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Embaucher un mineur. Quels sont les enjeux?

Le recrutement des mineurs devient un phénomène en expansion au Québec. Dans cet article, il s’agit des particularités législatives encadrant le travail des mineurs dont l’employeur québécois doit être au fait.
26 octobre 2022
Me Daryna Kaliman, Ph. D.

Les réalités du marché d’emploi font en sorte que les employeurs se tournent de plus en plus vers des solutions alternatives en matière d’embauche. Ainsi, la pénurie de main-d’œuvre incite des employeurs à embaucher des mineurs, même des préadolescents[1]. L’employeur qui souhaite embaucher un salarié mineur doit connaître les particularités qui sont associées à ce type de relation de travail. 

En réglementant le travail des mineurs, le législateur québécois utilise le terme « enfant » qui s’applique à des personnes qui n’ont pas atteint la majorité, soit aux jeunes de moins de 18 ans.

Au Québec, il n’y a pas de loi particulière visant spécifiquement le travail des enfants. Par conséquent, les employeurs québécois doivent respecter la législation générale encadrant les normes du travail de tous les salariés indépendamment de leur âge. Toutefois, il y a certaines dispositions relatives au travail infantile qui sont contenues dans plusieurs actes législatifs. Nous les analyserons dans le cadre du présent article. 

Âge du salarié mineur

Formellement, la législation québécoise ne définit pas l’âge exact à partir duquel l’employeur peut légalement embaucher un salarié mineur. En théorie donc, l’enfant pourrait commencer sa carrière à tout âge, sous réserve des restrictions qui seront traitées ci-après.

Toutefois, avant de faire travailler un enfant de moins de 14 ans, l’employeur est obligé d’obtenir un consentement écrit du titulaire de l’autorité parentale sur cet enfant ou de son tuteur, et ce, en vertu de l’article 84.3 de la Loi sur les normes du travail[2] (ci-après, la « LNT »). Techniquement, l’autorisation d’un seul parent est suffisante pour faire travailler l’enfant de moins de 14 ans, sauf si l’autre parent manifeste à l’employeur son désaccord avec cette autorisation. L’autorisation doit être conservée au registre des salariés qui doit obligatoirement être tenu par tous les employeurs québécois, et ce, pour une période de 3 ans[3].

L’enfant de plus de 14 ans peut travailler sans autorisation de ses parents ou de personnes qui les remplacent. À cet effet, il est pertinent d’ajouter que l’enfant de 14 ans et plus est réputé majeur pour tous les actes relatifs à son emploi ou à l’exercice de son art ou de sa profession (article 156 du Code civil du Québec[4]). L’employeur peut donc embaucher un jeune de plus de 14 ans même si ses parents s’y opposent.

Dans certains cas qui sont plutôt rares, en fonction du niveau de dangerosité des tâches à effectuer, l’enfant n’est pas admis au travail avant l’âge de 16 ans (voir, par exemple, l’article 16 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail dans les mines[5]). De même, il y a certains travaux qui sont spécifiquement interdits aux mineurs, comme des travaux de sautage ou tout travail nécessitant l’usage d’explosifs (l’article 294 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail[6]).

Il est donc raisonnable pour l’employeur qui œuvre dans un domaine comportant un risque pour la santé et la sécurité de se renseigner en matière d’exigences spécifiques à ses activités avant d’embaucher un salarié mineur.

Bien-être du salarié mineur

En recrutant une personne de moins de 18 ans, l’employeur doit faire face aux exigences qui n’existent pas en matière d’embauche des salariés majeurs. Ainsi, l’employeur doit veiller non seulement à sa santé et à sa sécurité, comme pour tous les salariés indépendamment de leur âge, mais aussi au respect de son droit à l’éducation et à son développement physique ou moral.

En effet, en vertu de l’article 84.2 de la LNT, il est interdit à un employeur de faire effectuer par un enfant un travail disproportionné à ses capacités ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique ou moral. La lecture du libellé de cet article nous fait croire que c’est à l’employeur de décider, en s’appuyant sur son jugement, si une tâche en question est disproportionnée aux capacités du mineur ou susceptible de compromettre son bien-être. À titre d’exemple, il a déjà été jugé que l’élaboration d’une politique interne interdisant aux salariés mineurs d’occuper certains postes est conforme à l’obligation de l’employeur imposée par l’article 84.2 de la LNT[7].

L’exigence de veiller au respect du droit à l’éducation mérite d’être nuancée. Ainsi, le droit à l’éducation est indissociable à l’obligation du mineur de 6 à 16 ans de fréquenter une école au Québec pendant l’année scolaire[8]

Il est évident donc que l’enfant ne peut pas travailler au détriment de son obligation de fréquenter l’école. En vertu de l’article 84.4 de la LNT, l’employeur doit s’assurer de ne pas faire travailler le mineur pendant les heures de classe. Cependant, il n’y a rien qui empêche l’employeur de faire travailler les jeunes d’âge scolaire pendant l’année scolaire, mais après l’école ou les fins de semaine.

Par exemple, un salarié de 15 ans qui travaille à l’épicerie souhaite travailler du lundi au vendredi de 8 h à 16 h. Il serait légitime pour l’employeur de lui fixer un tel horaire en juillet et en août, mais il ne serait plus légitime de le faire en octobre.

Horaires

En parlant des horaires de travail, il faut souligner que le salarié mineur ne peut pas travailler pendant la nuit. Selon la loi[9], il est interdit pour l’employeur de le faire travailler entre 23 heures et 6 heures du matin. À cette interdiction s’ajoute une obligation de l’employeur de tenir compte du lieu de résidence familiale de son salarié mineur pour permettre à ce dernier de se trouver à sa résidence entre 23 heures et 6 heures. En pratique, l’employeur, au moment de la fixation d’un horaire de travail pour le mineur, doit prévoir le temps du début et de la fin de journée du travail en considérant le temps nécessaire pour que l’enfant retourne à la maison avant 23 heures et ne la quitte pas avant 6 heures du matin.

Il y a des exceptions à ces règles. Ainsi, l’analyse de la législation nous démontre que le salarié de plus de 16 ans peut travailler pendant la nuit et n’est pas obligé de rester à la maison entre 23 et 6 heures.

En outre, l’enfant de moins de 16 ans peut travailler pendant la nuit dans les cas suivants :

  • s’il livre des journaux[10];
  • s’il effectue un travail à titre de créateur ou d’interprète, dans les domaines de production artistique (la scène, y compris le théâtre, le théâtre lyrique, la musique, la danse et les variétés, le film, le disque et les autres modes d’enregistrement du son, le doublage et l’enregistrement d’annonces publicitaires)[11];
  • s’il effectue un travail pour un organisme à vocation sociale ou communautaire (une colonie de vacances ou un organisme de loisirs). Dans ce dernier cas, l’enfant n’est pas obligé de demeurer à la maison entre 23 et 6 heures seulement si les deux conditions cumulatives sont respectées : l’enfant loge à l’établissement de l’employeur et il n’est pas tenu de fréquenter l’école le lendemain[12].

Salaire

Il n’y a pas de règles particulières concernant la rémunération des salariés mineurs, l’employeur est donc tenu de se conformer aux règles générales. Évidemment, l’employeur doit payer au moins un salaire minimum à son salarié mineur. Étant donné qu’en vertu de l’article 220 du Code civil du Québec[13] le mineur gère le produit de son travail, le salaire lui appartient. C’est donc à lui directement que l’employeur doit payer le salaire et non à ses parents ou aux personnes qui les remplacent.

Conclusion

Étant donné que l’intérêt supérieur de l’enfant doit guider l’employeur dans la prise des décisions visant son salarié mineur[14], nous pouvons constater que l’embauche des jeunes est un processus plus exigeant. Or, dans ce cas, il est primordial de connaître et, surtout, de respecter les normes du travail en tenant pour acquis que les employés mineurs sont particulièrement vulnérables. Quant aux situations dont la réglementation n’est pas détaillée, c’est la bonne foi qui doit aider l’employeur à gérer son salarié, comme dans l’exercice de tous ses droits civils[15], notamment dans le contexte de relations contractuelles.


Author
Me Daryna Kaliman, Ph. D. Avocate CNESST
Me Daryna Kaliman est formée en droit au Québec et en Ukraine. Elle est titulaire d’un doctorat en droit civil. Membre du Barreau du Québec depuis le janvier 2018, Me Kaliman se spécialise en droit du travail dans le contexte d’application de la Loi sur les normes du travail.

Source : Vigie RT, octobre 2022

1 Gacon, A. (2022, 29 mai) Pénurie de main-d’œuvre oblige, des enfants de 11 ans sont déjà au travail au Québec. Radio-Canada. Pénurie de main-d’œuvre oblige, des enfants de 11 ans sont déjà au travail au Québec.
2 RLRQ, c. N-1.1.
3 Règlement sur la tenue d’un système d’enregistrement ou d’un registre, c. N-1.1, r. 6, article 2.
4 RLRQ, c. CCQ-1991.
5 S-2.1, r. 14.
6 S-2.1, r. 13.
7 Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500 c. Aliments Cargill ltée (grief syndical et Alyssa Tremblay), (2011) R.J.D.T. 1197 (T.A.), D.T.E. 2011T-823 (T.A.), 2011 CanLII 102741 (QC SAT).
8 Loi sur l’instruction publique, RLRQ c. I-13.3, article 14.
9 Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1., article 84.6.
10 Id., article 84.5.
11 Règlement sur les normes du travail, c. N-1.1, r. 3, articles 35.1 et 35.2.
12 Id., article 35.2.
13 RLRQ, c. CCQ-1991.
14 Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, article 33.
14 Id., article 6.