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Surveillance électronique des employés : cadre légal et bonnes pratiques

Avec l’essor du télétravail, la surveillance électronique des employés est devenue une pratique courante. Cependant, elle doit être effectuée dans le respect des droits à la vie privée des employés, conformément au cadre légal en vigueur.
28 mai 2025
Me Marie-Gabrielle Bélanger, CRIA | Me Isabelle Bertrand, CRIA

La surveillance électronique des activités des employés à l’aide de divers outils est devenue une pratique courante dans les entreprises, particulièrement avec l’augmentation du télétravail, mais cette surveillance doit tout de même se faire dans le respect des droits à la vie privée. Cet article examine le cadre législatif qui régit la surveillance électronique des employés et propose des recommandations pour garantir qu’elle soit conforme et respectueuse.

Tout d’abord, les employés bénéficient d’une attente légitime de vie privée au travail garantie par la Charte canadienne des droits et libertés et le Code civil du Québec. Cette protection s’applique aussi en contexte professionnel, bien qu’elle varie selon les circonstances. Par exemple, un employé en télétravail à domicile jouit d’une expectative de vie privée plus élevée que celui présent physiquement au bureau. La Cour d’appel, dans l’arrêt Ville de Mascouche c. Houle[1], a d’ailleurs souligné qu’une maison est l’endroit où l’attente raisonnable de vie privée est la plus élevée, bien que cette attente puisse diminuer lorsque l’employé utilise du matériel appartenant à l’employeur.

Par ailleurs, les employeurs ont, quant à eux, le droit de surveiller les activités de leurs employés dans le cadre de leur pouvoir de surveillance et de gestion. Cette surveillance est permise si elle est justifiée et proportionnelle aux objectifs visés, tout en respectant les droits à la vie privée des employés. Les motifs légitimes pour surveiller un employé incluent notamment l’absentéisme, le vol de temps, le vol de biens, le harcèlement, la baisse de productivité et la sécurité.

Ces moyens de surveillance peuvent varier et comprennent plusieurs technologies et méthodes. Parmi les plus courantes, on trouve :

  • La surveillance des courriels et des communications électroniques : les employeurs peuvent surveiller les courriels professionnels envoyés et reçus par les employés pour s’assurer qu’ils respectent les politiques de l’entreprise. Elle peut inclure la vérification des pièces jointes et des destinataires.
  • Le suivi de l’utilisation d’Internet et des applications : les employeurs peuvent surveiller les sites web visités par les employés ainsi que l’utilisation des applications pour s’assurer qu’ils ne passent pas trop de temps sur des sites non liés au travail ou qu’ils n’accèdent pas à du contenu inapproprié.
  • La surveillance des appels téléphoniques : les appels téléphoniques professionnels peuvent être surveillés pour des raisons de qualité et de formation, ainsi que pour s’assurer que les employés respectent les politiques de l’entreprise.
  • La surveillance par GPS : les employeurs peuvent utiliser des systèmes de suivi par GPS pour surveiller les déplacements des employés, notamment ceux qui utilisent des véhicules de l’entreprise.
  • La surveillance par caméra : les caméras de sécurité peuvent être installées dans les locaux de l’entreprise pour surveiller les activités des employés et assurer leur sécurité.
  • Les logiciels de surveillance de la performance et du temps de travail : des logiciels spécialisés peuvent suivre les frappes au clavier, les mouvements de la souris, les temps d’inactivité et d’autres indicateurs de performance pour évaluer la productivité des employés.

Toute utilisation de moyens de surveillance doit respecter cinq critères établis par les tribunaux, notamment par la décision Eastmond c. Canadian Pacific Railway[2], et qui sont encore appliqués au Québec à ce jour. La surveillance doit donc être :

  • justifiée par des motifs sérieux;
  • liée aux tâches à accomplir;
  • fondée sur des preuves factuelles;
  • non arbitraire;
  • et proportionnelle.

Lorsqu’il utilise la surveillance électronique, l’employeur doit non seulement prouver que ces cinq critères sont respectés, mais également obtenir le consentement éclairé des employés pour justifier une telle surveillance. Notons que les outils de surveillance peuvent collecter des renseignements personnels, tels que des données médicales ou financières, et doivent donc être utilisés avec prudence.

Cette surveillance du travail des employés doit impérativement respecter leur vie privée, alors que la surveillance à distance des communications, des courriels, des consultations Internet ou d’autres contenus d’un ordinateur ou d’un téléphone d’un employé pourrait s’apparenter à une fouille.

Rappelons que la Cour suprême a confirmé que les fouilles au hasard sans motifs précis peuvent être jugées déraisonnables, sauf si un problème en milieu de travail persiste et que l’employeur a épuisé les autres moyens moins intrusifs de le résoudre[3].

À titre d’exemples : un simple soupçon ne permet pas à l’employeur de consulter l’ensemble des courriels d’un employé; des incidents de cybersécurité peuvent justifier la consultation de l’historique Internet, mais pas une surveillance vidéo par la webcam de l’employé.

Depuis le 22 septembre 2023, en vertu des nouvelles dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, l’employeur doit informer ses employés lorsqu’il utilise des technologies de surveillance permettant de les identifier, de les localiser ou de les profiler aux fins d’analyse de rendement du travail.

Il doit également informer ses employés des moyens offerts pour activer les fonctions permettant la surveillance du rendement au travail. L’employeur devra en outre informer l’employé :

  • Des fins pour lesquelles les renseignements sont recueillis;
  • Des moyens par lesquels les renseignements sont recueillis;
  • Des droits d’accès et de rectification prévus par la Loi;
  • De son droit de retirer son consentement à la communication ou à l’utilisation des renseignements recueillis;
  • Le cas échéant, du nom du tiers pour qui la collecte de renseignements est faite ou à qui ces renseignements seront communiqués.

De plus, sur demande de l’employé, l’employeur devra également pouvoir lui fournir les renseignements suivants :

  • Les renseignements personnels qui sont recueillis;
  • Les catégories de personnes qui y auront accès au sein de l’entreprise;
  • La durée de la conservation des renseignements;
  • Les coordonnées du responsable de l’accès à l’information.

Deux récentes affaires illustrent bien les limites et justifications de la surveillance électronique. Dans le cas du Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal et Ville de Montréal[4], la Ville utilisait le logiciel Graylog pour surveiller les activités Internet de ses employés. Ce logiciel produit un journal quotidien des consultations Internet et cible les utilisateurs les plus fréquents pour détecter les violations potentielles des politiques internes. Le critère de nécessité était satisfait, car la surveillance visait à protéger les données confidentielles et à réduire les risques d’attaques externes. La proportionnalité était également respectée, car seuls les 50 pires utilisateurs sur 22 000 étaient ciblés, et les rapports étaient générés 4 fois par année. Dans ce contexte, la Ville de Montréal ne portait pas atteinte au droit à la protection de la vie privée ni au droit à des conditions de travail justes et raisonnables de ses employés par l’utilisation d’un logiciel compilant de façon journalière des données générales et brutes sur la navigation Internet de ses employés pendant leurs heures de travail. Le tribunal a donc conclu que, en l’espèce, l’atteinte à la vie privée était minime et justifiée, alors que le logiciel ne compile que des données d’ordre général, totalement impersonnelles, anonymes et, de surcroît, noyées parmi celles concernant des milliers d’utilisateurs. La surveillance ne constituait pas une surveillance continue du travail, ne ciblait pas un groupe d’employés ni un employé en particulier, et ne visait que des données numériques partielles. Donc, même si une expectative de vie privée pouvait exister, l’atteinte à ce droit serait minime.

Dans l’affaire Syndicat des travailleurs de l’information de la presse c. La Presse[5], un photographe de La Presse a été suspendu et congédié pour avoir collaboré avec une autre entreprise, en violation de la convention collective. L’employeur avait consulté les courriels professionnels de l’employé pour prouver cette collaboration. Le tribunal a jugé que l’employeur avait des motifs raisonnables et rationnels pour cette surveillance, et que les droits de l’employé à la vie privée étaient respectés, alors que la consultation des courriels était justifiée par la nécessité de vérifier les allégations de collaboration non autorisée. Le tribunal a souligné que l’employeur avait élaboré une politique claire permettant la vérification des courriels et qu’elle n’avait pas été contestée. La surveillance était donc proportionnelle et non arbitraire, et les droits de l’employé à la vie privée étaient respectés dans ce contexte.

En conclusion, la surveillance électronique des employés doit être effectuée dans le respect des droits à la vie privée et des cadres légaux en vigueur. Les employeurs doivent mettre en place des politiques claires, informer les employés de manière transparente et s’assurer que toute surveillance est justifiée, proportionnelle et non arbitraire. En respectant ces principes, les entreprises peuvent protéger leurs intérêts tout en respectant les droits de leurs employés.

Agir en amont avec l’introduction d’une politique claire sur la surveillance et le télétravail peut contribuer à définir les attentes des employés et à encadrer les pratiques de surveillance, permettant ainsi d’éviter de possibles conséquences fâcheuses à la suite d’une surveillance qui serait illégale ou même le fait de devoir cesser l’utilisation d’un système de surveillance coûteux. Les éléments essentiels à inclure dans une telle politique comprennent : la définition des lieux autorisés pour le télétravail, l’établissement des paramètres de surveillance concernant l’horaire, la disponibilité et les moyens de surveillance utilisés, ainsi que l’obtention du consentement éclairé des employés sur les technologies de surveillance utilisées.


Author
Me Marie-Gabrielle Bélanger, CRIA Avocate, associée Fasken
Marie-Gabrielle Bélanger pratique le droit du travail et de l’emploi et traite de toutes les facettes de la relation d’emploi. Ayant développé une compétence particulière dans les dossiers de harcèlement psychologique, elle est parfois appelée à agir comme enquêtrice ou comme conseillère dans le traitement des plaintes, tant auprès d’entreprises de compétence provinciale que fédérale.

Elle fournit également des conseils sur divers aspects du droit du travail et de l’emploi, y compris les conventions collectives, les relations et les normes du travail, et la santé et la sécurité au travail. Marie‑Gabrielle représente des clients devant les tribunaux administratifs et civils dans des litiges en matière d’emploi impliquant l’imposition de mesures disciplinaires, les droits de gérance de l’employeur, l’absentéisme et le harcèlement psychologique. Dans les dernières années, les changements apportés au monde du travail l’ont amenée à développer sa connaissance des nouvelles méthodes de travail, dont le télétravail.

Author
Me Isabelle Bertrand, CRIA Avocate Fasken
Isabelle Bertrand est avocate au sein du groupe de Travail, emploi et droits de la personne à Montréal. Dans le cadre de sa pratique, Isabelle conseille et représente les clients dans les divers aspects relatifs au droit de l’emploi, que ce soit en matière de rapports collectifs ou individuels de travail, autant en matière de droit fédéral que de droit provincial pour des employeurs des secteurs privé ou public.

Plus particulièrement, Isabelle offre des conseils à des employeurs sur les enjeux qui touchent le capital humain : santé et sécurité au travail, embauche et cessation d’emploi, rédaction et interprétation des contrats de travail et politiques internes, traitement disciplinaire et gestion de la main-d’œuvre. Elle conseille également dans l'interprétation de conventions collectives, l'arbitrage de griefs et les droits et libertés de la personne.

Avant de devenir avocate, Isabelle a complété un baccalauréat en relations industrielles à l’Université de Montréal et elle a travaillé près de deux ans dans l’équipe des ressources humaines chez Fasken. Elle est membre de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés depuis 2022.

Source : VigieRT, mai 2025

1 Mascouche (Ville) c. Houle, 1999 QCCA 13256.
2 Eastmond c. Canadian Pacific Railway, [2004] CF 852.
3 Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, ltée, 2013 CSC 34, EYB 2013-223151, par. 28.
4 Syndicat des professionnelles et professionnels municipaux de Montréal et Ville de Montréal, 2020 QCTA 358.
5 Syndicat des travailleurs de l’information de la presse c. La Presse, 2021 CanLII 10825.