La crise de la COVID-19 qui sévit au Québec depuis maintenant un peu plus d’un an et demi a forcé plusieurs employeurs à adopter le télétravail. L’expérience a démontré qu’un tel mode de travail comporte des avantages, telles l’augmentation de la productivité et de la performance globale de l’entreprise ainsi que la possibilité d’une meilleure conciliation travail-famille pour les employés. Toutefois, la dernière année et demie a également permis de constater certaines faiblesses du télétravail, comme les difficultés de gestion de la performance des employés, la difficulté à maintenir la culture organisationnelle, l’isolement de certains employés et la confusion entre leur vie professionnelle et personnelle. Ajoutons à ces considérations que le télétravail divise les employés, les uns désirant poursuivre d’offrir leur prestation de travail en pantoufle et les autres désirant revêtir leurs plus beaux habits pour reprendre la route du bureau le plus rapidement possible.
Bien que la quatrième vague de la COVID-19 soit venue jouer les trouble-fête, empêchant un retour au bureau cet automne, plusieurs employeurs prévoient ou envisagent un tel retour sous la forme d’une organisation du travail hybride. Ils tentent ainsi de bénéficier des avantages du télétravail et d’en atténuer ses désavantages, en plus de concilier les préférences des employés quant à leur mode de travail favorisé. De fait, le travail hybride consiste à combiner le travail au bureau et à la maison et tend vers la recherche d’un équilibre entre le travail à distance et le travail en présentiel.
Si une telle organisation du travail procure à l’entreprise une image de modernité et une réputation d’employeur de choix, le travail hybride comporte également son lot de défis pour les gestionnaires de ressources humaines en matière de droit de l’emploi. Une pléthore de questions leur vient certainement à l’esprit : mon organisation devrait-elle instaurer une politique de travail hybride? Comment gérer la performance des employés à distance sans enfreindre leur droit à la vie privée? La responsabilité de l’entreprise peut-elle être engagée en cas de cyberharcèlement? Les règles habituelles en matière de santé et de sécurité du travail sont-elles applicables au domicile des employés?
Nous répondons en quelques lignes à ces questions en vous en exposant les considérations importantes.
La politique de travail hybride
La transition du mode de travail traditionnel en présentiel vers le travail hybride nécessite l’adoption d’une politique claire encadrant ce nouveau mode de fonctionnement. Une telle politique devrait traiter notamment des éléments suivants :
- L’imposition du télétravail aux employés actuels et futurs : dans la mesure où le travail hybride consiste en une modification des conditions de travail des employés actuels, il nécessite, sous réserve de certaines exceptions et considérations pratiques, le consentement de ces derniers. L’imposition de ce mode de travail aux nouveaux employés est plus aisée et devrait être prévue à la politique.
- Les postes et services visés : ce ne sont pas tous les postes de l’entreprise qui se prêtent au travail à domicile, et certains services doivent être maintenus sur les lieux physiques du travail. Ainsi, il faut réfléchir aux besoins de l’entreprise et déterminer quels postes et services seront visés par la politique.
- Le lieu de télétravail : la politique devrait encadrer de manière raisonnable le lieu où le télétravail doit être effectué, par exemple, dans une pièce fermée permettant de préserver la confidentialité des renseignements de l’entreprise. À cet égard, soulignons que certaines professions ont des règles strictes en la matière.
- Les règles de santé et de sécurité au travail : même en télétravail l’employeur doit veiller à la santé et à la sécurité du travail de ses employés. La politique devrait notamment décrire les règles devant être respectées en la matière par les employés à leur domicile.
- La prestation de travail : l’employeur doit définir les plages horaires de disponibilités des employés ainsi que le ratio de leur nombre de jours passé au bureau et au domicile.
- La gestion de la performance : l’employeur devrait décrire les moyens qui seront utilisés pour mesurer la qualité et la quantité du travail exécuté par ses employés.
- Le paiement des outils requis aux fins du télétravail : la politique devrait prévoir qui assumera les coûts relatifs à l’acquisition et à l’entretien des outils de travail (p. ex. : l’ordinateur, le papier, l’abonnement à Internet et l’électricité, etc.).
La gestion de la performance et les outils technologiques
Lorsque les employés sont à distance, il peut s’avérer plus difficile pour l’employeur d’exercer son droit de surveiller et de contrôler leur prestation de travail, lequel droit est prévu à l’article 2085 du Code civil du Québec (C.c.Q). Dans ce contexte, les gestionnaires pourraient être tentés de substituer le contrôle en présence par un contrôle au moyen d’outils technologiques. À titre d’exemple, pensons à des systèmes permettant d’effectuer un suivi informatique des employés. Dans certaines situations, l’employeur pourrait même être tenté d’utiliser la technologie pour effectuer une surveillance ciblée d’un salarié.
Un tel contrôle technologique de la performance implique la recherche d’un équilibre entre le droit de direction et de contrôle de l’employeur et le droit à des conditions de travail justes et raisonnables des employés (article 46 de la Charte des droits et libertés de la personne [la « Charte »]) et leur droit à la vie privée (art. 5 de la Charte et 35 du C.c.Q.).
Pour tendre vers cet équilibre, avant de mettre en place un tel mode de surveillance, l’employeur devra analyser soigneusement la situation et se demander si elle entraîne une condition de travail injuste et est :
- justifiée par des motifs rationnels (p. ex. : enjeux de sécurité, de confidentialité, exigés par l’industrie, etc.);
- conduite par des moyens « raisonnables »;
- nécessaire pour vérifier le comportement du ou des employés; et
- menée de la façon la moins intrusive possible.
Enfin, soulignons qu’il est important que tout le processus décisionnel soit très bien documenté. De surcroît, le droit de surveillance devrait être prévu dans la politique de travail hybride, les contrats d’emploi, les politiques, etc.
Le cyberharcèlement
L’avènement du télétravail ne signifie pas la disparition des obligations de l’employeur en matière de prévention et de gestion du harcèlement psychologique dans les lieux de travail. Au contraire, les employeurs doivent maintenant porter une attention particulière aux situations de cyberharcèlement, phénomène qui, quoique présent dans le monde du travail pré-Covid, est exacerbé par le travail à distance.
Le cyberharcèlement consiste en l’utilisation du réseau Internet pour harceler, menacer ou embarrasser une personne de manière répétitive. Les exemples de cyberharcèlement sont nombreux et incluent notamment les suivants :
- la transmission de courriels non sollicités désagréables ou menaçants;
- l’envoi massif et volontaire d’un très grand nombre de messages électroniques à un employé;
- la transmission de virus par courrier électronique (sabotage électronique);
- la propagation de rumeurs par voie électronique; et
- la diffusion de commentaires diffamatoires en ligne à propos d’une personne.
Les employeurs doivent être vigilants quant à ce phénomène lors du travail à distance. En effet, les employés estiment leurs comportements invisibles et ont la ferme croyance que ceux-ci ne seront pas vus et que leur employeur ne pourra pas sévir contre eux.
En plus de la mise en place, si ce n’est déjà fait, d’une politique pour la prévention et la gestion des plaintes pour harcèlement psychologique diffusée au sein de l’entreprise et qui prend en considération le cyberharcèlement, un travail d’éducation et de mise à jour quant aux particularités du contexte de télétravail doit notamment être effectué par les employeurs.
La santé et la sécurité au travail
Le travail hybride cause aussi certains maux de tête pour les gestionnaires des ressources humaines sous l’angle de la santé et de la sécurité au travail.
D’une part, en ce qui a trait au retour physique sur les lieux de travail, les employeurs ne doivent pas négliger l’aspect psychologique sur certains employés qui appréciaient le confort de leur foyer. Qui plus est, les employeurs devront veiller au respect et à la formation de leurs employés aux diverses mesures sanitaires contre la propagation de la COVID-19 émises par la santé publique et recommandées par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail.
D’autre part, en ce qui a trait au travail à domicile, les obligations d’employeurs au terme de la Loi sur la santé et la sécurité du travail continuent de s’appliquer au domicile des travailleurs avec les adaptations nécessaires. D’un point de vue psychique, les entreprises doivent donc s’assurer notamment du bien-être psychologique des travailleurs qui peuvent subir les contrecoups de l’isolement. D’un point de vue physique, les employeurs doivent garder l’œil ouvert sur les installations des employés à domicile afin de prévenir différents problèmes musculosquelettiques, tels les maux de dos, de cou, de tête, etc. À cet égard, de la formation ergonomique devrait, entre autres, être dispensée aux travailleurs.
Enfin, la politique de travail hybride brièvement discutée ci-dessus devrait traiter de ces divers éléments, et ce, comme mentionné précédemment.
Pour en savoir plus
Le texte qui précède ne constitue qu’un survol des principaux enjeux relatifs au mode de travail hybride. Nous espérons toutefois qu’il vous a ouvert l’appétit et que vous serez des nôtres le 25 novembre prochain à l’Événement spécial – Réussir sa gestion en mode hybride pour approfondir ces sujets et poser toutes vos questions. C’est un rendez-vous!