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Biométrie en milieu de travail : enjeux et cadre juridique au Québec

La collecte de données biométriques connaît une hausse marquée de 59 % dans les entreprises québécoises. Découvrez les obligations légales entourant cette pratique émergente. 
22 janvier 2025
Me Natalie Bussière | Me Florence Bourque

L’utilisation des données biométriques en milieu de travail suscite un intérêt croissant de la part des employeurs. En effet, dans son Rapport annuel d’activités et de gestion 2023-2024, la Commission d’accès à l’information (la « CAI ») indique qu’elle a reçu 124 déclarations de collecte de données biométriques, ce qui représente une augmentation de 59 % par rapport à l’année 2022-2023.

Ces technologies, qui incluent des outils recueillant des données telles les empreintes digitales, la forme de la main ainsi que la reconnaissance faciale et vocale, permettent d’améliorer la sécurité et l’efficacité des processus de gestion des ressources humaines. Afin d’encadrer l’utilisation de ces technologies, la législation en vigueur au Québec requiert que les employeurs respectent certaines obligations spécifiques qui visent à protéger la vie privée des employés et démontrent qu’ils poursuivent des objectifs légitimes dans le cadre de l’utilisation de ces technologies.

Les données biométriques, en tant que renseignements personnels sensibles, sont assujetties aux lois sur la protection des renseignements personnels, tant dans le secteur public que privé, quel que soit le but pour lequel elles sont utilisées. Ces données, qui présentent des caractéristiques distinctives et des identifiants uniques, sont considérées comme des renseignements intimes et doivent être traitées avec précaution.

Notification préalable à la Commission d’accès à l’information

L’employeur est tenu d’aviser la CAI au moins 60 jours avant de procéder à une collecte de données biométriques.

Évaluation de la nécessité de la collecte

Par ailleurs, l’employeur doit également évaluer la nécessité de recueillir des renseignements biométriques. En effet, selon la législation applicable, cette collecte doit avoir pour but de résoudre une problématique concrète et poursuivre un objectif légitime, important et réel. Voici quelques questions qui permettent de guider cette réflexion :

  • Quelle est la raison de la collecte des données biométriques?
  • Quel est le but de l’utilisation de la biométrie?
  • Y a-t-il une problématique documentée qui justifie cette collecte?

La simple commodité ou l’aspect pratique de l’utilisation de ces données ne constitue pas, selon la CAI, une justification valable.

Respect de la vie privée des employés

Le risque d’intrusion dans la vie privée des employés doit aussi être considéré. Selon la CAI, l’employeur doit explorer d’autres moyens de résoudre la problématique identifiée sans recourir à la biométrie. Le fait que l’employé consente à la collecte et à l’utilisation de données biométriques ne permet pas à l’employeur d’utiliser ces renseignements en l’absence d’une justification appropriée. Selon la CAI, ce consentement doit aussi être manifeste, exprès, libre, éclairé, spécifique et limité dans le temps. Un autre moyen de collecte doit être mis en place pour les employés qui refusent l’utilisation de la biométrie.

Protection des renseignements et accès des employés

L’employeur a la responsabilité de mettre en place des mesures pour protéger les renseignements biométriques recueillis. Lorsque ces données ne sont plus utiles, elles doivent être détruites de manière sécurisée. Les employés doivent également avoir la possibilité d’accéder à leurs renseignements personnels et de demander des corrections, si nécessaire.

L’utilisation des données biométriques en milieu de travail présente des avantages indéniables pour améliorer la sécurité et l’efficacité au travail. Cette pratique est encadrée par un cadre juridique strict qui vise à protéger les renseignements personnels des employés. En respectant les exigences de notification, en évaluant soigneusement la nécessité de la collecte et en veillant à la protection des données, les employeurs peuvent tirer parti des avantages de la biométrie.

Modification législative

La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (la « Loi ») autorise les organisations à anonymiser des renseignements personnels lorsque les fins pour lesquelles ils ont été recueillis ou utilisés sont légitimes. Un renseignement est considéré comme étant anonymisé lorsqu’il est « en tout temps, raisonnable de prévoir dans les circonstances qu’il ne permet plus, de façon irréversible, d’identifier directement ou indirectement » une personne. L’organisation doit anonymiser les renseignements suivant les « meilleures pratiques généralement reconnues » et « selon les critères et modalités déterminés par règlement ».

Par ailleurs, le Règlement sur l’anonymisation des renseignements personnels (le « Règlement »), qui est entré en vigueur le 30 mai 2024, définit les critères et les modalités du processus d’anonymisation des renseignements personnels au Québec. L’article 9 du Règlement, qui introduira des dispositions supplémentaires quant à l’anonymisation des renseignements personnels, prendra effet le 1er janvier 2025. Cet article prévoit que toute organisation qui anonymise des renseignements personnels doit consigner les éléments suivants dans un registre :

  1. une description des renseignements personnels qui ont été anonymisés;
  2. les fins pour lesquelles l’organisation entend utiliser ces renseignements anonymisés;
  3. les techniques d’anonymisation utilisées;
  4. les mesures de protection et de sécurité établies;
  5. la date à laquelle l’analyse des risques de réidentification a été complétée ainsi que toute date à laquelle sa mise à jour a été effectuée.

Il ne fait aucun doute que la biométrie gagnera en importance au cours des prochaines années. Les employeurs pourront, à l’intérieur des paramètres prévus aux lois applicables, mettre en place des systèmes qui améliorent réellement la sécurité et l’efficacité au travail.

Publié avec l'autorisation de Blakes

Cet article de Blakes est publié à titre informatif uniquement et ne constitue pas un avis juridique ni une opinion sur un quelconque sujet.


Author
Me Natalie Bussière Associée, Avocate Blakes
La pratique de Natalie est consacrée au droit du travail et de l’emploi, ainsi qu’aux régimes de retraite, aux avantages sociaux et à la rémunération des dirigeants. Elle a représenté des clients dans le cadre de litiges concernant l’excédent d’actifs d’un régime de retraite, la validité de la suspension par un employeur de sa part de cotisations à un régime de retraite ainsi que la légalité de certaines dispositions contenues dans les règles et règlements de régimes de retraite. Natalie agit aussi comme conseillère juridique auprès de conseils de fiduciaire et conseils d’administration, de comités de retraite et de promoteurs de régimes. Elle est en outre la conseillère juridique pour le Québec de quelques régimes de retraite interentreprises.

Natalie a beaucoup travaillé dans le domaine des relations de travail et a négocié des contrats d'emploi, des conventions collectives ainsi que d'autres ententes sur divers sujets, en lien notamment avec l'application de la Charte des droits et libertés de la personne. Elle fournit également des conseils sur la mutation, l'embauche ou la cessation d'emploi de cadres supérieurs et d'employés.

De plus, Natalie suit de près les développements portant sur les facteurs ESG (environnementaux, sociaux et gouvernance), notamment en ce qui a trait aux relations avec les employées et la gestion des avantages sociaux, et conseille les clients à cet égard.

Natalie a plaidé devant la Cour suprême du Canada, la Cour d'appel, la Cour supérieure, la Cour fédérale et le Tribunal du travail ainsi que devant diverses instances administratives spécialisées.

Elle siège au conseil du Théâtre Petit à Petit, dont la mission est de créer de nouvelles oeuvres, et au conseil de l’Université de Montréal.

Natalie est membre du Cercle Forces Femmes, une initiative du Musée des beaux-arts de Montréal visant à soutenir la présence des femmes au Musée grâce à l’acquisition d’oeuvres d’art créées par des femmes, de même qu’à ouvrir les portes du Musée aux femmes défavorisées.

Author
Me Florence Bourque Avocate Blakes
La pratique de Florence touche à divers aspects du droit travail et de l’emploi. Elle conseille les employeurs dans le cadre de l’embauche et de la fin d’emploi d’employés, ainsi que de l’élaboration, de la mise en œuvre et de la conformité de politiques en matière d’emploi. Elle conseille également les clients sur diverses questions liées aux normes du travail.

De plus, Florence participe à la vérification diligente dans le cadre d’opérations commerciales.

Florence parle couramment le français et l’anglais.

Source : VigieRT, janvier 2025