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L’art de rentabiliser son expertise médicale

Dans le déroulement d’un dossier d’accident du travail, il arrive parfois un moment où nous avons l’impression de stagner : le même rapport médical est reproduit à chaque rendez-vous avec la ou le médecin traitant du membre du personnel, ou nous sommes en désaccord avec le diagnostic et les traitements prescrits, ou tout simplement, les sommes s’accumulent à notre dossier d’expérience, et nous désirons obtenir un autre avis sur la lésion. Dans tous les cas, ce sont de bons indicateurs que le moment est venu de prévoir une expertise médicale.

7 septembre 2016
Valérie Gauthier, CRIA

Une expertise médicale, c’est quoi?
En vertu de l’article 209 LATMP, l’employeur peut demander à une ou à un médecin expert de son choix d’examiner le membre du personnel en vertu d’un ou de plusieurs des points 1 à 5 mentionnés à l’article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Notez qu’il est dans l’obligation de se présenter à l’expertise médicale commandée par son employeur. Dans le cas d’un refus, il s’expose à une suspension des indemnités de remplacement du revenu, tel que prévu à l’article 142 de la LATMP. Si l’expertise médicale engendre des frais de déplacement pour le membre du personnel, l’employeur doit lui rembourser lesdites sommes et le rémunérer s’il doit s’absenter de son poste de travail durant ses heures de travail.

209. L’employeur qui a droit d’accès au dossier que la Commission possède au sujet d’une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l’examen du professionnel de la santé qu’il désigne, chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu’il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l’article 212.

L’employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d’une part, et d’autre part, l’accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu’il exerce ou qu’il a exercé.

212. L’employeur qui a droit d’accès au dossier que la Commission possède au sujet d’une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l’attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s’il obtient un rapport d’un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l’un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l’existence ou le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l’existence ou l’évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.

L’employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l’attestation ou du rapport qu’il désire contester.[1]

Dans le cadre de l’expertise médicale, la ou le médecin choisi par l’employeur examine donc le membre du personnel accidenté selon un protocole établi et similaire d’un expert à l’autre, en fonction de la nature de la lésion. Le membre du corps médical s’exécute également en vertu du mandat transmis par l’employeur.

Afin de sélectionner l’experte ou l’expert compétent selon les besoins de votre dossier, informez-vous auprès de la clinique de santé au travail que vous avez choisie. De nombreux experts ont des spécialités (ex. : membres supérieurs, inférieurs, lésions en «  ites ») et pourront donc mieux circonscrire les particularités de votre dossier. De plus, si vous désirez obtenir une expertise dans le but de l’utiliser plus tard devant les tribunaux, il est essentiel de valider que l’experte ou l’expert est à l’aise de témoigner en cour, car ce ne sont pas tous les médecins qui le font.

Par ailleurs, si vous êtes en début de dossier et que votre expertise vise une consolidation rapide, assurez-vous tout de même de respecter la table des conséquences moyennes des lésions professionnelles qui résume sommairement la durée habituelle de consolidation selon la nature de la lésion. Par exemple, cette table (qui est d’ailleurs disponible sur le site de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail [CNESST][2] mentionne qu’une entorse lombaire est consolidée en six à huit semaines, en moyenne. Suivant cette logique, si vous demandez une expertise seulement trois semaines après la date de l’évènement, il est possible que celle-ci soit vaine.

Le mandat pour médecin expert, c’est quoi?
Afin d’informer la ou le médecin sur le dossier en cours, et surtout, les raisons qui vous ont conduit à demander une expertise, il est primordial de rédiger un mandat à son intention. Il doit être transmis avant l’expertise. (Les délais de transmission de documents varient d’une clinique à l’autre, informez-vous.) Il doit contenir, entre autres, un résumé des circonstances ayant entraîné l’accident, le ou les diagnostics acceptés par la CNESST, les examens subis par le membre du personnel et un bref déroulement du dossier jusqu’à présent (assignation temporaire ou arrêt de travail, traitements actuellement suivis par le membre du personnel). Si une situation particulière vous a amené à douter de la véracité de la lésion, n’hésitez pas à le mentionner.

Grâce au mandat, vous pouvez également poser des questions supplémentaires à la ou au médecin expert. Dans le passé (c’est-à-dire avant la diffusion de la nouvelle directive à l’attention des médecins experts par le Collège des médecins en janvier dernier), la ou le médecin expert pouvait répondre à ces questions dans un document à l’attention de l’employeur seulement. Or, par souci de transparence envers la patiente ou le patient examiné et en conformité avec le code de déontologie de leur profession, les réponses font dorénavant partie intégrante de l’expertise. Stratégiquement, il faut donc y penser à deux fois avant d’inclure ces questions, considérant que vous êtes tenu de remettre une copie du rapport au membre du personnel expertisé ou bien à sa représentante ou à son représentant.

Si vous désirez quand même profiter du rapport d’expertise pour interroger la ou le médecin, sachez que les questions les plus souvent posées concernent habituellement la relation entre le diagnostic et l’évènement (afin de soutenir une contestation de l’admissibilité) et la pertinence de l’arrêt de travail ou des limitations fonctionnelles temporaires (afin de tenter un éventuel retour au travail en assignation temporaire ou d’en augmenter les modalités). Vous voulez aussi peut-être savoir si un élément au dossier du membre du personnel pourrait permettre un partage de l’imputation en vertu de l’article 329 LATMP à la conclusion du dossier. À ce sujet, le membre du corps médical se prononcera seulement si les examens pertinents sont au dossier. Assurez-vous donc de prévoir votre expertise au bon moment et de veiller à la transmission des documents qui vous intéressent à l’attention de la ou du médecin expert.

En prévision de votre expertise, il est bon de demander à l’agente ou à l’agent de la CNESST responsable de votre cas de transmettre une copie complète du dossier médico-administratif à l’attention de la ou du médecin expert. Le dossier de la CNESST est souvent plus complet que celui de l’employeur, car il contient, en plus des rapports médicaux, les notes de suivi de physiothérapie, d’ergothérapie, de même que les notes évolutives de l’agente ou de l’agent.

À la suite de l’expertise, votre médecin expert vous transmettra son rapport. Selon ses conclusions, si votre médecin est en désaccord avec les conclusions de la ou du médecin qui a charge, vous pourrez procéder à une demande de rapport complémentaire, puis à une demande de transmission du dossier au Bureau d’évaluation médicale (BEM), selon la procédure habituelle. Sinon, il est possible que la ou le médecin expert, sans consolider le membre du personnel, émette des recommandations susceptibles de modifier le cours du dossier. Il est donc intéressant de demander au membre du personnel de remettre une copie de l’expertise à sa ou à son médecin (ou de le faire vous-même, selon le cas) qui pourra tenir compte de l’opinion d’une consœur ou d’un confrère pour orienter la suite des choses.

Dans tous les cas, pour être efficace, une expertise médicale est une question de « timing », mais également de « feeling ». Elle nous permet souvent d’apprendre des éléments essentiels à la gestion médico-administrative du dossier et nous aide certainement à organiser notre stratégie dans un dossier complexe, coûteux et à haut potentiel de chronicité.

Source : VigieRT, septembre 2016.


1 Source : A-3.001 - Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, page consultée le 3 août 2016.
2 Orientations en imputation.

Valérie Gauthier, CRIA Chef santé et sécurité environnement Pélican International inc.