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Les dossiers d’employés, de la constitution à l’accès

La constitution, l’utilisation et la conservation des dossiers d’employés, en plus des modalités d’accès et de rectification, soulèvent leur lot de questions, notamment à l’ère du numérique et du « sans papier ». Traditionnellement, les dossiers d’employés étaient conservés sous clé, dans un classeur chez l’employeur. Désormais, la tendance est à la numérisation et au support informatique. Nous vous présentons un bref tour d’horizon des règles applicables.
20 avril 2022
Me Matthieu Désilets, CRHA

La constitution d’un dossier d’employé et son contenu

Pour constituer un dossier personnel sur quiconque, la règle de base, prévue au Code civil du Québec[1], est de posséder un « intérêt sérieux et légitime à le faire »[2]. Ce critère est aisément rempli pour les employeurs qui doivent nécessairement créer et maintenir à jour un dossier d’employé étant donné la nature de leur relation. Toutefois, il importe de souligner que l’employeur « ne peut recueillir que les renseignements pertinents à l’objet déclaré du dossier »[3].

En milieu syndiqué, le contenu du dossier de l’employé est souvent précisé à l’intérieur de la convention collective, dans une disposition prévoyant une énumération, qui peut être exhaustive ou non, des documents devant s’y retrouver. De telles précisions peuvent également se retrouver, en milieu non syndiqué, dans une politique de gestion des ressources humaines ou un manuel de l’employé.

Essentiellement, le dossier d’employé comportera les documents relatifs à l’embauche et à la rémunération (formulaires d’embauche et administratifs, CV, diplômes, références, contrat de travail, classement salarial, contacts d’urgence, etc.), les formations et le perfectionnement en cours d’emploi, les évaluations de rendement ou les plans de développement, les mutations internes (demandes, avis de nomination, promotions, etc.), les pièces justificatives concernant diverses absences et congés (invalidité, santé et sécurité, maternité, etc.), les mesures disciplinaires et administratives ainsi que, au moment venu, les documents de fin d’emploi[4].

Certains milieux de travail peuvent aussi posséder des exigences spécifiques nécessitant de conserver d’autres documents essentiels à l’emploi (certificat de bonne conduite, appartenance à un ordre professionnel, cours de premiers soins, permis, cartes de compétence, etc.).

Soulignons que les documents d’enquête, par exemple disciplinaire ou en matière de harcèlement psychologique (rencontre avec les témoins, notes, analyse, rapport, etc.) ne devraient pas se retrouver au dossier de l’employé, mais dans des dossiers de plaintes ou d’enquêtes distincts.

La confidentialité du dossier

Si la nécessité pour un employeur de constituer un dossier pour chacun de ses employés apparaît évidente, l’importance d’en préserver la confidentialité devrait l’être tout autant. Cet élément est au cœur des obligations de l’employeur.

En effet, un dossier d’employé est strictement confidentiel, et ce, tant en vertu du Code civil du Québec, de la Charte des droits et libertés de la personne[5], de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[6] et de Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[7], qui constituent les pièces législatives de référence en la matière. Des obligations déontologiques trouvent également application pour les membres d’un ordre professionnel.

Afin de préserver le droit à la vie privée de l’employé, il appartient donc à l’employeur d’assurer le caractère confidentiel de son dossier et de limiter le nombre de personnes pouvant en prendre connaissance. Ainsi, seules les personnes en autorité dûment autorisées, étant donné leurs fonctions professionnelles, peuvent consulter les documents pertinents contenus aux dossiers des employés. Cela exclut donc les autres salariés (collègues de travail) de l’organisation ainsi que toute personne au sein de l’entreprise pour qui la consultation du dossier n’est pas nécessaire à l’exercice de ses fonctions et de ses responsabilités. À l’évidence, les dossiers d’employés sur format papier doivent être conservés sous clé et l’accès aux classeurs strictement contrôlé. Quant aux dossiers électroniques, la même rigueur doit être appliquée et le système informatique doit être sécurisé, protégé par un mot de passe, avec des droits d’accès limités.

De même, la communication du dossier ou d’informations s’y retrouvant à des tiers est, sauf dans de rares exceptions, interdite sans le consentement de l’employé concerné.

Ces obligations subsistent même après la fin d’emploi, et la confidentialité des dossiers doit être préservée.

Soulignons enfin, comme corollaire, qu’une grande prudence s’impose également quant aux références postérieures à l’emploi. Un consentement explicite devrait toujours être obtenu préalablement à la divulgation de quelque information, et une note devrait être conservée indiquant les propos exacts tenus et les informations transmises. Dans l’hypothèse d’une entente de fin d’emploi, il faut également se référer au texte qui consigne l’entente afin de s’assurer d’en respecter intégralement le contenu.

Numérisation et support électronique

Les dossiers d’employés papier peuvent être numérisés et ils peuvent aussi être maintenus sur support exclusivement électronique. Les mêmes règles s’appliquent en matière de constitution, de conservation et de confidentialité du dossier, notamment quant à la conservation « sous clé électronique ».

Par ailleurs, si la numérisation s’effectue selon les règles prévues à la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information[8], il sera possible de conserver uniquement la version électronique et de détruire la version papier.

À cet égard, l’intégrité des documents doit être assurée, et il faut être en mesure de démontrer, pour constituer une preuve au même titre que l’original en cas de contestation, que le document numérisé est exactement conforme à la version papier. Une procédure devrait être spécifiquement prévue pour la numérisation, en vertu d’une politique de numérisation, et la méthodologie suivie devrait être documentée[9].

L’accès par le salarié à son dossier et le droit à la rectification

L’importance d’avoir un dossier d’employé conforme prend également toute son importance du fait qu’un salarié peut demander d’avoir accès à son dossier, parfois en vertu d’une convention collective, mais également en vertu des règles prévues à la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[10] (pour les entreprises privées) ou Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[11] (pour les salariés des organismes publics).

Une décision arbitrale récente[12] a d’ailleurs ordonné de donner suite aux demandes de 463 salariés de leur communiquer leur dossier d’employé complet, à l’occasion précisément d’un changement dans le mode de conservation du dossier. L’employeur procédait à la numérisation des 2 000 dossiers d’employés pour les conserver désormais sur support électronique plutôt que papier. Dans ce contexte, des salariés, sur recommandation de leur syndicat, avaient requis une copie papier de leur dossier afin de s’assurer de leur conformité. Pour l’arbitre, dans le contexte, il ne s’agissait pas d’un exercice abusif du droit d’accès prévu à la convention collective et dans la Loi.

Également, les employés possèdent le droit à la rectification d’informations inexactes, incomplètes ou équivoques, en vertu de ces mêmes lois, dans leur dossier. Quoique peu de décisions soient répertoriées en relations de travail, la Commission d’accès à l’information a déjà ordonné de retirer d’un rapport de rencontre l’expression « se dit autistique », alors que le salarié avait dit que « lorsqu’il étudie, il se concentre comme le ferait une personne autistique »[13].

Par ailleurs, une décision de la Cour d’appel[14] a confirmé que le droit à la rectification n’entraînait pas le droit au retrait du dossier et à la destruction de documents concernant une mesure disciplinaire si une telle obligation n’est pas explicitement prévue. Dans cette affaire, le litige concernait l’article 4 du Règlement sur les archives de la Sûreté du Québec et des corps de police municipaux concernant le personnel policier[15], qui prévoit notamment que certains documents, dont ceux relatifs à des mesures disciplinaires, peuvent être retirés du dossier, à la demande du policier, après cinq ans. L’employeur ayant refusé, les salariés ont contesté la décision devant la Commission d’accès à l’information. La Commission a confirmé la discrétion de l’employeur et rejeté la demande de rectification. Les salariés ont porté la décision en appel devant la Cour du Québec, et le tribunal a ordonné à l’employeur de retirer les mentions des mesures disciplinaires des dossiers. La Cour supérieure, à la suite d’une requête en révision judiciaire, a conclu que la décision de la Commission n’était pas déraisonnable et a rétabli celle-ci. Les policiers ont fait appel de cette décision.

La Cour d’appel confirme notamment que l’employeur a une obligation quant à la conservation de certains documents, comme prévu au Règlement, et un pouvoir discrétionnaire de rectifier ou non le dossier après cinq ans. Il est intéressant de faire un parallèle avec des politiques ou des dispositions de conventions collectives qui prévoient qu’un employeur peut retirer certains documents après une période donnée, ou une simple « clause d’amnistie ». En effet, en l’absence d’obligation explicite, l’employeur pourrait donc refuser une demande de rectification visant à retirer des documents du dossier, sous réserve de démontrer la nécessité de la conservation.

Conclusion

Il y a fort à parier que l’évolution des technologies et la volonté des organisations de se départir du papier soulèveront de nouvelles questions dans les années à venir, malgré les règles de base qui demeurent inchangées depuis plus de 30 ans. Nous pouvons penser notamment à la gestion et à la conservation des échanges courriel, même les messages textes sur les téléphones cellulaires, ou les messages échangés sur les plates-formes internes de l’entreprise.


Author
Me Matthieu Désilets, CRHA Avocat Monette Barakett
Pince-sans-rire, Matthieu aime ajouter une touche d’humour à toutes situations. Ainsi, malgré la complexité des dossiers et tout le sérieux de la profession d’avocat, cette facette de sa personnalité permet de non seulement arriver à une solution optimale, mais de faire en sorte que le chemin pour s’y rendre soit le plus agréable possible (ou le moins désagréable, selon le point de vue !).

Source : Vigie RT, avril 2022

1 RLRQ, c. CCQ-1991.
2 Article 37.
3 Id.
4 En guise de complément, voir notamment Ordre des CRHA, Aide-mémoire – Création et conservation d’un dossier d’employé.
5 RLRQ, c. C-12.
6 RLRQ, c. P-39.1.
7 RLRQ, c. a-2.1.
8 RLRQ c. C-1.1. Voir les articles 17 à 20.
9 Voir également : Ordre des CRHA, Dites au revoir au dossier papier : le numérique est à votre portée!
10 Article 27.
11 Article 9.
12 Syndicat professionnel des ingénieurs d’Hydro-Québec et Hydro-Québec, 2022 QCTA 32.
13 X. c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke [2003] C.A.I. 333.
14 Cummings c. Québec (Ville de), 2016 QCCA 1018.
15 RLRQ, c. P-13, r.1.