Dans la décision Morley c. Catelli Montréal inc.[1] (ci-après la « décision Morley »), le Tribunal administratif du travail (ci-après le « Tribunal ») conclut que le plaignant est une personne salariée au sens de la Loi sur les normes du travail[2] (ci-après la « LNT »). Il détient un statut de réfugié au Canada. Il n’est ni citoyen canadien, ni résident permanent. Il ne dispose pas d’un permis de travail valide, puisque son permis a expiré.
La nature du litige
Le Tribunal est saisi d’une plainte à l’encontre d’une pratique interdite déposée en vertu des articles 122 et 123 de la LNT. Le plaignant soutient qu’il a été congédié en raison de l’exercice du droit de s’absenter pour cause de maladie[3].
Demandant le rejet de la plainte, l’employeur soulève deux moyens préliminaires. D’une part, il soutient que le plaignant n’est pas une personne salariée au sens de la LNT, et ce, considérant l’absence d’un permis de travail valide. D’autre part, il allègue que le plaignant n’a pas exercé un droit prévu dans la LNT.
Le Tribunal rejette le moyen préliminaire de l’employeur relié au statut de salarié. Il conclut que le plaignant est une personne salariée au sens de la LNT, malgré l’absence d’un permis de travail valide. Toutefois, le Tribunal rejette la plainte, car il conclut que le plaignant n’a pas exercé un droit protégé par la LNT, ayant plutôt été incarcéré à la suite d’un verdict de non-responsabilité criminelle.
Les faits
Le 15 août 2022, l’employeur embauche le plaignant au poste d’opérateur d’emballeuse. Lors de l’embauche, le plaignant remet son numéro d’assurance sociale (ci-après le « NAS ») à l’employeur. Il constate à ce moment que le NAS est expiré. L’employeur s’interroge quant à la validité de son permis de travail, ce à quoi le plaignant répond qu’il y a un retard dans le traitement de son dossier à l’immigration. Le 7 septembre 2022, l’employeur le relance sans succès relativement à son permis de travail.
À compter du 5 octobre 2022, le plaignant s’absente du travail. À la suite d’un procès pour méfaits et voie de fait devant la Cour municipale, il est détenu dans un hôpital psychiatrique. Il en informe l’employeur.
Le 6 octobre 2022, l’employeur met fin à son emploi, au motif que le plaignant lui a menti sur son droit de travailler au Canada.
Le 17 octobre 2022, le plaignant informe l’employeur qu’il est désormais autorisé à retourner au travail, car il a obtenu des permissions de sortie de jour. L’employeur lui répond qu’il l’a remplacé vu les besoins de l’entreprise, l’incertitude sur la durée de son absence et le fait qu’il ait mentionné qu’il pourrait quitter le Canada.
Les motifs
Le Tribunal reconnaît que, selon l’ancienne jurisprudence, l’étranger sans permis de travail valide n’est pas une personne salariée au sens de la LNT, puisqu’aucun contrat d’emploi n’a pu être régulièrement formé[4].
Toutefois, le Tribunal retient que le contrat de travail, qu’il soit nul ou non, a produit des effets entre les parties et que le plaignant satisfait aux exigences prévues à la définition de « personne salariée » dans la LNT qui se lit comme suit :
« 1. Dans la présente loi, à moins que le contexte n’indique un sens différent, on entend par :
[…]
10° “personne salariée” : une personne qui travaille pour un employeur et qui a droit à un salaire; […] »
[Caractères gras ajoutés]
En effet, le plaignant a fourni une prestation de travail conforme aux instructions de l’employeur et a reçu une rémunération en contrepartie.
D’autre part, le Tribunal souligne le statut précaire du plaignant ainsi que le caractère social et d’ordre public de la LNT, qui implique une interprétation large et libérale de la notion de « personne salariée » :
« [16] Toutefois, il apparaît que la notion de personne salariée selon la LNT doit recevoir une interprétation large et libérale tout autant que celle de salarié au sens du Code du travail[11]. Il faut aussi tenir compte de l’état de vulnérabilité des personnes à statut précaire au Canada[12]. Par ailleurs, la LNT tout comme la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[13] revêt un important caractère social d’ordre public. Ainsi, dans le doute, il convient de privilégier une interprétation qui favorise l’exercice du droit de bénéficier des protections prévues à la LNT plutôt que leur négation[14]. »
[Caractères gras ajoutés]
Conclusion et commentaires
Cette décision s’inscrit dans une approche adoptée par les tribunaux selon laquelle, dans certaines circonstances, la validité et les effets du contrat de travail ne sont pas remis en question, même si la prestation de travail a été effectuée sans permis de travail valide[5]. Cette approche, qui fait l’objet d’une quasi-unanimité des autres tribunaux, a pourtant tardé à être appliquée en matière de rapports individuels du travail[6].
Dans la décision Morley, le Tribunal met l’accent sur le fait que le plaignant répond à la définition de « personne salariée » dans la LNT. En ce sens, nous sommes en présence d’une prestation de travail, d’une subordination et d’une rémunération en contrepartie. En effet, cette définition n’exige pas la présence d’un contrat de travail écrit ni d’un permis de travail valide. Par ailleurs, alors qu’il travaillait pour un autre employeur, dans le cadre d’un autre litige qui l’opposait cette fois-ci à son syndicat à la suite d’une plainte déposée en vertu de l’article 47.2 du Code du travail[7], le même plaignant s’est vu reconnaître le statut de salarié au sens du Code du travail malgré l’absence d’un permis de travail valide. Le Tribunal mentionne ce qui suit :
« [41] Si un travailleur sans permis de travail peut recevoir des prestations en vertu de la LATMP et un justiciable peut recevoir des prestations d’assurance-emploi[20], le Tribunal conclut qu’un salarié doit pouvoir compter sur son syndicat pour faire appliquer la convention collective qui régit ses relations avec son employeur.
[42] L’esprit du Code, loi à caractère social milite en faveur d’une interprétation libérale des dispositions du Code et du statut de salarié.
[43] Le plaignant est un salarié au sens du Code et ce moyen d’irrecevabilité est rejeté.[8] »
[Caractères gras ajoutés]
Il ressort de la décision Morley que l’absence d’un permis de travail valide ne constitue pas nécessairement un obstacle à la reconnaissance du statut de salarié au sens de la LNT. Certains facteurs doivent être pris en compte, dont notamment l’état de vulnérabilité de la personne ayant un statut précaire au Canada ainsi que le caractère social et d’ordre public de la LNT, qui commande une interprétation inclusive de la notion de « personne salariée ».
1 | 2024 QCTAT 4622. |
2 | RLRQ, c. N-1.1. |
3 | Art. 79.1 de la LNT. |
4 | Préc., note 1, par. 15. |
5 | Richard Alexandre LANIEL et Guillaume LAVOIE, « La validité du contrat de travail et l’absence de permis de travail régulier : vers une protection élargie pour les travailleurs migrants? », dans Barreau du Québec, Service de la formation continue, Développements récents en droit du travail (2020), vol. 475, Montréal (QC), Éditions Yvon Blais, p. 265. |
6 | Id., p. 283. |
7 | RLRQ, c. C -27. |
8 | Morley c. Syndicat des travailleurs et travailleuses d’Acier d’armature Ferneuf – CSN, 2023 QCTAT 613 (CanLII). |