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TCCL et lésions professionnelles : nouveau programme de prise en charge

L’auteure revient sur les critères qu’utilise le Tribunal pour ses prises de décisions et s’interroge sur les conséquences qu’aura le récent Programme de prise en charge du traumatisme craniocérébral léger et de la commotion cérébrale (TCCL/CC) au Québec
8 janvier 2025
Me Karine Dubois, CRIA

Depuis plusieurs années, le Tribunal administratif du travail se réfère généralement aux Orientations ministérielles pour le traumatisme craniocérébral léger 2005-2010[1] (ci-après les « Orientations ») afin de déterminer si un travailleur a subi une lésion professionnelle dont le diagnostic en est un de traumatisme craniocérébral léger (ci-après « TCCL »).

Ces Orientations prévoient que, pour conclure à la présence d’un TCCL, il faut pouvoir confirmer la présence d’un indicateur d’un dommage direct ou indirect cohérent avec les circonstances entourant l’apparition de la blessure et au moins un signe ou un symptôme parmi les critères diagnostics suivants :

  1. L’objectivation d’au moins un des éléments suivants :
  • une période d’altération de l’état de conscience (confusion ou désorientation);
  • une perte de conscience de moins de 30 minutes;
  • une amnésie post-traumatique de moins de 24 heures; ou
  • tout autre signe neurologique transitoire, comme un signe neurologique localisé, une convulsion ou une lésion intracrânienne ne nécessitant pas une intervention chirurgicale.
  1. Un résultat variant de 13 à 15 sur l’échelle de coma de Glasgow 30 minutes ou plus après l’accident, lors de l’évaluation à l’urgence.

Ces manifestations d’un TCCL ne doivent pas être dues à une intoxication à l’alcool, aux drogues illicites ou à la médication, ni être causées par d’autres blessures ou le traitement des autres blessures (lésions systémiques, faciales, intubation), ni résulter d’autres problèmes (traumatisme psychologique, barrière linguistique ou autres pathologies coexistantes chez l’individu), ni être causées par un TCC de nature pénétrante.

La décision récente Grobe et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Ouest-de-l’île-de-Montréal[2] fait partie des nombreuses décisions se basant sur les Orientations afin de déterminer si le diagnostic TCCL doit être retenu. Dans cette affaire, le Tribunal administratif du travail était notamment saisi d’une contestation par une travailleuse d’une décision relative au diagnostic et au lien de causalité. Cette dernière prétendait avoir subi un TCCL à la suite de la réception d’un ballon lancé par un enfant sur le côté droit du front. Le Bureau d’évaluation médicale avait conclu à un diagnostic de contusion crânienne, sans évidence de TCCL.

Au soutien de ses prétentions, la travailleuse alléguait qu’il fallait tenir compte de la mise à jour des connaissances sur le TCCL publiée en 2018 par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (ci-après « l’INESSS ») :

« Cette mise à jour reflète un important courant de recherches et de publications ayant vu le jour et qui a pris la forme de recommandations à la suite de la International Concensus Conference on Concussion in Sport, tenue à Zurich en 2012 et à Berlin en 2016. Toujours selon la représentante de la travailleuse, comparativement aux Orientations ministérielles, il faut tendre vers une approche plus inclusive et faire plus de place aux symptômes classiques d’un TCCL, notamment, les céphalées, les étourdissements, la sensibilité à la lumière, les problèmes de mémoire et de concentration. »

Le Tribunal écarte la mise à jour de l’INESSS au motif qu’elle constitue un document de travail en vue de la révision des Orientations ministérielles, révision qui n’avait pas encore eu lieu, et au motif qu’il n’y a pas encore consensus entre les experts.

Par conséquent, c’est en se basant sur les critères établis par les Orientations que le Tribunal est arrivé à la conclusion que la travailleuse n’avait pas subi de TCCL. En effet, en l’espèce, en plus de l’absence de signes externes visibles à la tête, la preuve démontrait que la travailleuse n’avait pas perdu connaissance, qu’elle n’avait pas souffert d’amnésie et que son état de vigilance ou de conscience n’avait pas été altéré. Le Tribunal en est donc arrivé à la conclusion que le diagnostic de TCCL ne pouvait être retenu.

En 2024, le ministère de la Santé et des Services sociaux a adopté le Programme de prise en charge du traumatisme craniocérébral léger et de la commotion cérébrale (TCCL/CC) au Québec (ci-après le « Programme »). On peut y lire ce qui suit dans l’introduction :

« […] en 2018, le MSSS a mis sur pied un comité consultatif dont le mandat était de proposer des modifications aux Orientations ministérielles en vigueur en vue de tirer profit de l’avancement des connaissances et de l’évolution du système de santé québécois. Cette démarche de mise à jour a donc été amorcée dans le but de répondre aux différentes difficultés tout au long du parcours de la prise en charge des personnes qui ont subi un TCCL/CC. […]

Le Programme de prise en charge du TCCL/CC propose une trajectoire de soins et de services qui soutiendra le RSSS dans le développement d’une offre de services intégrés, à l’image du continuum de services en traumatologie du Québec. Le but est d’optimiser les services, au bénéfice des personnes qui ont subi un TCCL/CC, tout en considérant que la structure de services actuels ainsi que l’organisation interne demeurent des facteurs clés de la fluidité des activités qui y sont réalisées. »

Le Programme prévoit deux catégories de personnes visées, soit :

  1. Celles ayant subi un TCCL avec les critères objectifs du Task Force (Orientations);
  2. Celles ayant subi une commotion cérébrale ou un TCCL sans les critères objectifs de celui-ci.

Le TCCL entrant dans la deuxième catégorie est celui impliquant un coup direct à la tête, au visage, au cou ou à toute autre partie du corps caractérisée par une impulsion transmise à la tête :

  • Chez qui l’on note l’apparition des signaux d’alerte et de symptômes compatibles avec un TCCL, soit le jour même de l’accident ou le lendemain;
  • Chez qui les critères objectifs du TCCL, selon le groupe de travail de l’OMS, sont absents ou ne peuvent être documentés.

Les signaux d’alerte et symptômes énumérés au Programme sont les suivants :

Symptômes fréquents

Signaux d’alerte

• Maux de tête

•Fatigue, troubles de sommeil

• Nausées

• Étourdissements, vertiges

• Sensation d’être au ralenti

•Problèmes de concentration ou de mémoire

• Vision embrouillée

• Sensibilité à la lumière ou aux bruits

• Émotivité inhabituelle (ex. : anxiété, irritabilité)

• Perte ou détérioration de l’état de conscience

• Confusion

• Vomissements répétés

• Convulsions

•Maux de tête qui augmentent

• Somnolence importante

•Difficulté à marcher, à parler ou à reconnaître les gens ou les lieux

• Vision double

•Agitation importante, pleurs excessifs

Compte tenu de cette publication récente, il y a lieu de se demander si le Tribunal modifiera son approche afin de décider du diagnostic qui sera retenu dans le cadre d’une lésion professionnelle impliquant un coup direct à la tête, au visage, au cou ou à toute autre partie du corps caractérisée par une impulsion transmise à la tête, et ce, en l’absence des critères diagnostics prévus aux Orientations. Est-ce que les décideurs arriveront à la conclusion, tout comme l’a fait le Tribunal dans l’affaire Grobe à l’égard de la mise à jour de l’INESSS, que ce Programme ne modifie pas les Orientations et qu’elles doivent continuer à être le cadre de référence? Ou est-ce que la simple allégation de certains symptômes dans les 48 heures de l’évènement, sans que les critères objectifs des Orientations ne soient rencontrés, permettra qu’un diagnostic de TCCL en lien avec l’évènement soit retenu?

À ce jour, le Tribunal n’a rendu aucune décision à ce sujet. Il sera donc intéressant de demeurer à l’affût de nouvelles décisions en matière de TCCL afin de déterminer l’impact du Programme sur les dossiers de lésions professionnelles.

Le présent texte ne constitue pas un avis juridique de son auteure ni de Morency Société d’avocats et son contenu ne saurait engager leur responsabilité.


Author
Me Karine Dubois, CRIA Avocate, associée Morency Société d'avocats
Karine Dubois s’est jointe à notre équipe en 2021. Depuis son admission au Barreau en 2000, elle conseille et représente des employeurs en matière de santé et de sécurité au travail et de relations de travail.
Elle œuvre majoritairement auprès d’entités liées à l’éducation et de mutuelles de prévention, mais aussi auprès de municipalités, d’organismes de la santé et d’entreprises privées.
Elle offre du support aux gestionnaires aux prises avec des problèmes liés à la gestion des dossiers de santé et sécurité au travail et aux relations de travail.

Karine plaide régulièrement devant les tribunaux administratifs et civils liés à ces champs de pratique. Elle conseille aussi les employeurs dans le cadre de conflits de travail et a plaidé des injonctions et outrages au tribunal lors de tels conflits. Elle a également une expérience relativement aux services essentiels.
Elle conseille et représente également des employeurs en matière pénale, essentiellement en lien avec des plaintes en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Karine donne fréquemment des formations à sa clientèle et agit à titre de conférencière invitée.

Source : VigieRT, janvier 2025

1 Marcotte, Anne-Claire et Gadoury, Michelle, Orientations ministérielles pour le traumatisme craniocérébral léger 2005-2010, Québec, ministère de la Santé et des Services sociaux/Société de l’assurance automobile du Québec, 2005.
2 2023 QCTAT 776.