Bien que certains y soient allergiques, l’arrivée de l’hiver en réjouit beaucoup. Sorties familiales en plein air, activités sportives et bien d’autres plaisirs sont autant de bonnes raisons de mettre le nez dehors.
Toutefois, la saison froide peut engendrer des inconvénients pour plusieurs entreprises et pour leurs gestionnaires : augmentation des retards et de l’absentéisme, diminution de la charge de travail, voire cessation temporaire des activités en raison de difficultés d’approvisionnement, etc. S’ajoutent à cette liste certains risques reliés à la santé et à la sécurité des personnes salariées.
En cas de retard ou d’absence, le gros bon sens!
Les absences et les retards dus aux intempéries (verglas, tempête de neige, etc.) sont monnaie courante et font partie du quotidien de bien des entreprises. Un employeur est-il justifié d’imposer une mesure disciplinaire à une personne absente ou en retard pour un tel motif? La réponse à cette question découle de la règle bien établie en matière de relations du travail, soit celle du gros bon sens!
À cet égard, une analyse de la jurisprudence révèle que les critères suivants sont considérés afin de déterminer si l’employeur était justifié d’imposer une mesure disciplinaire à la personne en retard ou absente en raison d’une tempête de neige ou de mauvaises conditions climatiques :
- conditions météorologiques;
- efforts faits par l’employé pour se rendre au travail;
- existence de solutions alternatives (le transport en commun par exemple);
- fonctions occupées par le salarié;
- conséquences du retard ou de l’absence sur le fonctionnement de l’entreprise.
Si chaque cas est un cas d’espèce et doit être analysé selon ses particularités, il ne fait cependant aucun doute qu’il peut s’agir d’un motif tout à fait légitime d’imposer une mesure disciplinaire à une personne salariée. En outre, il est parfaitement raisonnable d’exiger qu’une personne salariée quitte son domicile plus tôt qu’à l’habitude afin d’être à l’heure au travail en cas de mauvaises conditions météorologiques. La personne salariée a également l’obligation d’informer rapidement son employeur de son retard ou de son absence, afin de limiter tout inconvénient. Finalement, et comme cela devrait être toujours le cas en matière disciplinaire, la cohérence et la constance dans l’imposition de mesures disciplinaires sont de mise afin d’éviter un sentiment d’iniquité parmi les personnes salariées. La décision d’imposer ou non une mesure disciplinaire ne devrait en aucun cas dépendre de l’identité de la personne concernée.
Pour assurer cette constance décisionnelle, et si les circonstances au sein de l’entreprise le justifient, certains employeurs adoptent une politique sur les retards et absences, notamment en cas d’intempéries. Une telle politique énonce généralement les attentes de l’employeur et les conséquences du défaut de suivre les règles qui y sont ¬prévues. Cette politique peut s’avérer utile pour justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire, la personne salariée étant bien avertie des attentes de son employeur.
Payer les personnes salariées ou pas?
L’essence même du contrat de travail implique le versement d’un salaire en contrepartie d’une prestation de travail. Autrement, l’employeur n’a pas à verser de salaire. Ce principe général doit toutefois être nuancé si les personnes salariées sont déjà au travail ou doivent demeurer disponibles. En effet, dans pareille situation, la Loi sur les normes du travail (« LNT ») oblige l’employeur à verser une indemnité égale à trois heures de salaire à l’employé qui travaille moins de trois heures, si celui-ci s’est présenté sur les lieux de travail ou encore s’il devait demeurer disponible pour travailler et qu’il était déjà sur les lieux de son travail.
Suivant les termes de la LNT, l’employeur n’est toutefois pas tenu de respecter cette obligation en cas de « force majeure ». Pour être ainsi qualifié, un événement doit répondre aux critères d’irrésistibilité et d’imprévisibilité. À titre d’exemple, les tribunaux québécois ont reconnu que la crise du verglas de 1998 remplissait ces critères. À l’inverse, il y a de fortes chances pour qu’une simple tempête de neige ne soit pas considérée comme un événement « imprévisible », compte tenu du climat québécois.
En milieu syndiqué, les mêmes règles s’appliquent, en suivant toutefois les termes de la convention collective. À titre d’exemple, les parties peuvent avoir adopté leur propre définition d’une « force majeure » ou avoir prévu les conséquences salariales d’une fermeture temporaire. Rappelons toutefois que tout article de la convention collective qui aurait pour effet d’accorder aux personnes salariées moins que le minimum prévu à la LNT est réputé non écrit puisqu’il serait contraire à l’ordre public.
Et la santé et sécurité au travail dans tout ça?
Au Québec, la Loi sur la santé et la sécurité du travail stipule que tout employeur a l’obligation de prendre les mesures appropriées afin de protéger la santé et la sécurité des personnes à son emploi et prévoit des peines sévères pour tout employeur qui contreviendrait à cette obligation.
Durant la saison hivernale, tout employeur doit être particulièrement vigilant afin de ne pas exposer son personnel à des situations dangereuses. À titre d’exemple, l’employeur qui exigerait le déplacement d’une ou d’un employé lorsque les conditions routières sont dangereuses pourrait voir sa responsabilité engagée. Si l’on se fie aux récentes statistiques de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail, les risques associés à la conduite en hiver doivent être pris au sérieux : de 2019 à 2023, 55 travailleuses et travailleurs sont décédés à la suite d’un accident de la route.
Face à ces défis, l'adoption du télétravail, balisée par une Politique de télétravail ou une Politique sur les retards et absences, se présente comme une solution avantageuse lorsqu’applicable, permettant de maintenir la productivité tout en assurant la sécurité des employées et employés lors de situations climatiques extrêmes ou exceptionnelles. Ce type de politique devra évidemment être élaborée en tenant compte des obligations légales de l'employeur en matière de santé et de sécurité.
En outre, tout employeur soucieux d’assurer la santé et la sécurité de son personnel doit tenir compte des conditions de froid intense qui peuvent survenir ainsi que de l’inadaptation aux conditions climatiques de ses équipements et de ses méthodes de travail.
D’autre part, la surcharge de travail et les heures supplémentaires durant l’hiver sont un autre aspect à considérer. En effet, pour plusieurs employeurs, cette période ne présente pas un risque de ralentissement de leurs activités, car leurs employées et employés sont davantage mis à contribution en cas de mauvais temps. Pensons par exemple aux cols bleus à l’emploi des municipalités, aux services d’incendie et de police ainsi qu’à toute autre entreprise susceptible de voir son volume de travail augmenter durant la saison hivernale.
À ce sujet, rappelons que la LNT prévoit qu’une personne salariée peut refuser de travailler dans les situations suivantes :
- plus de quatre heures au-delà de ses heures habituelles quotidiennes de travail;
- plus de quatorze heures par période de vingt-quatre heures ou plus de douze heures par période de vingt-quatre heures pour une personne salariée dont les heures de travail sont variables ou effectuées de manière non continue.
Toutefois, ces « droits de refus » ne peuvent s’appliquer lorsqu’il y a danger pour la vie, la santé ou la sécurité des travailleurs ou de la population, en cas de risque de détérioration grave de biens meubles et immeubles et en cas de force majeure.
L’employeur qui désire se prévaloir d’une ou de plusieurs de ces exceptions afin d’exiger la présence de son personnel au-delà des périodes prévues à la LNT doit tout de même s’assurer qu’il ne met pas en jeu leur santé et leur sécurité.
Comme on peut le constater, l’arrivée de l’hiver pose des défis particuliers aux gestionnaires des ressources humaines. Pour les relever sans problème, certaines erreurs ou certains pièges doivent être évités tels que le manque de constance dans l’imposition de mesures disciplinaires pour retard et absence dus aux intempéries, le défaut d’informer diligemment les personnes salariées que leur présence n’est pas requise en cas de ralentissement des activités et l’exigence d’heures supplémentaires sans tenir compte de leur capacité à travailler.
Droits et obligations de l’employeur en cas de catastrophe naturelle |
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Alexis Charpentier, CRIA, est avocat et associé et Jade Paquin-Robidoux est avocate chez Fasken