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La liberté d’expression patronale protégée par la Cour supérieure : l’affaire CSN c. Domtar

Liberté d'expression patronale vs syndicale : une entreprise gagne le droit de rectifier des informations jugées incomplètes lors des négociations collectives. 
11 juin 2025
Me Mathieu Canuel

Pendant la négociation d’une nouvelle convention collective, il n’est pas rare que l’employeur considère les communications syndicales comme étant inexactes ou incomplètes. Naturellement, l’employeur peut vouloir corriger ces informations. Cependant, sa liberté d’expression est souvent limitée, car elle peut entrer en conflit avec la liberté d’association des employées et employés.

Dans ce qui semble être la fin d’une bataille juridique de plus de cinq ans entre le Syndicat des travailleurs des pâtes et papiers de Windsor inc. (syndicat affilié à la CSN) et Domtar inc., Usine de Windsor (Domtar), la Cour supérieure a confirmé une décision du Tribunal administratif du travail (TAT) protégeant la liberté d’expression de l’employeur[1].

Contexte

Le conflit a commencé lors des négociations pour le renouvellement de la convention collective, échue depuis avril 2019. Après 42 séances de négociation, Domtar a présenté une offre globale et finale en mars 2020, incluant des concessions importantes sur les régimes de retraite. Le syndicat a refusé de soumettre immédiatement l’offre à ses membres, invoquant l’interdiction de rassemblement due à la pandémie de COVID-19. Le syndicat a plutôt diffusé un communiqué (Info NÉGO) affirmant que l’employeur n’avait pas progressé sur certains enjeux, rendant un accord impossible. Estimant ce communiqué inexact et trompeur, Domtar a immédiatement envoyé une mise à jour directement au personnel salarié afin de rectifier les informations et en détaillant son offre globale. Le syndicat a alors déposé une plainte pour entrave aux activités syndicales.

Première décision du TAT

En juillet 2020, le TAT a rejeté la plainte du syndicat, concluant que la communication de Domtar visait à rectifier des informations incomplètes et non à entraver les activités syndicales[2]. Le TAT a souligné que l’employeur avait des raisons légitimes d’intervenir à ce stade des négociations et que la mise à jour envoyée au personnel salarié était conforme à l’état des négociations. Le Tribunal a également noté que la communication de Domtar n’avait pas affecté la cohésion syndicale, comme en témoignaient les réactions des membres sur Facebook, qui montraient plutôt un intérêt pour le contenu de l’offre qu’une division.

Deuxième décision du TAT

Insatisfait de la décision du TAT, le syndicat en a demandé la révision. Or, en mars 2021, le TAT a rejeté cette demande, confirmant que la décision initiale n’était entachée d’aucun vice de fond ou de procédure[3]. Le TAT a confirmé qu’à la lumière du contexte, il était possible de conclure que Domtar avait respecté les limites imposées par la jurisprudence sur le droit de l’employeur de communiquer avec le personnel salarié en période de négociation collective. Le TAT a également précisé qu’il était possible de conclure que la diffusion d’une partie des offres patronales, bien que normalement une prérogative syndicale, ne constituait pas, dans ce cas particulier, une ingérence ou une entrave aux activités syndicales.

Décision de la Cour supérieure

Toujours insatisfait, le syndicat s’est tourné vers la Cour supérieure. Or, en mars 2025, la Cour supérieure a confirmé les décisions du TAT[4]. Selon l’honorable juge Provencher, les décisions du TAT étaient raisonnables, justifiées, transparentes, intelligibles et faisaient partie des issues possibles applicables en regard des faits et du droit. Le juge souligne notamment que le TAT a bien appliqué les principes juridiques pertinents pour conclure à l’absence d’entrave, en tenant compte du contexte, du contenu et des conséquences de la communication patronale.

Quoi en retenir?

Cette série de décisions confirme que l’employeur conserve le droit de communiquer avec ses employées et employés même en période de négociation collective. Avant de conclure à une entrave patronale due à une communication, il est crucial de considérer le contexte, le contenu et les conséquences de celle-ci.

En somme, cette saga judiciaire démontre que l’équilibre entre la liberté d’expression de l’employeur et la liberté d’association des personnes salariées est parfois précaire, mais qu'il existe bel et bien.

Publié avec l'autorisation de Norton Rose Fulbright.

Cet article de Norton Rose Fullbright est publié à titre informatif uniquement et ne constitue pas un avis juridique ni une opinion.


Author
Me Mathieu Canuel Avocat Norton Rose Fulbright, S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Mathieu Canuel est avocat en droit de l'emploi et du travail au bureau de Montréal. À ce titre, il conseille et représente des employeurs de compétence provinciale et fédérale tant en milieux syndiqués que non syndiqués. Il s'intéresse à divers aspects du droit de l'emploi et du travail, notamment aux questions liées à l'embauche, à la cessation d'emploi, aux normes du travail, à la santé et à la sécurité au travail, aux droits et libertés de la personne ainsi qu'à l'interprétation et à l'application des contrats d'emploi et des conventions collectives.

Pendant ses études, M. Canuel a eu l'occasion de prendre part à plusieurs projets qui ont bonifié sa formation. Il a notamment agi à titre d'auxiliaire de recherche en droit administratif et constitutionnel pour certains professeurs de l'Université de Montréal, et dans le cadre d'un stage de plusieurs mois, il a également eu la chance d'agir à titre d'auxiliaire de recherche pour l'honorable juge Martin Vauclair de la Cour d'appel du Québec.

Depuis son entrée au service du cabinet, M. Canuel a notamment été détaché auprès du service juridique d'une entreprise d'envergure du secteur de la sécurité.

Source : VigieRT, juin 2025

1 Syndicat des travailleurs des pâtes et papiers de Windsor inc. (CSN) c. Domtar inc., Usine de Windsor, 2025 QCCS 690 ↩︎
2 Syndicat des travailleurs des pâtes et papiers de Windsor inc. (CSN) c. Domtar inc., Usine de Windsor, 2020 QCTAT 3043 ↩︎
3 Syndicat des travailleurs des pâtes et papiers de Windsor inc. (CSN) c. Domtar inc., Usine de Windsor, 2021 QCTAT 1393 ↩︎
4 Syndicat des travailleurs des pâtes et papiers de Windsor inc. (CSN) c. Domtar inc., Usine de Windsor, 2025 QCCS 690 ↩︎