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Licenciements collectifs : rappel des règles applicables

À la lumière du contexte économique actuel, des licenciements collectifs sont à prévoir. Nous vous proposons un rappel des principales règles applicables aux employeurs qui ont des activités au Québec, qu’ils soient de juridiction provinciale ou fédérale.
20 mars 2024
Me Amélie Guillemette | Me Alexandre Boisjoly-Rivest, CRHA

Les règles applicables aux employeurs de juridiction provinciale

La définition d’un licenciement collectif

Au Québec, il est question de licenciement collectif lorsqu’un employeur met fin à l’emploi ou met à pied pour une période de plus de six (6) mois au moins dix (10) salariés[1],[2] d’un même établissement au cours d’une période de deux (2) mois consécutifs[3].

La mise à pied prévue initialement pour une durée inférieure à six (6) mois, mais qui a une durée effective de six (6) mois ou plus, constituera un licenciement. Il rétroagira à la date de la mise à pied des salariés.

La Loi sur les normes du travail (LNT) prévoit plusieurs situations où une personne ne doit pas être considérée comme un salarié aux fins de ce calcul[4]. On retrouve notamment parmi ces cas d’exception : les salariés cumulant moins de trois (3) mois de service continu, les salariés dont le contrat à durée déterminée est arrivé à échéance et les salariés dont l’emploi a été terminé à la suite d’une faute grave.

Par ailleurs, il est pertinent de rappeler que les dispositions de la LNT portant sur le licenciement collectif ne s’appliquent pas dans les trois (3) cas suivants[5] : 1) la mise à pied de salariés pour une durée indéterminée, mais effectivement inférieure à six (6) mois, 2) les terminaisons d’emploi qui ont lieu à un établissement dont les activités sont saisonnières ou intermittentes et 3) la survenance d’une grève ou d’un lock-out au sens du Code du travail[6].

L’obligation de transmettre un avis au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, à la CNESST et aux syndicats (le cas échéant)

Avant de procéder à un licenciement collectif, l’employeur doit transmettre un avis au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale dans les délais minimaux prévus par la LNT[7]. Ces délais varient en fonction du nombre de salariés licenciés :

Nombre de salariés

Durée de l’avis

10 à 99

8 semaines

100 à 299

12 semaines

300 et plus

16 semaines

En cas de force majeure ou lorsqu’un événement imprévu empêche un employeur de respecter les délais, ce dernier doit transmettre l’avis dès qu’il est en mesure de le faire[8].

Une copie de cet avis doit être transmise à la CNESST ainsi qu’aux syndicats représentant les salariés visés (le cas échéant)[9]. L’employeur doit, au surplus, afficher cet avis dans un endroit visible et facilement accessible dans l’établissement concerné[10].

Pouvoirs du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale

Lorsque le nombre de salariés visés est de 50 salariés ou plus, le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale peut exiger la mise en place d’un comité d’aide au reclassement[11].

La gestion des mises à pied qui devaient initialement durer moins de six (6) mois, mais qui ont une durée effective de six (6) mois ou plus

L’obligation de l’employeur de prévoir la durée des mises à pied est continue. En effet, dès que l’employeur a en mains les informations ou les données lui permettant de conclure qu’il est « éminemment probable sinon inévitable »[12] que les salariés ne seront pas rappelés à l’intérieur des six (6) mois du début de la mise à pied, la jurisprudence exige qu’un avis soit transmis au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

Les risques rattachés au non-respect de cette obligation

En plus de commettre une infraction pénale passible d’une amende de 1 500 $ par semaine en défaut[13], l’employeur qui omet de transmettre l’avis au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale dans les délais requis ou qui donne un avis d’une durée insuffisante est, en principe, tenu de verser à chaque salarié visé une indemnité équivalente à son salaire habituel pour la durée ou la durée restante de l’avis qui aurait dû être donné[14].

L’obligation de transmettre un avis de licenciement individuel à chacun des salariés visés

La transmission d’un avis au ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale ne dispense pas l’employeur de son obligation de transmettre un avis à chaque salarié visé, comme il le ferait dans le cadre d’un licenciement individuel[15]. Cette obligation s’applique tant dans un cas de fin d’emploi que dans un cas de mise à pied de plus de six (6) mois[16]. La durée du préavis varie en fonction du nombre d’années de service continu du salarié. Cet avis doit absolument être transmis par écrit pour être valide.

À défaut de donner un avis ou un avis d’une durée suffisante, l’employeur doit verser au salarié une indemnité équivalente à son salaire habituel pour la durée ou la durée restante de l’avis qui aurait dû être donné[17].  

Absence de cumul des indemnités

Un salarié ne peut cumuler l’indemnité qui tient lieu d’avis de licenciement collectif avec l’indemnité qui tient lieu d’avis de licenciement individuel. Toutefois, il a droit à la plus avantageuse des deux[18].

Les règles applicables aux employeurs de juridiction fédérale

En vertu du Code canadien du travail[19] (CCT), il est question de licenciement collectif lorsqu’un employeur met fin à l’emploi ou, sous réserve de plusieurs cas d’exceptions[20], met à pied 50 employés[21] ou plus d’un même établissement sur une période de quatre (4) semaines[22].

Les employés saisonniers et les employés occasionnels engagés en vertu d’une entente selon laquelle ces derniers sont libres d’accepter ou non de travailler lorsqu’on leur demande de le faire ne doivent pas être considérés dans ce calcul[23].

La notion d’établissement est définie d’une façon bien particulière dans la législation. Sont désignés « établissements » dans la définition du « licenciement collectif » les « succursales, sections et divisions d’une entreprise fédérale qui sont situées dans une région géographique identifiée »[24]. Plusieurs adresses civiques peuvent donc être visées par le même décompte du « 50 employés ou plus ».

L’obligation de transmettre un avis au chef de la conformité et de l’application du Programme du travail, au ministre de l’Emploi et du Développement social, à la Commission de l’assurance-emploi du Canada et aux syndicats (le cas échéant)

Au moins 16 semaines avant la date du premier licenciement prévu, l’employeur doit transmettre au chef de la conformité et de l’application du Programme du travail[25] un avis par écrit[26].

L’employeur doit au surplus transmettre une copie de cet avis au ministre de l’Emploi et du Développement social[27], à la Commission de l’assurance-emploi du Canada et aux syndicats représentant les employés visés[28]. Dans un contexte non syndiqué, l’employeur doit (en remplacement de l’obligation de soumettre un avis aux syndicats) soit remettre une copie de l’avis directement aux employés visés ou l’afficher dans un endroit bien en vue à l’intérieur de l’établissement où ceux-ci travaillent[29].

En date de la publication de ce billet, aucune disposition du CCT portant sur le licenciement collectif ne prévoit le paiement d’une indemnité en lieu et place du préavis de licenciement collectif donné conformément au CCT. Cet état de fait sera appelé à changer lorsque les articles 479 et 480 de la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018[30] entreront en vigueur[31]. Ces deux articles prévoient, entre autres, les modifications suivantes :

  • Les employés visés par un licenciement collectif qui sont licenciés pendant la période de 16 semaines auront droit à un préavis d’au moins huit (8) semaines ou à une indemnité en tenant lieu dont le montant peut être de plus de huit (8) semaines s’il reste plus de huit (8) semaines avant l’échéance de l’avis de licenciement collectif[32].
  • Le délai de l’avis de licenciement collectif sera réduit à 48 heures dans les cas où 50 employés et plus sont licenciés à une même date et que l’employeur leur paie à tous une indemnité de 16 semaines de salaire[33].

Les autres obligations de l’employeur dans un contexte de licenciement collectif

Les employeurs doivent, en sus de transmettre un avis de licenciement collectif :

  • coopérer avec la Commission de l’assurance-emploi du Canada en lui transmettant les documents qui seront demandés[34];
  • constituer un comité mixte de planification paritaire qui a pour mission d’élaborer un programme d’adaptation visant à éliminer la nécessité des licenciements ou encore à minimiser les conséquences de cette mesure sur les employés[35]; et
  • transmettre à l’employé, au plus tard deux (2) semaines avant la date de licenciement, un relevé de prestations indiquant les indemnités de congé annuel, le salaire, les indemnités de départ et les autres prestations auxquelles lui donne droit son emploi, à la date du relevé[36].

L’obligation de transmettre un avis de licenciement individuel et une indemnité à chacun des employés visés

Sans égard au préavis de licenciement collectif, l’employé, syndiqué ou non, ayant au moins trois (3) mois de service continu faisant l’objet d’un licenciement a droit à un préavis de licenciement écrit, une indemnité en tenant lieu ou un mélange des deux[37]. En effet, les obligations en matière de licenciement collectif ne dispensent pas l’employeur de respecter ses obligations en matière de licenciement individuel. Ce préavis était autrefois d’une durée de deux (2) semaines. Toutefois, depuis le 1er février 2024, la durée minimale de ce préavis varie en fonction de la durée de service continue des employés visés[38] :

Durée du service continu

Durée du préavis

3 mois

2 semaines

3 ans

3 semaines

4 ans

4 semaines

5 ans

5 semaines

6 ans

6 semaines

7 ans

7 semaines

8 ans ou plus

8 semaines

En plus de ce préavis ou de l’indemnité en tenant lieu, l’employeur doit verser une « indemnité de départ » à l’employé licencié qui possède au moins 12 mois de service continu[39], syndiqué ou non. Cette « indemnité de départ » ne peut pas être remplacée par un préavis. Cette indemnité doit correspondre au plus élevé des deux (2) montants suivants :

  • Deux (2) jours de salaire au taux régulier pour le nombre d’heures de travail normal, et ce, pour chaque année de service;
  • Cinq (5) jours de salaire au taux régulier pour le nombre d’heures de travail normal.

Les risques rattachés au non-respect de l’obligation de transmettre des avis de licenciement collectif et des avis de licenciement individuel

Le non-respect d’une disposition de la section du CCT traitant du licenciement individuel ou encore du licenciement collectif est sujet aux dispositions pénales de l’article 256 CCT. Dans les cas où le non-respect concerne des dispositions de la section sur le licenciement collectif, l’employeur est passible d’une amende maximale de 250 000 $[40]. Dans le cas où le non-respect concerne des dispositions de la section sur le licenciement individuel, l’employeur est passible d’une amende maximale de 50 000 $ dans le cas d’une première infraction, de 100 000 $ dans le cas d’une deuxième infraction, et de 250 000 $ dans le cas de toute infraction subséquente[41].

Le délai-congé raisonnable ou l’indemnité en tenant lieu prévue au Code civil du Québec (applicable seulement aux employés non syndiqués)

Les employés licenciés non syndiqués peuvent également réclamer un préavis ou une indemnité en tenant lieu à titre de délai-congé raisonnable en vertu de l’article 2091 du Code civil du Québec (C.c.Q) Ce droit existe tant pour les employés dont l’employeur est de juridiction provinciale que pour les employés dont l’employeur est de juridiction fédérale. Ce recours doit être exercé devant les tribunaux civils (c.-à-d., la Cour du Québec ou la Cour supérieure du Québec, selon le montant réclamé).

De leur côté, les employés syndiqués n’ont pas accès à ce recours[42].

Le délai-congé raisonnable est déterminé principalement en tenant compte de la nature de l’emploi, de sa durée, des circonstances de l’embauche, de l’âge du salarié et de la difficulté relative pour se trouver un emploi comparable.

Dans ce contexte, les salariés ont une obligation de mitigation de leurs dommages. Dans le cadre d’un litige sur l’établissement de la durée raisonnable de ce préavis, la Cour devra évaluer si le salarié en question a pris des moyens raisonnables pour se trouver un autre emploi.

Les termes du contrat d’emploi ou de la convention collective

Outre ces règles, il importe toujours de vérifier si le contrat de travail des salariés visés, dans un contexte non syndiqué, ou encore la convention collective, dans un contexte syndiqué, prévoit des règles spécifiques supplémentaires en matière de licenciement.


Author
Me Amélie Guillemette Avocate Norton Rose Fulbright, S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Amélie Guillemette s'intéresse à divers aspects du droit de l'emploi et du travail, notamment aux questions liées à l'embauche, à la cessation d'emploi, aux normes du travail, à la santé et à la sécurité au travail, aux droits et libertés de la personne ainsi qu'à l'interprétation et à l'application des contrats d'emploi et des conventions collectives.

Après avoir obtenu son baccalauréat en droit en régime coopératif de l'Université de Sherbrooke, Mme Guillemette a choisi de poursuivre ses études de maîtrise en droit à l'Université d'Ottawa. En 2018, elle a été auxiliaire auprès de deux juges de la Cour supérieure du Québec. 

Author
Me Alexandre Boisjoly-Rivest, CRHA Avocat en droit du travail et de l'emploi Norton Rose Fulbright, S.E.N.C.R.L., srl.

Alexandre Boisjoly-Rivest s'intéresse à divers aspects du droit de l'emploi et du travail, notamment aux questions liées à l'embauche, à la cessation d'emploi, aux normes du travail, à la santé et sécurité au travail, aux droits et libertés de la personne ainsi qu'à l'interprétation et à l'application des contrats d'emploi et des conventions collectives.

Avant de se joindre au cabinet, M. Boisjoly-Rivest a exercé le droit de l'emploi et du travail au sein d'un cabinet provincial d'envergure. De même, pendant ses études de droit, il a travaillé dans une grande institution financière canadienne.


Source : Vigie RT, mars 2024

[1] Tel que défini à l’article 1(10) de de la Loi sur les normes du travail, RLRQ c. N-1. (LNT).

[2] Pour ce qui est de la section portant sur les employeurs de juridiction provinciale, nous utilisons le terme « salariés » afin de nous arrimer avec la terminologie utilisée dans la LNT.

[3] Article 84.0.1. LNT.

[4] Article 84.0.2 LNT.

[5] Article 84.0.3 LNT.

[6] Code du travail, RLRQ c. C-27.

[7] Article 84.0.4 LNT.

[8] Article 84.0.5. LNT.

[9] Article 84.0.6 LNT.

[10] Id.

[11] Art. 84.0.9 et suivants LNT.

[12] Internote Canada Inc. c. Commission des normes du Travail du Québec, 1989 CanLII 923 (QC CA).

[13] Article 141.1 LNT.

[14] Article 84.0.13 LNT.

[15] Article 82 LNT.

[16] L’article 83.1 LNT prévoit des règles particulières pour les salariés titulaires d’un droit de rappel en vertu d’une convention collective. 

[17] Article 83 LNT.

[18] Article 84.0.14 LNT.

[19] LRC 1985, c L-2 (CCT).

[20] L’article 30 du Règlement du Canada sur les normes du travail, C.R.C., c. 986. prévoit plusieurs cas de mises à pied qui ne doivent pas être considérés aux fins de ce calcul. Notons notamment les mises à pied d’une durée effective de moins de 6 mois alors que l’employeur a averti l’employé, par écrit, au moment de la mise à pied ou avant, qu’il sera rappelé au travail à une date déterminée ou dans un délai déterminé de moins de 6 mois ou encore les mises à pied dont la durée de la mise à pied est de plus de 3 mois, mais moins de 12 mois et que l’employé, pendant la durée de la mise à pied, maintient des droits de rappel en vertu d’une convention collective.

[21] Pour ce qui est de la section portant sur les employeurs de juridiction fédérale, nous utilisons le terme « employés » afin de s’arrimer avec la terminologie utilisée dans le CCT.

[22] Article 212(1) CCT.

[23] Article 212(4) CCT.

[24] Article 27 du Règlement du Canada sur les normes du travail, C.R.C., c. 986.

[25] Lorsque l’article 479 de la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, LC 2018, c. 27, entrera en vigueur, cet avis devra être transmis au ministre du Travail.

[26] Article 212(1) CCT.

[27] Pour reprendre les termes utilisés dans la disposition.

[28] Article 212(2) CCT.

[29] Id.

[30] LC 2018, c. 27.

[31] La date d’entrée en vigueur de ces dispositions n’a pas encore été annoncée.

[32] Article 480 de la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, LC 2018, c. 27.

[33] Article 479 de la Loi no 2 d’exécution du budget de 2018, LC 2018, c. 27.

[34] Article 213(1) CCT.

[35] Article 214 et suivants CCT.

[36] Article 213(2) CCT.

[37] Article 230(1) CCT.

[38] Article 230(1.1) CCT.

[39] Article 235 CCT.

[40] Article 256(2) CCT.

[41] Article 256 (1.1) CCT.

[42] Isidore Garon ltée c. Tremblay; Fillion et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc. (C.S. Can., 2006-01-27), 2006 CSC 2.