employeur, et celui-ci peut imposer un retour physique au travail.
Le droit de gestion de l’employeur
Le Code civil du Québec[1] reconnaît à l’employeur un pouvoir de direction ou de contrôle sur la prestation de travail de la personne salariée. Cette subordination permet donc à l’employeur d’imposer, au moyen de son droit de gestion, des directives et un cadre de conduite à la personne salariée au sein de son organisation[2].
Ainsi, la détermination du lieu de travail où la personne salariée doit effectuer sa prestation de travail relève directement du droit de gestion de l’employeur. Il peut donc décider que la personne salariée doit effectuer l’ensemble de ses tâches en présentiel et qu’elle n’a pas la possibilité d’effectuer du travail à distance, c’est-à-dire en télétravail.
De plus, bien que la pandémie de COVID-19 et les règles sanitaires aient forcé de nombreux employeurs à permettre et même à obliger le télétravail, cette possibilité ne s’est pas transformée en droit acquis par la suite. À cet effet, il est primordial que l’employeur s’assure que les contrats de travail ou la convention collective ainsi que ses politiques internes soient adaptés afin d’encadrer efficacement la possibilité de recourir au télétravail et à l’obligation de travailler aux lieux déterminés par l’employeur.
La convention collective
Si l’employeur est lié par une convention collective prévoyant des dispositions spécifiques quant à la possibilité d’exécuter du travail à distance, il devra nécessairement les respecter. Il en est de même si une politique ou une lettre d’entente vient le contraindre à permettre le télétravail et limite ses droits à y mettre fin. Autrement, l’employeur conserve son droit de gestion relativement à l’organisation et à la détermination du lieu de travail ainsi que des politiques qu’il adopte pour l’encadrer. C’est ainsi qu’un arbitre a rejeté des griefs déposés en partie en raison de la modification d’une Directive sur le télétravail par l’employeur durant la pandémie.
Dans l’affaire Institut national de la santé publique c Syndicat des professionnelles et professionnels de la santé publique du Québec (SPPSPQ-CSQ)[3], l’arbitre rappelle que : « L’étendue des droits de direction ne varie pas selon la fréquence de leur utilisation ni le nombre de salariés qu’ils concernent, mais uniquement au gré des dispositions d’une convention collective. »[4] Ainsi, si rien dans la convention collective ne limite le droit de gestion de l’employeur sur cette question, il demeure libre d’user de sa discrétion dans l’adoption et la modification d’une politique encadrant le télétravail pour toutes les personnes salariées visées par la convention collective.
Le contrat de travail individuel
S’il ne s’agit pas d’une organisation syndiquée, le contrat de travail liant l’employeur et la personne salariée demeure alors la loi des parties, sous réserve de respecter les normes minimales de la Loi sur les normes du travail, laquelle est muette sur la question du télétravail. Ainsi, si l’employeur a prévu dans le contrat de travail des clauses spécifiques encadrant le télétravail, ou qu’il a adopté une politique à cet égard, il devra nécessairement s’y conformer. Autrement, l’employeur demeure libre d’exiger l’exécution du travail en présentiel en fonction du lieu qu’il détermine.
Le refus de travailler en présentiel
Si une personne salariée refuse d’exécuter son travail en présentiel conformément aux directives de son employeur, elle commet alors de l’insubordination[5]. À ce moment, l’imposition d’une mesure disciplinaire par l’employeur devient possible, pourvu qu’il soit en mesure de prouver le refus d’obtempérer ou de suivre une directive[6].
Dans un tel cas, la gradation des sanctions demeure le principe applicable. Ce principe, qui n’est pas d’application absolue, vise notamment la correction d’un comportement fautif de la personne salariée afin de l’amener à se réhabiliter[7]. L’employeur doit donc laisser savoir à la personne concernée que son comportement menace son lien d’emploi. En ce sens, le congédiement représentant la mesure disciplinaire ultime, le refus de travailler en présentiel ne peut généralement pas constituer une cause de congédiement immédiat.
En effet, dans une décision récente[8], le Tribunal administratif du travail (ci-après le « Tribunal ») conclut que l’employeur dispose effectivement d’un droit de gestion qui lui permet d’exiger le retour au travail et que le salarié récalcitrant commet une faute. Cependant, l’insubordination unique du salarié disposant d’un dossier disciplinaire vierge n’est pas de nature suffisamment grave pour justifier un congédiement immédiat. La gradation des sanctions demeure la règle.
Dans une autre affaire[9], le Tribunal reconnaît que le congédiement du salarié était justifié en fonction de son insubordination. Il a décidé de faire du télétravail pendant six jours, refusé d’obtempérer aux directives de son employeur et refusé de justifier une absence. En effet, l’employeur a avisé formellement le salarié de son insubordination par plusieurs avis, dont un avis final du président. Malgré ces avertissements, le salarié a continué d’effectuer des tâches à distance. Le Tribunal conclut qu’il s’agit d’un motif sérieux qui justifie le congédiement.
Il est également important de s’attarder aux conditions d’embauche. En effet, si une personne salariée a été embauchée alors que l’employeur lui a promis, sans toutefois l’inscrire dans le contrat de travail, la possibilité de travailler à distance, une telle personne salariée pourrait contester la demande de l’employeur qui exige son retour en présentiel. En effet, selon les circonstances et les conditions d’embauche, le fait d’exiger, par exemple, un retour en présentiel à temps plein pourrait constituer une modification substantielle des conditions de travail et donner lieu à un recours pour congédiement déguisé.
Conclusion
En résumé, dans un contexte où de plus en plus d’employeurs semblent enclins à imposer un retour au travail en présentiel et à délaisser totalement ou en partie la possibilité d’effectuer du télétravail, les personnes salariées récalcitrantes ou refusant ce retour pourraient craindre l’imposition de mesures disciplinaires en fonction du droit de gestion de l’employeur et du niveau d’insubordination.
Il faut cependant se référer au contrat de travail ou à la convention collective afin de s’assurer que l’exigence d’un retour en présentiel ne contrevient pas à une condition de travail négociée individuellement ou collectivement. Il faut aussi s’assurer, le cas échéant, de modifier les politiques internes en conséquence.
Il demeure toutefois dans l’intérêt des employeurs de présenter une certaine flexibilité sur les modalités et l’organisation du télétravail dans un contexte où la pénurie de main-d’œuvre de bien des domaines représente un défi important pour les entreprises du secteur privé et du secteur public. Ainsi, la possibilité de faire du télétravail à long terme peut représenter une condition de travail qui permettra d’attirer une candidature potentielle, au même titre qu’un régime d’avantages sociaux plus avantageux.
1 | RLRQ, c. CCQ-1991, article 2085. |
2 | Le droit du travail du Québec, R.P. Gagnon, 8e édition mise à jour par Langlois Kronström Desjardins, sous la direction de Y. Bernard, A. Sasseville et B. Cliche, 2022 EYB2022DDT11, par. 110. |
3 | Institut national de la santé publique c. Syndicat des professionnelles et professionnels de la santé publique du Québec (SPPSPQ-CSQ), 2023 CanLII 97988 (QC SAT). |
4 | Ibid., par. 68. |
5 | À moins de circonstances particulières qu’un décideur pourrait apprécier différemment, par exemple en cas de raisons médicales/limitations fonctionnelles. |
6 | Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs de travail, 2e édition, Linda Bernier, Guy Blanchet, Éric Séguin, 2024 EYB2024MDN835, par. 2.186. |
7 | Ibid., par. 3.005. |
8 | Drake c. Équipement Trans Continental ltée, 2023 QCTAT 1218 (CanLII). |
9 | Aveledo c. Poly Sleep inc., 2021 QCTAT 2296 (CanLII). |