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La gestion des heures travaillées, une bonne pratique à adopter

Dans cet article, nous aborderons les droits et les devoirs du salarié et de l’employeur relativement au temps consacré à la prestation de travail et à la rémunération de chacune des heures travaillées. Nous mettrons de l’avant les avantages reliés à la gestion des heures travaillées afin de prévenir et de résoudre certains conflits de travail.
23 novembre 2022
Me Isabelle Gauthier, CRIA

Mise en situation

Votre téléphone sonne et vous prenez l’appel : « Bonjour, mon nom est François. Je suis inspecteur-enquêteur à la division Normes du travail de la CNESST. Votre technicienne en administration a déposé une plainte alléguant que vous refusez de rémunérer ses heures supplémentaires des six derniers mois. J’aimerais connaître votre version des faits. »

Si votre entreprise a mis en place un système de gestion des heures travaillées, cette entrée en matière ne devrait pas trop vous causer de sueurs froides. Dans le cas contraire, c’est peut-être l’occasion de revoir vos pratiques.

Contrat de travail : salaire annuel ou salaire horaire?

Certains contrats de travail prévoient la rémunération du salarié sur une base annuelle plutôt que sur une base horaire ou hebdomadaire. Les contrats les plus clairs sont consignés par écrit, indiquent généralement le nombre d’heures de travail moyen relié à la fonction et précisent les conditions selon lesquelles les heures supplémentaires effectuées seront rémunérées ou non. Cette formule est plus souvent utilisée pour les gestionnaires et les salariés dont la prestation varie peu.

Le salaire annuel sans égard aux heures effectivement travaillées est légal, à condition que le salarié reçoive une rémunération au moins équivalente au taux légal de salaire minimum pour chacune des heures travaillées, ce qui inclut le taux majoré, lorsque requis par la Loi sur les normes du travail (LNT)[1].

Il est cependant important de souligner qu’en cas de litige, et ce malgré les termes du contrat, un tribunal pourrait conclure que le comportement des parties reflète plutôt la volonté d’une rémunération sur une base horaire. Il pourrait condamner l’employeur, a posteriori, à verser le salaire requis en conséquence.

Si la manière dont le système de paie est configuré fait en sorte qu’un taux horaire apparaît au bulletin de paie, ce n’est pas nécessairement un indice de contradiction avec les termes du contrat de travail. L’ambiguïté sera plutôt décelée à partir de la manière dont l’employeur gère les heures travaillées et de ce qu’il fait avec cette information.

Prenons l’exemple d’un salarié qui doit remplir chaque semaine une feuille de temps qu’il doit remettre à son employeur. Lorsqu’il travaille plus de 40 heures, il reçoit sa paie habituelle, sans égard au nombre d’heures travaillées. Par contre, lorsqu’il travaille un peu moins d’heures dans sa semaine, l’employeur lui verse sa rémunération en fonction des heures réellement travaillées. En cas de litige, ce système à deux vitesses, clairement au désavantage du salarié, pourrait amener un tribunal à conclure qu’il s’agit en fait d’un salaire horaire et condamner l’employeur à indemniser le salarié sur cette base.

L’obligation de rémunérer chaque heure travaillée

La majorité des salariés est payée sur une base horaire. La paie peut être variable si la semaine de travail l’est aussi, mais elle peut également être fixe pour le salarié dont la semaine de travail est déterminée. Les heures supplémentaires devront être rémunérées dans les deux cas.

La gestion des heures travaillées est à l’avantage tant du salarié que de l’employeur, puisque la responsabilité de s’assurer que chaque heure est justement rémunérée incombe aux deux parties.

Le salarié doit exécuter la prestation de travail demandée par son employeur, et ce, dans les limites prévues à la LNT[2] ou à la convention collective. Si cela implique de travailler plus d’heures qu’à l’habitude, il est normal qu’il soit payé davantage.

De son côté, l’employeur a un budget à respecter et voudra contrôler les coûts reliés aux heures supplémentaires. En sachant que la L.N.T. permet d’émettre une réclamation jusqu’à un an après la date à laquelle les heures supplémentaires ont été effectuées, nous verrons qu’il peut être périlleux de ne pas mettre en place des mesures de gestion.

Une politique d’entreprise claire et que l’on fait connaître

Le meilleur moyen d’éviter toute mésentente est d’établir clairement les règles du jeu et de les faire connaître. Votre entreprise ne permet pas le travail au-delà de la durée de la semaine normale? Assurez-vous que vos gestionnaires connaissent cette directive et qu’ils attribuent une charge de travail conséquente à leur équipe. Quant aux salariés, ils doivent en être informés pour être en mesure de signaler à leur gestionnaire que le travail demandé ne pourra pas être effectué à l’intérieur des heures allouées. Il appartiendra alors au gestionnaire d’ajuster la charge ou d’autoriser les heures supplémentaires.

La règle prévoyant l’autorisation préalable des heures supplémentaires est assez courante. C’est une bonne pratique dans la mesure où cette étape, précédant l’exécution de la prestation de travail, permet à l’employeur de prendre connaissance de la situation en temps opportun et lui permet d’exercer son droit de gérance et de revoir la charge de travail, s’il le souhaite.

Malgré cette directive, et à plus forte raison en l’absence d’une telle directive, on peut parfois conclure à l’autorisation implicite d’effectuer des heures supplémentaires. Ce sera le cas lorsqu’on confie à un salarié des tâches et des responsabilités additionnelles sans le libérer de manière corrélative.

La cour d’appel a reconnu en 1986 que : « C’est à l’employeur de décrire la tâche qu’il confie à son employé, de limiter le nombre d’heures de travail. S’il ne le fait pas, l’employé peut consacrer à la tâche qu’on lui a confiée, le temps nécessaire pour l’accomplir. »[3]

Colliger les informations

Certaines entreprises utilisent un système d’horodateur, mais ce n’est évidemment pas tous les types d’emploi qui se prêtent à un contrôle aussi précis. Bien souvent, aucune information n’est recueillie en provenance des salariés recevant une rémunération fixe.

Plusieurs salariés, eux, ont adopté la saine habitude de noter de façon contemporaine leurs heures travaillées. La CNESST a d’ailleurs créé l’application « maPaye » pour leur faciliter la tâche.

Le salarié n’a pas l’obligation légale de soulever le problème à son employeur ou de déposer une plainte dans le mois qui suit le manque à gagner. La LNT permet de reculer d’une année et d’émettre une réclamation pour cette période de 12 mois. Plus le temps passe, plus il devient difficile de documenter un dossier si un litige survient.

En vertu de son droit de gérance, l’employeur peut mettre en place un système permettant de gérer régulièrement les heures travaillées. Cette bonne pratique de gestion permet aux parties d’avoir accès à une information commune et ainsi d’éviter de mauvaises surprises.

Le taux majoré après 40 heures

L’article 55 LNT impose la majoration de 50 % du salaire horaire habituel pour le travail effectué en plus de la semaine normale, soit généralement 40 heures (article 52 LNT). L’article 54 LNT prévoit une série d’exceptions pour lesquelles la durée de la semaine normale de 40 heures ne s’applique pas, dont les cadres d’une entreprise.

Le quatrième paragraphe vise « un salarié qui travaille en dehors de l’établissement et dont les heures de travail sont incontrôlables ». Désormais, avec tous les outils technologiques à notre portée, rares sont les cas où l’employeur sera réellement dans « l’impossibilité absolue » d’exercer un contrôle. L’exception ne peut validement être soulevée lorsque l’employeur « refuse ou néglige » d’en faire la gestion.

Il est opportun de souligner que si le taux majoré ne s’applique pas aux personnes visées par les exceptions, l’employeur demeure toutefois tenu de rémunérer chacune des heures travaillées, mais à taux simple.

Illustration jurisprudentielle

Dans cette affaire[4], la salariée poursuivait son employeur pour lui réclamer le paiement de plus de 27 000 $ à titre de salaire pour les heures supplémentaires effectuées. L’employeur se défendait en soutenant que la salariée n’y était pas admissible puisqu’elle recevait un salaire annuel. Il affirmait que c’est uniquement après sa fin d’emploi qu’il a appris subitement qu’elle entendait se faire payer ses heures supplémentaires.

Face à une preuve contradictoire, le tribunal n’a pas retenu la version des faits de l’employeur quant au contrat de travail. Il a conclu à la rémunération sur une base horaire. Il a retenu le témoignage de la salariée comme étant plus probable à l’effet qu’elle consignait ses heures travaillées dans un document Excel, auquel l’employeur avait accès. Il croit également son témoignage lorsqu’elle déclare que l’employeur l’avait rassurée à plusieurs reprises qu’elle pourrait bénéficier d’un congé pour compenser ses heures supplémentaires ou qu’elle serait rémunérée en conséquence.

Puisque la salariée a exécuté l’ensemble des tâches demandées par l’employeur, elle a le droit d’être payée pour chacune des heures consacrées à l’exécution de la prestation. L’employeur a donc été condamné à lui verser la somme réclamée, avec intérêts et frais de justice.


Me Isabelle Gauthier, CRIA avocate à la division Normes du travail de la C.N.E.S.S.T.

Source : Vigie RT, novembre 2022

1 RLRQ, c. N-1.1., articles 40, 52 et suivants.
2 L’article 59.0.1 LNT indique les balises selon lesquelles un salarié peut refuser de travailler.
3 Cléroux-Strasbourg c. Gagnon et Lepage, [1986] R.J.Q. 2820 (C.A.).
4 Burgos Almonte c. Clinique Podiatrique du Centre-Ville inc., 2021 QCCQ 5357.