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Les enquêtes de la CNESST : comprendre l’accident pour éviter qu’il se reproduise

Bon an mal an, la CNESST publie une cinquantaine d’enquêtes sur des accidents de travail, habituellement mortels ou avec blessures graves, afin d’en préciser les causes et d’éviter qu’ils se reproduisent.
6 décembre 2023
Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Au début des années 2000, la CNESST a lancé un processus d’amélioration des enquêtes réalisées à la suite d’accidents graves. Depuis, plus d’un millier d’enquêtes ont été effectuées selon des principes qui peuvent contribuer à améliorer les pratiques en milieu de travail.

La Commission enquête lorsqu’un employeur est assujetti à la juridiction provinciale. Deux personnes prennent la responsabilité de l’enquête. Leur première tâche est de sécuriser la scène d’accident afin de s'assurer qu'il n'y a plus de danger et pour protéger les éléments de la scène pouvant avoir eu un effet sur les circonstances entourant l'accident. Une fois les lieux sécurisés, les personnes responsables de l’enquête collectent l’information, recueillent les témoignages et construisent ce qu’on appelle un « arbre des faits », puis un rapport est rédigé. Finalement, l’enquête est présentée aux parties, soit l’employeur, les associations accréditées, et parfois à la famille des travailleuses ou travailleurs décédés. Dans tous les cas, un communiqué de presse est diffusé aux médias et en fonction de la nature de l'événement, une conférence de presse est également organisée.

Un processus basé sur des faits

Depuis 2010, Pierre Privé est coordonnateur aux enquêtes de la CNESST. Il supervise une dizaine de conseillers et conseillères qui soutiennent les équipes d’enquêtes à travers le Québec. Il assure également la formation d’inspecteurs et d’inspectrices, en plus d’être porte-parole technique dans les médias lorsqu’il s’agit de parler d’enquêtes sur des accidents de travail.

« Quand on amorce un processus d’enquête, c’est parce qu’il y a eu un décès ou un accident très grave, dit Pierre Privé. Malheureusement, il en arrive encore régulièrement. » Récemment, au cours d’une même semaine, il a enquêté sur quatre accidents mortels et deux autres très graves dans lesquels les travailleurs s’en sont sortis, mais très hypothéqués. « Et l’on ne parle pas ici des autres accidents et des amputations. »

Avant 2000, les enquêtes de la CNESST n’étaient pas aussi structurées et elles n’étaient pas rendues publiques. « Le processus était critiqué, car dans certains cas, le public voulait savoir ce qui s’était passé. Il a donc été décidé d’implanter le processus actuel, en amélioration continue, et de rendre publics les résultats. » Le processus est basé sur des faits, ce qui assure la crédibilité des enquêtes. Les rapports sont diffusés à grande échelle dans le but d’informer le plus de gens possible afin d’éviter que des accidents similaires se répètent.

La méthode de l’arbre des faits

Le cadre d’intervention en prévention-inspection de la CNESST est public et ses paramètres sont accessibles sur son site Web; il vise à favoriser la cohérence et la crédibilité. « C’est un document qui décrit les directives que nos inspecteurs suivent et qui sont également expliquées dans les milieux de travail lorsqu’on arrive sur place pour enquêter », indique Pierre Privé. Les accidents ne résultent jamais d’une cause unique, ajoute-t-il. Ils sont la conséquence d’une combinaison de facteurs. 

Pour les retracer, la CNESST utilise l’arbre des faits, inspirée de l’arbre des causes, une méthode scientifique d’enquête élaborée par l’Institut National de Recherche et de Santé dans les années 1970. Cette méthode permet d’aller au fond des choses en déterminant l’ensemble des éléments qui ont contribué à un accident. Cela évite toute conclusion hâtive qui passerait à côté des causes fondamentales de l’accident. Elle nécessite une recherche exhaustive de l’information. Cela peut demander beaucoup de temps. Il n’y a pas de place aux émotions, très présentes à la suite d’un accident.

« La majorité des gens ont tendance à arriver à une conclusion hâtive, basée sur des données incomplètes. C’est un avis personnel, un jugement qui reconnaît rarement la source du problème qui a conduit à l’accident. »

Les jugements hâtifs affectent aussi les relations de travail. Dans l’émotion du moment, des gens s’accusent : C’est ta faute, tu aurais dû faire attention!  Ou encore, au sujet de la victime ou de l’entourage : C’est un cabochon. « On ne cherche pas de responsables et, en aucun cas, les attaques personnelles n’ont leur place dans une telle enquête. Il faut avancer de manière objective dans la compréhension du processus qui a mené à l’accident. »

Or, ce sont les faits pertinents à une enquête qui déterminent la qualité ou la justesse d’une opinion, et ils doivent être recueillis avec soin. « Dans leurs rapports d’enquêtes, nos inspecteurs parlent uniquement des faits. Il n’y a aucune opinion, aucune interprétation. À la fin, dans la conclusion, ils portent un jugement, mais celui-ci est basé sur les faits contenus dans le rapport. » 

À partir du fait ultime, soit l’accident, l’arbre des faits recrée l’enchaînement des événements qui y ont conduit. « L’accident, c’est la fin de l’histoire. Quand on fait une enquête, on essaie de recréer l’histoire. On se questionne sur les méthodes de travail et des éléments plus organisationnels. On réalise une représentation schématique des faits dans le but de trouver la ou les causes de l’accident. »

Mauvais réflexes

Il y a toujours une raison pour laquelle un individu pose un geste au travail, explique Pierre Privé. « Personne ne le fait exprès pour se mettre en danger; la plupart du temps, les gens veulent bien faire. »

Mais les réflexes de l’humain, souvent, n’en sont pas de sécurité, ajoute l’expert. « Si vous êtes à la maison en train de prendre une tasse de café, et qu’en la déposant sur le comptoir, la tasse glisse, votre premier réflexe sera de la rattraper, au risque de vous brûler », dit-il. Il cite l’exemple d’un travailleur dont le camion s’est mis en mouvement alors qu’il en était sorti. « Son réflexe a été d’essayer de l’arrêter en se mettant devant, et il est décédé. Souvent, nos réflexes nous mettent en danger. »

Recueillir les faits le plus tôt possible

La personne qui enquête doit recueillir les faits, le plus tôt possible après l’accident afin que les éléments matériels ne soient pas modifiés.

La loi stipule que les lieux doivent demeurer inchangés durant le temps de l’enquête. « Il y a une bonne raison pour cela, et c’est qu’une scène d’accident nous parle. C’est ce qui va vous donner le plus de matériel. Plus on arrive tôt, moins d’éléments ont été déplacés, plus on est en mesure d’avoir de l’information fiable et plus c’est facile de voir le portrait final. »

L’enquêteur ou l’enquêtrice cherchera à aller le plus loin possible en faisant des simulations pour reconstituer les événements et en recueillant des témoignages, qui doivent, dans la mesure du possible, être vérifiés. « On récupère évidemment les vidéos des caméras de surveillance et, parfois, on utilise des drones pour mieux voir la scène d’accident. »

Les situations inhabituelles

La CNESST s’intéresse à ce qu’on appelle le « système travail ». Tout ce qui touche l’individu, la tâche, le matériel et le milieu de travail fait l’objet d’une enquête. Elle n’aborde pas les aspects qui seront trouvés dans le rapport du ou de la médecin légiste, tel que le taux d’alcool dans le sang, car c’est du ressort du ou de la coroner. « Nous ne sommes pas des experts pour déterminer si un travailleur a été affecté par une substance. »

Dans la séquence des faits entourant un accident, il y a toujours des éléments permanents et d’autres, inhabituels. « Pour qu’un accident survienne, c’est nécessairement parce que des éléments inhabituels sont entrés en ligne de compte. Ce sont leurs routes que l’on va retracer. »


Ordre des conseillers en ressources humaines agréés

Source : Vigie RT, décembre 2023